[Orcanie] Au coin d'un feu...

 
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« C’est étrange… il y a encore quelques instants il me tardait à aller me battre, et voici que ma pensée se tourne vers la verte vallée. Nul lieu n’est plus magnifique que celui qui emplis mes pensées. Je me souviens de ces journées passées à courir sur l’herbe fraîche du printemps, regardant au loin les montagnes. Je me souviens de la brise légère, de la rosée du matin. Le parfum de ces douces fleures colorées m’enivre les sens, c’est comme si j’y étais.

Mon épée est déjà tachée de sang, sans nul doute cela va t il continuer. Pourquoi donc faut il ces guerres incessantes ? Nous sommes tous là, à vouloir combattre nos ennemis de toujours, sans connaître la raison de cette haine qui court en nous. Tous sont comme moi, tous ont des souvenirs, tous ont connu les plaisirs. Ces regards… tant d’histoires que l’on pourrait conter. Combien sauront rester debout, malgré la douleur ? Combien sauront avancer, malgré les blessures ? Combien oseront continuer, sans la fuir elle…

La Mort… voici bien longtemps que je la connais. Je n’étais qu’un enfant, sur le chemin de la vie. J’avais suivi ce jeune faon, dans l’espoir de le caresser. Sa pureté me faisait grand peur, comme si le toucher pouvait le briser. Je m’avançais en la forêt, pas à pas, derrière lui. Il me semblait que parfois il m’attendait, mais bientôt de vue je le perdais.
Il m’était de nombreuses fois arrivé de voir mon père ramener une biche de la chasse, et il me plaisait à regarder la bête inanimée. Je voulais toujours l’accompagner, mais l’âge me manquait. Oter une vie pour se nourrir est chose normale, ce ne sont que des animaux, sans histoire…
J’avançais, pour le retrouver, me guidant aux bruits de la forêt. Je courais alors que je l’entendais non loin dans les fourrés. Mon pas se stoppait alors que je me retrouvais face à lui, couché au sol, peinant à se relever. En son regard il y avait peur… il était terrifié. Il était jeune, il ne connaissait encore la vie. Ce n’était qu’un faon, mais comme moi il voulait vivre. Je restais là, devant lui, perdu en son regard. Je lisais ce qui était en lui, cette angoisse face à la nuit. Il comprenait parfaitement ce qu’il se passait, alors que moi je n’y arrivais pas. Ce regard… j’y voyais les larmes en couler.
Ce fut ma première rencontre avec la mort… alors que les chasseurs d’un coup puissant l’achevaient. Je garderai à jamais en mon esprit son regard, celui de la peur, ses larmes mêlées au sang, et cet air lourd qui pesait sur moi. C’est comme si encore il me suppliait, implorant ma pitié, mais je ne peux rien faire. Son regard sera à jamais en moi…

La Mort… je l’ai donnée autour de moi en ce lieu comme si elle eut été une grâce. Long fut mon entraînement pour être amené à cela, porter la mort. Songeons nous tous, combattants, au droit que nous prenons sur la vie ? Il est si facile de passer l’épée au travers de l’ennemi, mais il m’est si dur d’en croiser le regard. Ces regards… ces douleurs… que sont ils en cette masse vivante ? Simples murmure du vent au travers des temps. Les morts d’aujourd’hui seront oubliés demain, seuls ceux qui ont fuit pourront encore en parler.

Je la rencontre à nouveau, elle vient me chercher. Peut-être est ce cela la vérité, peut-être est ce pour cette vallée qui est en mon cœur que je me battais. Il me plairait tant de la revoir, mais le voile se lève, la nuit va tomber. Elle est là, face à moi. Terrible et belle… le silence se fait autour de moi, je sens encore la main d’un ami serré en la mienne. La nuit a ce mystère que nous désirons tous découvrir, mais qui nous fait quitter notre bonheur. Plus jamais je ne verrai ces grandes étendues vertes au pied des montagnes. Plus jamais je ne sentirai la douce odeur des mets délicats en la vieille chaumière. Plus jamais je ne verrai ceux que j’aime, car la nuit n’en finira pas.
Pourquoi sommes nous destinés à cela ? Pourquoi donner l’espoir à celui qui en souffrira ? Y a t il un quelconque mal à vouloir être libre ? Y a t il un plaisir à faire souffrir ? Qui donc choisi pour nous le chemin à suivre ? Peut-être trouverai je les réponses en ma nouvelle demeure… maintes terres me sont à découvrir désormais. Mon cœur restera en cette vallée, lorsque le vent soufflera. Mon souvenir restera en chaque rosée, telles les larmes en mes yeux. A jamais je serai en ces terres, pour lesquelles je suis tombé.

Mon chemin s’arrête là… la douleur n’est plus, la nuit déjà a pris pas sur la vie. Mon ennemi a fuit ; je ne sais pourquoi, mais je l’en remercie. Je ne suis plus qu’un de ces regards, une de ces perles de sang qui ornent la prairie. Doux sera le rêve, je l’espère, car la nuit est bien longue… »

Barlan regardait l’assemblée. Il avait conté les derniers instants d’un inconnu, d’une voix triste. Il ravivait le feu devant lui, comme pour faire fuir cette nuit qui les entourait. La lune était déjà haute, et l’heure du repos arrivait. Il se leva pour se rendre à l’auberge, prononçant simplement une dernière phrase alors qu’il s’inclinait.

« Lorsque dans les vertes prairies vous courez, écoutez les pleurs des vents, peut-être un jour vous l’entendrez… »
 

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