Chroniques de la Maison Llenthrys

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Prologue

Seul le doux chant d'un rossignol venait perturber le calme qui régnait sur la salle d'entraînement. Agenouillé près d'une des arches de pierres taillées donnant sur celle-ci, Lliram Velothren observait son élève sans mot dire. Le jeune homme avait bien changé au cours de cette dernière année. Ses longs cheveux blancs tirés vers l'arrière encadraient un visage aux traits fins, qui n'était pas sans déplaire aux apprenties du sexe opposé. D'une taille légèrement supérieure à la moyenne, il était large d'épaules et sa tenue de coton noir laissait deviner sans peine une musculature bien dessinée. Mais c'était sans nul doute son regard qui frappait le plus. D'un rouge de braise, ses yeux semblaient capables de sonder ses interlocuteurs au tréfonds de leur âme, le jeune Thelraen faisant preuve d'un don troublant pour distinguer la vérité du mensonge.

Il s'entraînait seul, comme à l'accoutumée. Car nul n'avait jamais remplacé sa sœur d'armes en dépit des deux années écoulées. Le vieux maître d'armes avait formé de nombreuses générations de Llenthrys et il avait vivement craint qu'un élève jusque là si prometteur ne gâche son talent. Ce fut presque le cas durant les premiers mois qui suivirent ce que tous ici appelaient l'accident. S'ils savaient ce qui s'était réellement passé... Thelraen s'était complètement renfermé sur lui-même, ne communiquant presque plus avec les autres. Sans parler des cauchemars qui l'obsédaient et des cernes qu'il arborait en permanence. Ses pensées n'étaient plus à l'entraînement et des rumeurs commencèrent à circuler, selon lesquelles il sombraient lentement dans la folie, allant jusqu'à parler tout seul.

Qu'avait donc bien pu lui raconter cette prêtresse, Valyne Llenthrys. La vénérable était revenue de Morrowind et avait séjourné quelques jours durant à Fort Llenthrys, les Trois seuls savaient dans quel dessein. Thelraen méditait sur les remparts, contemplant les montagnes enneigées, lorsque la vieille dunmer vint s'entretenir avec lui. Ils parlèrent toute une nuit durant, et une bonne partie de la journée suivante.

Lorsque Valyne Llenthrys reprit la route vers Morrowind, Thelraen semblait avoir recouvré ses esprits. Il se remit à l'entraînement avec une détermination nouvelle, un étrange éclat animant ses yeux jusque là si ternes. Ses compagnons d'armes profitèrent de ce changement d'état, car le jeune apprenti reprit tout naturellement la place qui avait été sienne par le passé, les guidant et les soutenant pour les aider à progresser sans jamais toutefois se placer au-dessus d'eux. Ainsi redevint-il la force de proposition et le modèle qu'il avait été pour les autres apprentis jusqu'à l'accident.

Thelraen enchaînait les passes d'armes, répétant inlassablement les mêmes mouvements en quête de perfection. Ses deux lames fendaient le vide avec une précision des plus redoutables tandis qu'il poursuivait son combat imaginaire. Les blancs sourcils de Lliram se froncèrent imperceptiblement. Tout à son attaque, son élève avait trop ouvert sa garde, offrant une dangereuse opportunité à un éventuel adversaire. Mais avant même qu'il ne puisse lui faire remarquer ce défaut dans sa posteur, le jeune apprenti se corrigea de lui-même. Et ce n'était pas la première qu'il semblait remarquer puis rectifier de lui-même ses erreurs. Ce qui lui avait permis, en dépit du fait qu'il s'entraînait surtout seul, de continuer à progresser plus rapidement que les autres élèves. Comme avant l'accident.
Message roleplay
Chapitre I
Flocons de Sang

Les préparatifs du départ provoquaient une vive agitation au sein du Fort. Ici et là, des esclaves et des serviteurs s'affairaient, faisant preuve d'une discipline et d'une rigueur presque militaires. L'envoyé du Roi Scalde était reparti depuis plusieurs jours déjà, mais les ordres dont il était porteur avaient galvanisé les membres de la Maison Llenthrys.

Dix ans s'étaient écoulés depuis qu'ils avaient escorté leurs alliés Nordiques en Morrowind afin de porter assistance à leurs frères. S'ils n'étaient plus désormais menacés par le Temple et ses Ordonnateurs, leur statut demeurait complexe. L'absence de soutien de la part de l'une des Grandes Maisons avait en effet limité les possibilités d'une installation après un si long exil. Mais, petit à petit, des liens commençaient à se tisser.

Le Haut-Roi du Grand Moot voyait dans le Seigneur de la Maison Llenthrys un parfait représentant du Pacte. Et pour cause... Demeurant depuis plus de deux millénaires en Bordeciel, les membres de la Maison étaient parvenus au fil des siècles à s'intégrer et ce malgré la défiance de leurs voisin. En outre, aux côtés des Dunmers se trouvaient des Argoniens affranchis depuis maintes générations, qui demeuraient à leurs côtés non par obligation mais par une loyauté que seul le sang versé côte à côte pouvait expliquer.

Détachant son regard rubis du spectacle des cimes éternellement enneigées, le Seigneur Saeren Llenthrys parcourut pour la énième fois le contenu de la missive, porteuse de tant d'espoirs pour les siens. Ils avaient enfin l'opportunité de retourner en Morrowind et de s'installer pour de bon sur les terres de leurs ancêtres. Bien évidemment, il savait que ce ne serait pas chose facile. En le nommant à la tête des défenses des Eboulis, le Roi Skalde comptait sur ses talents de stratège, aiguisés durant plus d'un siècle d'existence, mais aussi et surtout sur son habitude à diriger des troupes mêlant Argoniens, Dunmers et Nordiques... en usant des forces et faiblesses de chacun.

Mais ces terres étaient sous le contrôle de la Maison Indoril, et ils risquaient fort de voir d'un très mauvais œil le retour de leur vassal prodigue. S'imposer auprès des Nordiques qui s'étaient installés dans la partie occidentale de la région ne serait pas aisé non plus, mais avec l'aide des siens il savait pouvoir réussir. Une première étape nécessaire, qui permettrait à la Maison Llenthrys de s'installer en Morrowind. Ensuite... ils pourraient reprendre la place qui était leur, par la grâce des Trois.

La neige crissa légèrement. Son fils avait fait vite pour répondre à son invite. Il se retourna pour l'accueillir et s'accroupit vivement. La flèche passa au-dessus de sa tête, dans un sifflement des plus caractéristiques. Trois silhouettes aux armures de cuir partiellement recouvertes de fourrures blanches lui faisaient face, l'archer encochant déjà une nouvelle flèche. Les deux autres s'approchaient lentement, chacune armée d'un cimeterre. Leur peau noire ne laissait guère de doute sur l'origine de ces Rougegardes qui semblaient bien déterminé à abréger son existence.

L'escarpement rocheux où il aimait tant venir trouver calme et quiétude risquait fort de devenir le lieu de son repos éternel. Ses adversaires évoluaient avec le calme et la maîtrise de combattants expérimentés. Appeler serait inutile*: sa voix ne porterait pas jusqu'au fort et il avait eu la stupidité de croire qu'il connaissait assez bien les lieux pour se passer de son huscarl. Mais il n'était pas pour autant sans défense... D'un geste coulé, il tendit le bras vers l'archer. Les flammes jaillirent de sa main tendue pour former une boule qu'il projeta d'une pensée dans sa direction. L'homme poussa un hurlement lorsque le projectile enflammé le percuta, embrasant ses vêtements tout en le projetant sur le sol enneigé.

Ses deux compagnons s'approchèrent vivement, ne marquant pas même un temps d'arrêt à la mort de leur comparse. Saeren détacha la lourde cape de fourrure qui couvrait ses épaules afin d'être plus libre de ses mouvements, avant de tirer son épée. Son regard de braise allait de l'un à l'autre de ses adversaires, évaluant ceux-ci. Et le résultat n'était guère pour lui plaire. Leur calme et leur façon de se mouvoir trahissaient sans peine leur maîtrise des armes et de leur art, qui à n'en pas douter était celui de l'assassinat. Ils semblaient habitués à combattre de concert, le coupant de toute retraite. A moins évidemment qu'il ne plonge dans l'abîme qui s'ouvrait derrière lui, à flanc de montagne... Finalement, les potions de vol avaient peut être un mérite...

Il devait prendre l'avantage, et vite. Brisant l'immobilité qui était jusque là sienne, le Dunmer fit un pas vers l'un de ses opposants... avant de plonger vers le second. La feinte était rapide, mais l'oeil acéré de son adversaire l'avait déjouée. Les lames s'entrechoquèrent et débuta alors une danse des plus mortelles.

Les trois ennemis enchaînaient les passes d'armes avec une habileté née de longues années de pratique. Les deux Rougegardes imposaient au Dunmer un rythme des plus soutenus, l'empêchant de faire appel à sa magie. Les lames virevoltaient, glissaient les unes contre les autres, s'entrechoquaient, rythmant le combat de leur musique métallique. Un défaut dans sa garde valut à Saeren une longue estafilade au torse. La mort guettait sa proie, impatiente. Une nouvelle erreur. L'assassin s'engouffra dans l'ouverture, prêt à donner le coup de grâce. Ses yeux clairs s'écarquillèrent légèrement alors que la lame d'ébonite du Dunmer le traversait de part en part. Une feinte, qu'il n'avait pas vu venir cette fois.

Les deux survivants se firent face, reprenant leur souffle tout en s'évaluant. C'est alors qu'il frappa. L'éclair percuta le Seigneur de la Maison Llenthrys de plein fouet, le projetant au sol. Abasourdi, ce dernier regarda l'archer qu'il avait cru mort et qui, bien que grièvement blessé, était parvenu à se redresser pour foudroyer son adversaire à l'aide d'un sort. Le rougegarde au cimeterre s'approcha de son ennemi à terre, se préparant à l'achever. Mais le sourire qui se dessina sur les lèvres de celui-ci l'arrêtèrent dans son élan. Il suivit son regard, en direction de son compagnon... qui cette fois était bel et bien mort.

A ses côtés se dressait un autre Dunmer, bien plus jeune, dont une épée ensanglantée prolongeait le bras tendu vers le bas. Il salua son père d'un signe de tête, son regard de braise ne laissant aucun doute quant au destin de l'assassin survivant. A deux contre un, la chance semblait désormais contre lui. Avec la rapidité d'un aigle, le Rougegarde tendit son bras libre vers Saeren. La corde de l'arbalète de poing claqua et le carreau fondit vers sa proie.

Le sang coula, chaque goutte rougissant la neige à mesure que le poison se répandait dans ses veines. Thelraen poussa un cri de rage avant de charger le Rougegarde qui venait d'ôter la vie de son père et qui, d'un mouvement fluide, rengainait déjà l'arbalète pour se mettre en garde, la pointe de son cimeterre dirigée vers les cieux. De nouveau, le fracas des lames résonna sur la neige désormais rouge de sang. Mais le combat était bien inégal*: malgré toute son ire, le jeune Dunmer ne pouvait prétendre rivaliser avec le vétéran Rougegarde.

Aveuglé par la colère, il était totalement focalisé sur ses attaques et sa volonté de tuer un adversaire qui avait beau jeu de profiter du peu de soin qu'il portait à sa défense. Le cimeterre du Rougegarde était sans cesse en mouvement, traçant de savantes arabesques entre eux. Parant ou esquivant chaque attaque du jeune Dunmer, il répliquait systématiquement, lui assénant à chaque fois une nouvelle blessure. De simples estafilades, mais qui semblaient de plus en plus nombreuses et n'avaient de cesse de l'affaiblir.

Mais Thelraen semblait déterminé à venger la mort de son père. Puisant dans ses réserves, il poursuivait le combat là où la plupart aurait renoncé. Jusqu'à ce qu'il commette une erreur de trop. Le Rougegarde la mit aussitôt à profit, parvenant à le projeter au sol. Se retournant vivement, le Dunmer lança dans sa direction son bras gauche. D'une pensée, il concentra sa puissance pour propulser la chaîne qui entourait celui-ci. Le métal chauffé par ses pouvoirs fondit sur l'assassin... qui l'esquiva d'un bond. La lame du cimeterre s'éleva dans les airs, un rayon de soleil venant frapper l'acier de celle-ci alors qu'elle s'abattait vers le jeune Dunmer pour mettre fin à sa vie.

Une masse de muscles, d'écailles et de griffes projeta le Rougegarde au sol. Lorsque l'Argonien se releva, ses griffes maculées de sang, le dernier des trois assassins n'était plus. Skaar Trois-Griffes s'approcha de Thelraen, l'aidant à se relever sans mot dire. Puis, tous deux vinrent s'agenouiller auprès de leur Seigneur. Le porteur des espoirs de leur Maison n'était plus, emporté par les assassins dépêchés par l'Alliance de Daguefilante. Car, à n'en pas douter, jamais le Pacte ne confierait à son jeune fils une mission aussi délicate. Voilà qui allait faire à la fois le jeu des ennemis du Pacte... et de la Maison Indoril...
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Chapitre II
La Traque

Tout en longueur, la petite salle commune du relais était des plus calmes. La tavernière, une nordique plutôt avenante, finissait de nettoyer des chopes derrière le comptoir. Seuls clients de la soirée précédente, deux chasseurs siégeaient à une table proche, se livrant à un concours pour savoir lequel avait abattu la proie la plus prestigieuse tout en dévorant leur petit-déjeuner avec un bel appétit. Azzan retint un sourire, baissant ses yeux étonnamment clairs vers son assiette. Ces Nordiques avaient beau faire assaut de récits plus colorés les uns que les autres, aucun d'entre eux n'avait pourchassé le plus redoutable et prestigieux des gibiers*: l'homme. Ou, en l'occurrence... un mer.

Prenant un peu de son pain encore chaud, il s'attaqua à ses œufs au lard tout en réfléchissant à la conduite à tenir. L'établissement se tenait le long d'une route marchande relativement fréquentée, et une caravane de passage s'était arrêtée la veille. Elle avait échangé avec la tenancière les dernières rumeurs*: ainsi donc, le seigneur de la Maison Llenthrys avait-il trouvé la mort. Restait à savoir ce qu'il était advenu de ceux qui avaient porté le coup fatal. Cela faisait maintenant des heures qu'ils auraient du le rejoindre ici. Une bonne journée même, pour le moins. Mais aucune nouvelle. Les choses avaient sans doute mal tourné. Cette damnée Rasheda avait-elle encore fait des siennes*?

Il n'avait qu'une confiance fort relative en cette sorcière. Elle semblait certes des plus loyales à leur groupe, mais pouvait-on réellement se fier à quelqu'un pratiquant la magie. Leur supérieur avait toutefois été clair. Vu la nature de la cible, les talents d'une sorcière ne seraient pas de trop. Azzan devait bien l'admettre, cela semblait logique. Trois agents expérimentés auraient largement du pouvoir venir à bout de leur proie... et s'en sortir.

Le Rougegarde termina son assiette, la repoussant sur le côté. Il ne pouvait plus attendre. Quel que soit le sort de ses compagnons, demeurer ici pourrait mettre en péril la mission. Il devait rapporter l'information au plus vite. S'ils étaient encore en vie, ils arriveraient bien à quitter la région sans son aide. Se levant, il se dirigea vers le comptoir et régla la note avant d'aller récupérer ses affaires et de quitter l'établissement.

Sur le perron de la petite auberge, il rajusta ses vêtements de fourrure, regrettant leur grossièreté et leur manque de praticité en comparaison des tenues de son peuple. Les étrangers n'étaient pas rares, même en ces lieux perdus de Bordeciel. Mais sa peau sombre ne passait pas inaperçue, raison pour laquelle il portait des vêtements typiques de la région qui avaient en sus le mérite de tenir chaud. Sans aller jusqu'à lui permettre de se fondre dans la masse, au moins était-il plus discret ainsi.

Lâchant un soupir, il se dirigea vers les écuries attenantes à l'établissement. Il donna une pièce au garçon qui s'occupait des chevaux, un orphelin qui avait été pris sous l'aile protectrice de la tenancière de l'établissement. L'enfant s'était étonné du fait que le Rougegarde avait avec lui quatre chevaux de monte. Il avait répondu que cela lui permettait de changer régulièrement de monture sans les fatiguer, et donc d'aller plus vite. Le gamin s'était évidemment contenté d'une telle réponse, et du pourboire qui allait avec. Il aurait bien entendu pu laisser les montures ici, au cas où ses compagnons finiraient par arriver. Mais cela n'aurait fait que renforcer les soupçons et il ne pouvait guère se le permettre...

L'aube était levée depuis une bonne heure lorsqu'il avait enfin pris la route. Une sensation étrange le préoccupait depuis son départ. Un léger, infime picotement le long de sa nuque. Comme s'il était observé. Son regard clair balaya une nouvelle fois les alentours, mais il n'y avait que rochers et neige. Comme d'habitude. Un mouvement attira l'attention de ses yeux aiguisés par maintes années d'expérience. Mais ce n'était que l'ombre d'un oiseau de proie.

Les jours se succédèrent, sans que cette inquiétante impression ne le quitte. Il s'était arrêté à maintes reprises, avait usé de divers stratagèmes pour tenter de dénicher un quelconque observateur mais rien n'y faisait. Il devait se résoudre à l'évidence*: la disparition de ses compagnons l'affectait bien plus qu'il n'aurait voulu l'admettre, au point de déclencher cette paranoïa. Point positif, au moins était il en permanence sur ses gardes, tous ses sens en éveil, guettant un quelconque signe de celui ou de celle qui aurait pu tenter de le surveiller.

Il n'avait croisé qu'une caravane*: des Khajiits qui visiblement pratiquaient le négoce entre les différents villages nordiques. Ils s'étaient révélés peu loquaces, malgré ses efforts pour tenter de sympathiser et obtenir quelques informations. Ils évoquèrent juste un petit groupe de brigands, à deux jours de route, qu'ils avaient repoussé sans trop de difficulté mais pourraient présenter un risque certain pour un voyageur solitaire. Non que les bandits de grand chemin soient la plus redoutable menace dans la région*: le climat et la nature étaient, sans conteste, les adversaires les plus à craindre. Azzan redoubla toutefois de prudence. Il n'eut guère de difficulté à repérer les traces des criminels... et à éviter ceux-ci. Tout au plus perdit-il quelques heures en les contournant.

Il finit par arriver en vue de sa destination. Une petite bourgade, si semblable aux autres. Les gens du cru ne semblèrent guère prêter attention à l'arrivée d'un cavalier, et cela lui convenait parfaitement. Laissant ses montures aux écuries communes, il se rendit directement à l'auberge où il savait être attendu.

Une copie presque conforme du relais où il avait séjourné plusieurs jours durant. A croire que les Nordiques manquaient cruellement d'imagination en matière d'architecture. Il se rendit près du rectangle de pierres où se trouvait le foyer, au centre de la salle commune tout en longueur. Retirant ses épais gants de fourrure, il se réchauffa les mains tout en observant brièvement les occupants de la salle.

Dans un recoin, un couple de voyageurs échangeait à voix basse, tout en étudiant avec minutie ce qui lui semblait être une carte. Leurs vêtements trahissaient sans peine leur appartenance à une famille aisée de Bordeciel, et à voir les cheveux de feu qu'ils avaient en commun, il paria qu'ils devaient être frère et sœur. Là, une brétonne lisait un ouvrage devant une tasse de thé fumante. Il s'attarda sur ses longs cheveux noirs, qui tombaient en cascade sur ses épaules. Sa peau, pâle et aussi douce que la soie. Ses lèvres, pleines et ourlées sur une moue trahissant l'intérêt qu'elle prêtait à l'ouvrage. Il se reprit, presque aussitôt, craignant de n'avoir laissé traîner son regard que trop longtemps sur elle. Assis près du feu, un Skalde jouait du luth, emplissant la pièce d'une musique empreinte de mélancolie. Il semblait fort sensible aux charmes de la jeune lectrice, son regard ayant visiblement beaucoup de peine à se détacher de celle-ci.

Un léger sourire amusé s'étira sur les lèvres du Rougegarde, qui s'avança vers l'aubergiste. Le tenancier était un homme solide, aux larges épaules et aux cheveux grisonnant, qui le regarda sans aménité. Azaan commanda un bon repas chaud et loua une chambre pour la nuit. L'homme le détailla des pieds à la tête, avant de le conduire à sa chambre pour qu'il y pose ses affaires, non sans lui avoir demandé un paiement d'avance. La légendaire confiance des Nordiques à l'égard des étrangers...

Un repas chaud arrosé de bière lui fit le plus grand bien, et il ne tarda pas à aller se reposer tandis que le Skalde chantait de vieilles légendes nordiques en de vaines tentatives pour séduire la si belle lectrice. Il souffla les bougies, avant de s'étendre sur sa couche. D'ici quelques heures, elle le rejoindrait et il pourrait lui faire son rapport. Et ensuite... avec un peu de chance, ils pourraient reprendre cette si plaisante discussion qu'ils avaient eue à leur dernière rencontre. Un jeu des plus dangereux, mais qui n'en était que plus agréable encore...


*
* *


Il s'éveilla avec la sensation qu'un forgeron confondait son crâne avec une forge, martelant avec une douloureuse régularité. Quelque chose n'allait vraiment pas. Il était maintenu debout par ses mains qui semblaient... attachées*? Ses paupières s'entrouvrirent sur ses yeux clairs, lui révélant une pièce éclairée à la lumière de plusieurs feux. Non. Pas une pièce. Une grotte... Il pouvait sentir la roche dans son dos et, levant les yeux, il vit les liens qui maintenaient fermement ses poignets au-dessus de lui.

La migraine refluait lentement, et il prit le temps d'observer les lieux à mesure qu'il prenait conscience de la douleur qui émanait de ses membres endoloris. A n'en pas douter, il devait être attaché là depuis des heures... Qu'est ce qui avait bien pu se passer*? Du poison*? C'était l'explication la plus logique. Oui... Sans nul doute son repas ou sa boisson avait été empoisonné, ce qui l'avait conduit à se réveiller ici et non dans son lit.

D'étranges symboles semblaient avoir été tracés sur le sol. Leur aspect brunâtre ne lui laissait guère de doute quant à l'encre utilisée pour les dessiner*: du sang séché. Revêtu d'un mélange de fourrures et de cuir, un homme était assis près du feu, murmurant à voix basse avec un argonien debout près de l'entrée de la grotte et habillé de façon similaire. Un gémissement attira son attention et il tourna la tête dans la direction d'où il émanait. Une nouvelle vrille de douleur le parcourut mais il serra les dents. Son regard s'habituait à l'étrange lueur des lieux, et il distingua sans peine la silhouette qui était attachée à quelques pas de lui, contre le mur.

Ses courbes dont il avait tant rêvé étaient offertes à son regard, mais ce n'est pas ce qui attira son attention. Sa supérieure semblait elle aussi lentement reprendre ses esprits, mais il fut choqué par son regard lorsqu'elle posa celui-ci sur lui. Baissant les yeux, il comprit. Son corps avait été entaillé en maints endroits, et du sang coulait de nombreuses plaies. Étrangement, il ne ressentait... rien. C'était presque comme si ce corps n'était pas le sien. Au moins savait-il désormais d'où provenait le sang qui avait servi à tracer les symboles.


« Ah. Les rats sont enfin éveillés. Nous allons pouvoir nous mettre à l'ouvrage. »
L'argonien approuva d'un signe de tête. Malgré l'impavidité de ses traits, le Rougegarde eut la très nette impression qu'il... souriait*? L'homme se releva. La lueur des flammes éclaira son visage d'ébène, où brûlaient deux yeux rouge sang. Un Dunmer... Azzan tira sur ses liens, mais il ne parvint qu'à éveiller une vive douleur dans ses bras. Il réprima un cri : non, il ne leur ferait pas ce plaisir. Le Dunmer les toisa, tour à tour.



« Autant vous le dire, vos petits camarades ont trouvé la mort lors de leur attentat contre le Seigneur Saeren Llenthrys. Vous allez bientôt les rejoindre, mais de vous dépendra de quelle façon. »
Finalement, il avait bien été suivi. Mais, après tout, ils avaient un net avantage sur lui : cette région était leur, il aurait dû faire confiance à son instinct. Azzan cracha les mots avec une rage et un mépris à peine dissimulés.



« Vous ne saurez rien. Quoi que vous fassiez. »
Le Dunmer s'approcha de lui, un étrange sourire dansant sur ses traits.

« Oh, mais je n'attends rien de toi. Du moins, je n'attends aucune information d'un simple exécutant. Mais ta maîtresse par contre, je gage qu'elle saura me confier ce qu'elle sait.
- Jamais... »
La voix de la Brétonne était étrangement ferme. Déterminée. Azzan y puisa un certain réconfort. Déjà, son esprit cherchait toutes les options qui se présentaient à eux. Il y laisserait sans doute la vie, mais il pouvait peut être faire quelque chose pour qu'elle puisse vivre. Il devait gagner du temps, avant toute chose.



« Vous ne tirerez rien de nous, Elfe Noir. Nous sommes entraînés à résister aux pires tortures, la douleur n'est qu'une illusion de l'esprit... »
L'apostrophé rit. D'un rire sans joie.


« N'auriez-vous le sang de mon seigneur sur les mains, que j'en serais sincèrement navré pour vous. Votre naïveté est des plus touchantes car, sachez le, nul ne résiste à la torture. Tôt ou tard, elle cédera. Tôt, ce serait le mieux pour elle...
- Plutôt mourir...
- Rassurez-vous, je vais exaucer votre souhait dans très peu de temps. Si elle est intelligente, vous ne la précéderez que de peu.
- Si tu la touches, je te tuerai.
- Oh, mais je ne vais même pas l'effleurer. Vois-tu, je vais plutôt faire appel à une créature bien plus experte que moi dans l'art d'arracher des informations. En outre, je sais qu'elle prendra grand plaisir à pratiquer son art. Et moi à la regarder faire. »
Le Rougegarde détourna son regard clair en direction de l'Argonien, dont les griffes puissantes semblaient si redoutables. La voix de la Brétonne résonna dans la grotte, d'un ton empli d'une farouche détermination.



« Avoir été l'esclave de ces chiens durant des siècles ne vous a donc pas suffi*? Aujourd'hui encore, vous accomplissez leurs basses besognes ? »
Azzan entrevit une chance. Après tout, contrairement aux membres de l'Alliance, les liens qui unissaient les membres du Pacte entre eux étaient si fragiles.... La créature reptilienne répondit par un sifflement presque amusé.



« Il ne parle pas de moi... »
Azzan tira une nouvelle fois sur ses liens. Le nœud était solide, mais sa volonté de la voir survivre était des plus fortes. Déjà, il entrevoyait un moyen de la tirer d'affaire. Peut être même qu'il pourrait lui aussi s'en sortir, après tout. Restait simplement à...

Il n'avait pas vu le coup venir. Il aurait pourtant dû s'en douter. Pourquoi l'avoir maintenu en vie, s'ils savaient déjà qu'il n'avait pas d'information utile pour eux. La lame du Dunmer avait frappé, plus vive qu'un serpent. Son sang s'échappait de sa gorge ouverte, emportant sa vie avec lui.



« Merci pour ton sacrifice, Rougegarde. Grâce à toi, je vais pouvoir faire appel à un Daedroth de mes amis. Je ne doute pas qu'il saura arracher à ta maîtresse tout ce qu'elle sait. »
Dans un dernier souffle, Azzan croisa le regard de la Brétonne. Un regard empli de terreur...
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