« Voyez-vous au commencement il y avait la Lumière… Et ensuite… »
Extrait de la page 117 du journal d’un Sombre, vol…tombé malencontreusement par terre.
Il y avait toujours la même atmosphère en cette taverne, glauque et lugubre, des odeurs désagréables chatouillant le nez, ce lieu est toujours aussi noir et aussi sale. Dans la pénombre se déplacèrent furtivement les ombres, étrangement il n’y avait presque aucun ricanement mais les regards en disaient longs. Sans amertume, je laissais glisser ces mauvais regards qui pesaient sur moi.
Je pris le parchemin avec appréhension, le lisais calmement et découvris la sanction. Dans un tel moment m’importe qui aurait eu un choque de lire blâme donné par sa famille. Mais voyez-vous aucune colère ni haine émanait de mon esprit. J’acceptais tout simplement cette lourde sanction, pourquoi ? Car par-dessus tout on m’avait apprit le respect et l’autorité.
Le monde change, la parole d’un clerc ou d’un paladin ne fait plus office de témoignage divin. Je dois avouer que j’en ai entendu de belle sur certains paladins à la moralité douteuse, j’en suis peut être un, même si je n’en n’ai jamais croisé aucun qui n’ait au fond de son âme courage et bravoure. Il est vrai que nous sommes toujours prêts à nous battre dans des conditions désespérées juste pour la beauté et l’honneur du geste, même si parfois nous sommes capables de cruautés innommables. Mais j'ai dû mal à comprendre les reproches qui me sont faits, on me parle de manipuler et tromper, même si ma voix pouvait être ennuyeuse, ma plume, mes écrits ont toujours dit vérité, je n'ai jamais pu me mentir en écrivant.
Cette cause là est perdue d’avance en mon cœur. Comment me battre si je n’ai pas la conviction de gagner et de démontrer mon espérance et ma foi. Pendant des années les ombres furent ma seule famille, j’ai essayé de les protéger du mieux que j’ai pu, j’ai sûrement fait des erreurs, après tout je ne suis qu’un homme, mais en mon cœur jamais je n’ai défaillis en mon devoir.
Je suis Paladin, je suis porteur de la Lumière et pourtant depuis des années, depuis ma folie, depuis ceux qui n’existent pas, j’ai été le porteur de l’Ombre. Il m’arrive des fois de me réfugier dans un sanctuaire, il s’agit d’un petit lac cristallin non loin de Camelot situé entre les deux flancs d'une colline cabossée. J’aime m’allonger sur l’herbe et me recroqueviller sur moi-même, j’aime cet havre de paix, j’aime plonger mon regard dans ce lac qui brille de mille feu lorsque le soleil illumine sa surface.
J’hume l’air dans mon sanctuaire et elle sent une bonne odeur de pain chaud, je ne sais pas comment ce prodige est possible, mais je l’accepte. J’ai envie d’y détendre mes bras et mes jambes posés sur le sol, mon corps dessinant une étoile. J’ai envie que mes pensées vaquent au loin de ce monde éphémère pour oublier tous mes soucis. Je me laisse aller et je me sens bien comme ça.
La nuit se met à tomber lentement sur mon sanctuaire de cristal. La nuit recouvre toutes lumières. On se prend à croire que les ténèbres vont envahir nos espoirs mais je cherche désespérément à parler à un Ange de douceur, lui montrer mon étrange douleur et j’ai peur car je ne suis qu’un homme qui veut trouver au fond de lui une lueur.
Mes frères, mes sœurs de l’ombre voici mes paroles, je vous regrette et je regrette déjà ce que je suis devenu. Je sais que maintenant il n’y aura plus de haine ni de peine en mon encontre. Je suis soulagé de ce poids, je n’aurais plus de railleries ni de moqueries de l’ombre que je voulais protéger et aimer. Souvent je me suis demandé si je servais à quelque chose, je me demandais si mon travail dans l’obscurité serait reconnu, mais j’étais résigné ça n’avait pas d’importance à mes yeux. Maintenant j’ai la réponse à ma question. Souvent je pensais à vous, j’étais juste une personne qui cherchait une réponse en vous, j’étais juste à la recherche de la chaleur qui me manquait depuis si longtemps...
Je sais qu’il y aura des combats épiques et mythiques, je sais que par mon acte je serai traqué et abattu comme une bête sauvage, mais vous pouvez envoyer vos chiens, je défendrai chèrement ma vie, car c’est le plus beau cadeau que la Lumière m’ait donnée.
Vous savez, j’ai si honte de moi, de ce que je suis devenu sans m’en rendre compte. Vous savez je n’ai jamais quitté les ombres au contraire de beaucoup qui considéraient cet acte comme désinvolte et sans conséquence, jouant sur les mots même parmi les plus Sombres, mais je ne les blâme pas, je ne leur en veux pas. Vous savez, j’ai si honte de moi, pourtant je sais que je suis bon, vos mots ne pourront plus me blesser. Qu’importe ce que je suis, qu’importe ce que nous sommes, je ne serai pas regretté.
J'efface le titre et les armoiries de mon bouclier, que je ne mérite plus car je ne veux plus être ténèbres. Je pense que la vie va reprendre son cours et déjà la nuit disparaît face au soleil. Mon sanctuaire, mon lac est baigné d’une nouvelle lueur à peine perceptible pour celui qui ne regarde pas avec son cœur. Je sais que je suis une personnalité fragmentée et difficilement pénétrable, mais je sais que je suis bon, je suis soulagé vos mots ne pourront plus me blesser.
Vous savez j’ai si honte d’avoir perdu ma Lumière, ai-je une excuse et des circonstances atténuantes ? Je ne sais pas…
Je sors ma lame de mon fourreau, et dans un geste rapide je plante mon épée dans le sol, genoux à terre je suis imprégné par la Lumière du jour, je pose les paumes de mes mains l’une contre l’autre. J’avais presque oublié ce rituel, pour la première fois depuis si longtemps je me mets à prier.