Tard.
Un village près de la rivière.
Une grande salle, et là, réunis dans une atmosphère d'écoute concentrée, deux cents personnes, les yeux posés sur cet homme qui chante en occitan, accompagné par des musiciens, une vielle et un tambourin. Son chant résonne d'amour et de mort. Des mots en patois qui traversent le temps pour évoquer des drames qui finissent bien, ou des contes de fée cruels. Le public est bigarré, des enfants qui chahutent, des jeunes, debout qui chuchotent, des vieux en couples, émus, les mains imbriquées. Des mères et des fils, des familles entières. De tous les pays ; berbères et guadeloupéens, chinois ou cambodgiens, américains ou togolais... tous écoutent le chant, murmures et sanglots, cris de ces vers qui sonnent le temps où les vieux parlaient un autre français.
Puis la salle se lève à l'appel du musicien-conteur, oublie la tristesse de la chanson précédente, et pousse les chaise, dans un calme souriant. L'heure du bal est arrivée.
Nous sommes loin de l'esprit des discothèques enfumées, qui ont sûrement d'autres attraits qu'on ne saurait me valoriser. La jeune fille qui sourit en regardant la foule, a de fortes chances de se retrouver au milieu de la ronde, entrainée par une main amie, non concupiscente. Les gens sont ici pour communier et rire, et non pour vulgairement, trouver le corps-soeur d'une nuit. Apprétés ; ce sont les vieilles dames et leurs cavaliers, les filles-fleur qui ont mis des jupes-corolles, les petites filles aux cheveux semés de perles. Les jeunes sont ceux que l'on croise, les soirs d'été sur le plateau, autour des feux et sous les étoiles de l'optimisme, habillés comme pour faire le tour du monde. Les familles parlent l'occitan, ces enfants sortis des calendrètes peuvent tenir tête à un vieux de l'arrière pays. Des valses à trois, à cinq temps, des mazurkas, des champenoises, des cercles circasiens.. les couples tournent, les rondes prêtent de nombreuses mains. Les yeux sont différents à chaque croisement. Une fois au bras d'une vieille dame qui en profite pour donner une petite tape à la fesse de la jeunette, en passant.. une gamine hilare qui d'une grâce toute naturelle, vous apprend les pas complexes... ce jeune homme timide qui vous marche sur les pieds, bafouille... un enfant-de-la-lune qui vous regarde avec de grands yeux sérieux... le mari de madame, élégant et l'oeil brillant... s'esquiver est difficile.
Lorsqu'on y arrive, prendre un peu l'air pour savourer une bière, et regarder les cercles concentriques palpiter, leurs regards se croisent et les sourires sont partagés. Ils ne sont pas ici pour se jauger, ni pour célébrer une messe populaire, il sont simplement venus déguster de la musique, découvrir les racines d'ici et abolir des frontières. Paradoxe. Rares sont les soirées où l'on rencontre tant de cohésion dans un groupe, une foule aux individualités si particulières.
L'amie qui joue de la clarinette dans l'orchestre, au moment de descendre de la scène vous demande :
- C'était bien ?
- Oui.. très. C'est quand le prochain ?
Etes-vous déjà allés à un bal ?
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