La prison de Casabianda, sur l'île de beauté, abrite des détenus responsables de crimes sexuels. Ils se livrent à des réflexions sur leurs actes odieux. Si certains d'entre eux se repentent, d'autres, en revanche, ne semblent pas avoir pris conscience de la gravité de leur geste.
Il s'agit là d'un documentaire diffusé sur France 3 à 0h55, c'était cette nuit. Je suis tombé dessus par hasard, j'ai regardé avec attention.
J'ai donc pu entendre le témoignage de cinq de ces " détenus " un peu particuliers.
Ils sont deux cents sur cette île, au large de la Corse. Enfermés la nuit, ils sont "libres" le jour. Ils peuvent pêcher, jardiner, se baigner, cultiver leur potager, moissonner un champ ... Certains diront peut-être qu'ils voient cela comme une prison quatre étoiles. Plusieurs détenus ont cependant avoué être enfermés, non plus physiquement, mais psychologiquement.
Ils ont parlé d'eux, de ce qu'ils ont fait, pourquoi ils l'ont fait. Certains, assez limités, ne comprennent pas. J'entends encore ce détenu dire à la caméra : " Dehors, c'était pas mieux ".
D'autres, plus aptes à l'introspection, au questionnement, ont suivi sérieusement la thérapie qui leur était proposée. Et ils ont commencé à comprendre. Et moi aussi.
Je me suis toujours demandé ce qui passait dans la tête des délinquants sexuels. Eux ont commencé à parler.
L'un d'entre eux, peut-être le plus clair, a parlé de son enfance. Elle a fini à 12 ans. Comment exactement, on ne sait pas. Ce qui est sûr, c'est que ce ne sont pas des choses que l'on dit devant une caméra, un inconnu. Je le cite : " Ca fait mal de s'apercevoir qu'à 40 ans, on a encore 12 ans ".
Il a pointé du doigt un argument souvent avancé par les délinquants sexuels, argument souvent repris jadis dans les prétoires, et encore utilisé de nos jours dans certains pays : " Elle ment, c'est sa faute, elle m'a provoqué. Moi je n'ai rien fait de mal, elle s'est laissé faire ".
Pour faire un parallèle avec ce genre d'arguments, je vais citer un jeune français vivant à Londres, filmé dans un reportage diffusé sur Planète ce soir aussi. Celui-ci s'excusait devant la caméra et devant lui-même d'avoir volé " une tire ". " Mais la tentation était trop grande, disait-il, je n'ai pas pu m'empêcher, il avait laissé les clé dessus ".
Le raisonnement est le même. Les deux n'ont pas intégré les codes de la société dans laquelle ils vivent. L'un ne respecte pas l'intégrité d'autrui, l'autre ne respecte pas le droit de propriété d'autrui.
Seulement. Ce détenu a reconnu qu'il ne disait plus cela. Grâce à sa thérapie, entre autre. Cela signifie qu'avant, avant son jugement et sa condamnation à 19 ans d'emprisonnement ferme ( plus une période de sûreté non précisée ), cet homme vivait dans son monde de gamin de douze ans, ou autrui est un ami, un partenaire, voire un jouet. Autrui n'a pas de volonté propre, du moins aucune volonté ne valant la sienne.
Il a réussi a reconnaitre non seulement qu'il a fauté, mais aussi l'existence de l'autre, l'altération.
Il est assez significatif d'ailleurs de signaler que celui-ci en arrivant dans cette "prison" se laissait mourir. Il ne comprenait pas. En admettant non plus sa culpabilité, mais surtout sa responsabilité, il a admis sa faute. Dès lors, il a commencé à "revivre", à comprendre.
Dans cette continuité, un autre détenu parle de la victime. Ce dernier a reconnu lui avoir fait du mal, lui avoir détruit une partie de sa vie. En comprenant son acte, et en en parlant, il ne culpabilise plus, mais il reconnait souffrir. Il s'est demandé, devant la caméra, comment il allait pouvoir vivre avec ce souvenir. C'est entrevoir là une solution de vie, mais aussi le suicide.
Tous ceux qui ont parlé, et qui se "repentaient", ont reconnu qu'ils devaient reconstruire ce qui leur manquait. L'un d'entre eux a parlé des ruines de sa vie, qu'il ne pourra jamais reconstruire. Allusion non dissimulée à sa famille, son père, ses frères et soeurs. Personne ne lui a pardonné. Peut-on pardonner ?
Il réclame de l'affection et de la compréhension. Qui pourrait lui donner ?
On voit donc clairement une chose de tous ces témoignages intéressants. Intéressants car ces hommes, criminels sexuels, se sont sorti du gouffre dans lequel ils étaient. Ils ne nient plus leur responsabilité, ils comprennent leur peine, ils savent pourquoi ils sont là. Ils mesurent l'horreur de leurs actes. Le souvenir de leurs crimes n'est plus un mauvais "moment", mais véritablement une torture.
On voit que la thérapie les amène à souffrir. En comprenant ils souffrent. Les autres criminels, qui ne se repentissent pas, n'ont que faire de ces considérations. Peut-être s'agit-il là d'une ignorance volontaire, sorte de protection contre la souffrance, un évitement du suicide. Ou tout simplement pourrait-on croire que les "non-repentis" ne pourront jamais prendre conscience de tout cela.
Intéressants aussi car ce sont les criminels eux-mêmes qui parlent. Ils expliquent. Ils pointent du doigt ce qui n'a pas fonctionné chez eux, ce qui leur a fait commettre l'irréparable. Souvent l'enfance, souvent un manque d'éducation, parfois au contraire une ignorance totale de l'autre, de la femme.
Il ressort de tout cela un sentiment d'aveuglement de leur part. Ils ne savaient pas qui ils étaient. Ni ce qu'ils faisaient. L'un d'entre eux l'a bien dit : " Je ne savais pas qui j'étais. Maintenant, je me pose cette question face à la mer. " Aveuglement, ignorance, manque d'éducation, d'affection, manque de questionnement. On pourrait là rejoindre le sujet sur la philosophie. A quoi sert-elle, quel est son avenir se demandait Khronos. Elle pourrait déjà servir à ça. A se demander qui l'on est et ce que l'on fait. Et pourquoi on le fait.
J'ai cru comprendre, pour conclure, que le délinquant sexuel, quelle que soit sa catégorie socio-professionnelle, est quelqu'un qui s'ignore. Il ne sait pas qui il est. Tout ce qu'il sait, c'est qu'il a un organe sexuel qui lui donne la jouissance quand il s'en sert. Point de méchanceté ici. Et d'ailleurs, l'un d'entre eux le dit bien : " Je n'ai jamais frappé quiconque, je ne suis pas violent, je n'avais pas de casier judiciaire. Je ne savais pas ce que je faisais, au fond ".
Et là, nous trouvons la faille. Ces hommes, ces criminels, nous renvoient à nos propres défaillances masculines. Vous êtes des hommes, soit. Vous avez une vie sociale, certes. Mais savez-vous réellement qui vous êtes ? Quelle est la barrière mentale qui nous, me, sépare de ces criminels ? Peut-on la percevoir, l'imaginer, la concevoir ? Quelles sont nos limites ?
En me rappelant de plusieurs affaires de pédophilie, notamment, je me souviens de ces notables inculpés et condamnés. Ces avocats, notaires, hommes politiques, scientifiques. Tous condamnés. Savaient-ils qui ils étaient ? Doit-on penser que cela peut arriver à tout le monde ? Certainement pas, ce serait ébranler trop d'idées reçues, et faire une généralité honteuse. On pourrait dire que personne n'est à l'abri, qu'il s'agisse d'un ingénieur ou d'un éboueur.
En somme, ces hommes m'ont fait peur, je l'avoue, car ils semblaient "sains". Or, ce qui semble être sain renvoie à la normalité, et donc à ceux " qui n'ont jamais rien fait de mal, ou de grave ", c'est-à-dire moi, nous, vous.
Il est évident que l'immense majorité des hommes n'est pas constituée de criminels sexuels en puissance. Par contre, entendre la minorité de délinquants sexuel repentis s'exprimer, comme après avoir enlever le masque de l'ignorance ontologique, s'être sorti d'une épaisse fumée, c'est entendre parler des rescapés. On se rend compte qu'ils ont été mauvais, certains d'entre eux disent avoir été " le mal ". On se rend aussi compte qu'il leur manquait quelque chose. Certains diront une case. J'opterais pour un raté de la vie, qui leur a fait ignorer un concept fondamental mais complètement abscons, qui ne s'apprend pas mais se vit : l'amour.
Note : Je n'excuse pas leurs actes. De plus, ces hommes ont été condamnés, la plupart à des peines supérieures à 15 ans d'emprisonnement, peines toutes méritées, même si l'un des détenus se plaignait de la longueur des peines en France pour les délinquants sexuels, je n'étais pas d'accord avec lui sur ce point.
Je respecte la douleur des victimes de leurs actes, n'allez pas me taxer de je-ne-sais-pas-quoi au grand coeur.
J'ai juste essayé de transmettre ce que j'ai partiellement compris du comportement de ces hommes. Et aussi, de ce que j'ai pu découvrir sur la nature humaine. Ces détenus m'ont sûrement plus ouvert les yeux que n'importe quel psy.