[BG] Broc - Hibernia - Une armure pour un guerrier !

 
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Earaidh dodelinait de la tête, les yeux légèrement clos, la vue troublée. Des flammes dansantes, des gerbes d’étincelles, l’odeur douce de l’acier maintes et maintes fois choqué. Il ferma un peu plus ses yeux, sombrant dans un abîme insondable, gouffre noir de pensées… Ses muscles noueux se contractèrent sous le plastron d’écaille.

Il fallait combattre. Battre et vaincre. Immuable credo. Sa mâchoire se contracta un instant, comme pour affirmer ce en quoi il croyait. Le fer, le sang, le feu, l’odeur acide du bois brûlé, le raclement des pierres contre le métal. Chocs, tressaillements, hurlements d’agonie, cris de guerre. Grincement du bouclier contre bouclier, sifflement annonciateur, puis le Silence. Ses traits se détendirent, le tatouage bleuté barrant ses yeux comme une larme éternelle sembla s’élargir sous le relâchement des muscles du faciès. Silence, hâvre de paix, puis une clameur, sourde, grandissante, un improbable rugissement de victoire ou de rage. C’était en cela qu’il croyait. Au Sang abreuvant la Terre Sacrée. A la gigue grotesque, valse indicible, des combattants. A l’ivresse de l’Ichor, coulant sur les mentons, comme nectar sacré. Au cœur pulsant dans les veines le liquide pourpre, s’échappant de multiples plaies en ruisselets carmin pour finir par se confondre à l’ocre de la Terre et teindre le vert de l’herbe piétinée et écrasée. Sentir le temps se dilater, le temps de voir son avenir à travers la fente d’un casque, sentir le temps se contracter sous les coups de boutoir. Être ivre et maître. Kernunnos pouvait bien être Maître des Forêts, connaissait-il quelque chose à l’inaltérable jouissance du guerrier ? Surtout celui qui est enraciné, devenu roc de volonté ?Les Chants en donnaient une vision, mais quelle infime parcelle ! Comme en écho à ses pensées, il entendit un pincement de cordes, doux et pourtant intrus. Sa main tâtonna un instant, et rencontra son long bouclier blasonné d’une harpe sur sable et argent écartelés. Eireann…

Une main le secoua doucement. Earaidh ouvrit les yeux vivement, la main qui traînait près de son bouclier se portant instinctivement au coutelas à sa ceinture. Mais aussitôt, il le remit au fourreau, voyant le visage de Comghan dans son champ de vision. Comghan, son cousin, celui avec lequel mille et un coups avaient été faits du temps d’une jeunesse désormais révolue et lointaine. Comghan, son frère d’esprit, si ce n’était par le sang. Un visage resté juvénile et beau, la même toison rouge sanglant que la sienne. Il était maculé de suie, mêlée à la sueur. Ses yeux étaient rougis par l’âcreté de la fumée, le cuir durci de son tablier noirci par les flammes de la forge. Comghan, devenu un artisan. Earaidh ne sut s’il grimaça à cette pensée ou à celle de sa réaction disproportionnée envers son cousin, son frère. Comghan se redressa de sa grande taille, dégageant le champ de vision d’Earaidh, lequel s’aperçut d’une autre présence. Une forme longiligne, couronnée d’épis de blés, assise dolemment entre deux racines d’un arbre gigantesque. Cette même forme pinçait les cordes d’un luth d’un air absorbé et rêveur. Dylwin. Le barde à moitié Gaël, mais avant tout membre de l’Agus Neart Fiain. Du même clan que le sien. Earaidh ne l’aimait pas. La répartie du barde pouvait être aussi prompte qu’une flèche, et Earaidh savait que les mots faisaient parfois plus mal que les armes aussi acérées fussent-elles.
« - Ton armure est prête, cousin ! » Elle brillait, là, près de la forge. Le jour pointait à travers les épaisses branches des Grands Arbres d’Hy Brasil, donnant un éclat particulier à l’armure, une aura douce de féerie. Earaidh sentait son cousin Comghan, pas peu fier de son œuvre. Et il avait raison de l’être. Les fines ciselures n’altéraient en rien la forme d’austérité du haubert d’écailles. Elle lui irait comme un gant. Ses armes étaient prêtes aussi. Son bouclier, confectionné par Levaillant, luisait doucement, faisant ressortir la Harpe. Il leur manquait pourtant une étincelle, une flamme magique qui renforcerait leur puissance. Earaidh se leva, posa sa main sur l’épaule de Comghan, le regardant avec un air qui se voulait reconnaissant. Il savait qu’ils offraient un curieux contraste. Le petit champion, trapu, aux jambes torses, mais aux bras épais, le visage laid, barré définitivement d’un tatouage bleu, la bouche fine, presque invisible encadrée par un bouc roux commençant à tirer sur le gris, les yeux bleus marqués de férocité et d’énergie brutale. Et en face, le grand protecteur, athlétique et haute stature, tout en finesse et bonnes proportions, le visage imberbe dont la beauté était renforcé par les boucles rousses tombant sur le front et le menton volontaire. Le Sanglier et le Cerf.
Earaidh se saisit de l’armure, chargeant un cheval, puis s’en alla après avoir donné une dernière accolade à Comghan. La route allait être longue jusqu’à Tir Na Nog, la Ville aux dômes d’or, aux pavés de marbre blanc et ses toits d’obsidienne en croupe.

Elle avait déjà été longue la route. Arriver là n’avait déjà pas été aisé. Earaidh afficha une impression vaguement étonnée alors qu’il se souvenait. Une foule de souvenirs remontaient à la surface de ses pensées. Souvenirs de forteresse de pierre, d’un homme en armure, visage sévère penché sur lui. Souvenir de flammes fascinantes montant d’un foyer crépitant. Caechan, son père, discutant avec le Seigneur Muire. Impression de calme et de volupté. Puis le déferlement, une vague de violence brusque, vague qui le porte encore sur les Sentes… Flèches qui sifflent, odeur de souffre, cris de guerre, coups sourds des béliers, craquement du bois, cliquetis des armes, yeux fous de terreur, le feu. Caechan qui disparaît. Fiodh, du clan Muire, tombant des remparts, poussé par l’ennemi… L’étendard vert et or qui flotte encore sur la plus imposante des tours… Puis le Silence, le désert… Juste l’odeur de putréfaction, de brûlé…A partir de là, les souvenirs affluent plus rapidement… Ce beau visage de femme entre deux âges, aux yeux si doux. Malgven l’Ancienne, de l’Agus Neart Fiain, qui l’emmène à Connla…Heureuses années passés avec le Clan, premières beuveries et rixes en compagnie de Comghan. Puis l’âge de la maturité. Il se souvient que Malgven l’avait doucement appelé, de sa voix devenue éraillée par les ans :
« - Fils, tu changes de jour en jour. Tu forcis et ton esprit a grandi. Maintenant, il faut lui donner une forme…
- Une forme ? Que voulez-vous dire, mère ?
- Plusieurs voies se présentent à toi. Elles sont comme un immense arbre, des branches, puis des ramilles. Tu es l’écureuil, tu dois grimper sur cet arbre et en récolter les fruits. Que deviendras-tu ?
- Je ne sais pas, Mère… A vrai dire, je n’y ai jamais songé…
- Hum, tu as passé trop de temps à boire, rêvasser, faire des bêtises. Il est temps d’avoir un esprit pour réfléchir ! » Earaidh se souvint du rire redevenu subitement cristallin de Malgven.
« - Aide-moi, Mère !
- Le Sentier des Arcanes ? Il est bien trop étroit et tu n’as jamais montré un don bien précis et talentueux de magie… Devenir empathe ne te conviendra sûrement pas… Le Sentier de la Nature ? Oublions, tu es incapable de faire la différence entre des groseilles et de vulgaires baies rouges empoisonnées… » Earaidh rougit, se souvenant d’avoir été malade comme un chien…
« - D’autant que je ne ressens pas en toi un don d’empathie, une capacité à comprendre la Nature. Tu n’es pas patient, et les Énigmes ne te sont jamais favorables. Tu ne connaîtrais aucun Secret. Le Sentier de la Nuit ? On t’entend arriver à dix
liogs, et tu n’as jamais cherché à te cacher. Seul le Sentier des Armes te conviendrait. Tu es petit, trapu, tout en puissance et bagarreur. Quelle Voie suivras-tu ? »
Earaidh tenta de se remémorer des enseignements, mais il avait oublié. Et il voyait sur le visage de Malgven qu’elle savait. Il baissa les yeux.
« - Trois Voies te sont ouvertes. La Voie des Anciens qui fera de toi un Protecteur. Mais seul l’Esprit de Kernunnos les choisit. Et sur ton jeune front, je vois qu’il ne t’a pas choisi. La Voie de l’Harmonie ? Deviendrais-tu un finelame ? Tu es petit, trapu, tout en roc, aurais-tu leur souplesse et leur réactivité ? J’en doute. Il te reste la Voie de l’Essence. Si ton don de magie n’est pas précis, je le sens au fond de toi, flammèche qui ne demande qu’à se réveiller et à être canalisée. L’Essence est source de toute chose. De la Nature comme la Magie. Tu deviendras Champion. »
Ainsi, s’engagea-t-il sur la dure Voie de l’Essence, apprendre à manipuler la force de la Terre, et les effluves de mana…
Tir Na Nog se profilait à l’horizon. Le Ruadhan mena le cheval chargé de l’armure par la crinière. Entrant par la Porte de Mag Mell, il gravit lentement les marches jusqu’à Alainn Cuir, le palais de la Capitale. La foule se densifiait à l’approche des murs du Palais, et Earaidh dût s’arrêter et monter sur une borne, pour dépasser les épaules des grands Firbolgs et Elfes. Voilà, il voyait une cape poussiéreuse portant la harpe, un grand firbolg à la tête dénudée, ceinte d’une couronne de feuilles. Oliour Bradechêne le Druide des Maraudeurs d’Eireann l’attendait visiblement. Earaidh s’approcha de lui avec un sourire. Oliour lui donna une tape amicale ; se tournant vers le cheval, il observa les pièces d’armures et les armes, avec un œil connaisseur. Puis, sans aucun effort apparent, souleva le haubert d’écaille. Earaidh s’éloigna un peu, s’asseyant sur le rebord d’une fontaine, et commença à observer le Druide. Oliour se mit à travailler, confectionnant avec main de maître des pierres, des joyaux, leur insufflant la magie de la Nature et celle d’Au-Delà du Voile. Le voir façonner avec lenteur et minutie fascinait Earaidh. Chaque pierre semblait susurrer au Druide quelque chose. Tout comme la Terre d’Eireann murmurait et chantait aux oreilles du petit guerrier…

Oui, c’était pour cette Terre qu’il combattait. Une Terre unissant Féerie et Nature. Force du Roc et Effluves Magiques. Une harmonie établie depuis des cycles et des cycles, des étés et des hivers. Harmonie que les Cercles de Pierre symbolisaient. Baer-Gaeddon en était l’un d’eux. Grand et majestueux, dolmens dressés vers le firmament, lueur du soleil sur le roc gris des Menhirs…Il avait rejoint les Veilleurs du Baer-Gaeddon, puis doucement, gravit la hiérarchie, imposant sa pugnacité jusqu’à devenir le Ceannard, le Seigneur de Guerre. Tâche lourde pour un homme n’aimant que la Guerre et la Nature, deux véritables amantes. Ça n’avait pas duré, les dissensions, le dégoût…reprendre sa liberté, redevenir simple Lucht Na Feighil. C’était aussi l’époque de la découverte du Chant des Anciens Jours, antique poème surgi des Temps Révolus. Ode qui confirmait l’état d’esprit d’Earaidh. Son chemin le mena jusqu’à l’Assemblée, réunissant sous la férule d’un groupe d’émissaires, des guildes, des clans, des familles. Le visage de chaque diplomate lui revenait doucement en tête : l’altier Feroas, Aktaress, Alakhnor, Shaitan… Mais l’Assemblée ne dura pas, chacun disparaissant les uns après les autres…A nouveau libre et seul… Jusqu’à rejoindre les Maraudeurs d’Eireann, Confraternité basée sur le Chant des Anciens Jours. Revoir les visages familiers. Ysild Yr Ellyon, la douce demi-elfe, Comghan, son cousin, Myriald le lurikeen mystérieux, Oliour le Druide, Edrahil le ranger et tant d’autres. Mais cela n’empêche pas les traversées de désert, les errances sous les hêtres et la solitude…

Jusqu’à aujourd’hui… La nuit étendait son voile d’obscurité sur la Cité Blanche. L’éclat des dalles des marbres diminua, la foule se dispersa doucement, lentement. L’armure était bientôt terminée. Earaidh voyait Oliour finissant de sertir les dernières pierres à l’armure. Un instant, le champion crut apercevoir des ondes, des effluves dorées parcourir les entrelacs des écailles. Puis l’armure redevint elle-même. Oliour lui fit signe, Earaidh le rejoignit et le remercia, plein de reconnaissance. Elle était prête. Les masses et le bouclier aussi.

Il allait pouvoir rejoindre ses amantes à nouveau. La Guerre, la Mort, la Nature.
 

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