Ce roman est excellent, pas son meilleur ouvrage peut-être, mais excellent néanmoins. Par contre, il me semble que si tu ne l'apprécies pas, c'est parce que tu passes complètement au travers de son intérêt.
L'ouvrage est autant une histoire sérieuse des littératures et doctrines ésotériques que La philosophie dans le boudoir de Sade est un manuel de savoir-vivre pour les enfants de l'aristocratie catholique.
Le coeur du roman c'est le bout de texte mystérieux auquel il manque des éléments et qui doit être interprété. Avant d'être romancier, Eco est sémiologue, et un de ses centres d'intérêts est le rôle créatif de l'interprète et du lecteur. Et la plupart de ses romans reprennent de manière récréative le thème d'ouvrages plus sérieux (pour le Pendule : Lector in fabula, Interprétation et surinterprétation, Les limites de l'interprétation, L'oeuvre ouverte). Et sur ce texte à trous, deux interprétations sont échafaudées : l'une méthodique et rigoureuse par la femme d'un des personnages principaux suivant les principes de la raison méthodique, l'autre plus farfelue qui voit un complot Templier à travers les âges et échafaudée suivant les principes de l'association symbolique qu'Eco pense trouver à la base de la plupart des ésotérismes (ce qui expliquerait leurs facilités syncrétiques, syncrétisme que tu mentionnes toi-même en rappelant les différentes doctrines inspiratrices des Maçons).
Après, c'est le prétexte à un voyage hilarant dans une relecture des textes ou doctrines, ésotériques ou non, essentiels de notre civilisation. Parfois Eco pousse le jeu jusqu'au métatexte, c'est-à-dire la composition de son propre texte à partir d'éléments d'autres textes (mais beaucoup moins que dans le Nom de la rose, loin de là). Mais le jeu ne marche que si tu connais les textes auxquels le clin d'oeil est fait. On ne peut apprécier une déviance que par rapport à une référence, sinon tout tombe à plat. Une relecture farfelue de Kant n'est croustillante que si on connaît Kant. Une relecture croustillante du procès des Templiers ou du Baphomet ne l'est que si on a au moins de vagues notions du sujet. Bien sûr, si on découvre les thèmes avec le roman, on a tendance à tout prendre au pied de la lettre, et on retombe sur ton message qui tombe dans la critique facile et à côté de la plaque du "c'est pas vrai, ses hypothèses c'est n'importe quoi". En plus c'est érudit mais toujours de façon discrète : si tu ne connais pas tel ou tel thème, tu ne vois simplement pas le ou les clins d'oeil, mais tu n'es jamais écrasé par une prétention de sa part (alors qu'il pourrait jouer du registre : blabla, professeur au Collège de France, blabla, club des 5, blabla, j'sais tout et toi tu sais rien).
C'est parti dans la critique par le procès d'intention... Ca me manquait... Merci pour cela.
Procès d'intention ? Oui, car mon intention n'était certainement pas de faire usage d'un soit-disant argument d'autorité pour étayer ma thèse... Juste pour mentionner une anecdote qui, personnellement, me fait rire ("le Club des 20" d'un copain prof de philo à la fac - l'anecdote aurait été beaucoup moins drôle, de mon point de vue, si je n'avais pas mentionné la fonction du fondateur de ce club).
A savoir si ce roman est excellent, subjectivement, je ne le dirai pas, car ce roman ne m'a pas spécifiquement plu.
Objectivement, par contre, certainement pas. Car cet ouvrage n'est pas un roman. C'est un quasi-essai, comme l'ensemble des romans d'U.Eco qui ont suivi Le Nom de la Rose. En tant que roman, cet ouvrage ne m'apparaît donc certainement pas - objectivement - comme excellent.
Subjectivement, ce n'est pas le cas non plus (mais ça n'engage cette fois que moi). Comprenons-nous, car il semble qu'il y ait une mauvaise interprétation du reproche que je fais à Umberto Eco. Outre l'érudition et l'argumentaire sémiologique qui forme la construction de l'ouvrage - et qui est d'une lourdeur relativement insoutenable pour le "non-initié" que je suis - , l'ouvrage demeure cependant "sympathique" de par la connaissance qu'on peut y trouver : un exposé intéressant des sociétés secrètes et de leur évolution au cours des siècles avec la renaissance du syncrétisme ponctuel. Dommage qu'il y ait des encyclopédies sur la question...
Non, ce n'est pas cette dimension syncrétique que je reproche à Umberto Eco, bien au contraire. C'est la chute de l'ouvrage. Le dernier chapitre est tout simplement ridicule. Il tombe à plat, et fait se dégonfler de manière spontanée (et avec une violence peu crédible, en réalité) l'ensemble du soufflet qu'avait élaboré l'auteur (et les personnages). D'un point de vue romanesque (car je rappelle qu'il s'agit d'un roman), l'ouvrage perd de manière absolue tout son intérêt, et laisse le lecteur dans un état de frustration. C'est simple : on ne voit pas où veut en venir l'auteur. Schématiquement, par un jeu de l'esprit, il reconstruit la thèse du syncrétisme par l'interprétation sur plusieurs siècles et... la déconstruit de manière brutale sans style, sans note artistique, sans scientificité, sans crédibilité, sans pertinence, sans signification, sans rationalité, sans argumentaire, et... sans raison.
Je veux bien que son intention était de faire la démonstration pseudo-romanesque de ses théories et réflexions d'essais sur la sémiotiques et la place de l'interprétation... Mais pour le lecteur lambda que je suis - parce que, par méconnaissance, la sémiotique, je m'en bats l'oeil avec un torchon de cuisine - cet ouvrage n'a strictement, en terme de romance, aucun intérêt.
Il emprunte un thème (celui du syncrétisme ésotérique et de ses renaissances dans les siècles) pour en faire le vecteur d'une réflexion qui a sans doute un sens pour lui et ses lecteurs érudits, mais qui n'en a pas pour le reste. Il retire, par ce biais, toute signification (positive ou négative, affirmative ou infirmative) à la question du syncrétisme ésotérique. Bref, il tombe complètement à côté de la plaque... Tu m'indiqueras "Mais c'est parce que tu es passé à côté de l'intérêt de cet ouvrage" ou "Tu démontres justement la question de la fable du lecteur qui interprète ce qu'il a envie de lire et de découvrir". Et tu auras sans doute raison... Et, justement, c'est dans ce cadre que je me permets de dire, en lecteur, que je ne me sens pas avoir été respecté par Umberto Ecco : j'ai tout de même le droit d'avoir mon opinion sur un roman qui ne me semble pas en être un, me semble-t-il, non ? J'ai présenté mes arguments.
Pour ce qui est des petites "attaques" un peu rapides, je t'ai déjà répondu pour le procès d'intention, mais pour le reste :
Bien sûr, si on découvre les thèmes avec le roman, on a tendance à tout prendre au pied de la lettre, et on retombe sur ton message qui tombe dans la critique facile et à côté de la plaque du "c'est pas vrai, ses hypothèses c'est n'importe quoi". En plus c'est érudit mais toujours de façon discrète : si tu ne connais pas tel ou tel thème, tu ne vois simplement pas le ou les clins d'oeil, mais tu n'es jamais écrasé par une prétention de sa part (alors qu'il pourrait jouer du registre : blabla, professeur au Collège de France, blabla, club des 5, blabla, j'sais tout et toi tu sais rien).
- je n'ai pas découvert les thèmes avec le roman (ou défini comme tel), je les connaissais bien avant cette lecture - heureusement - l'argument ne tient donc pas ;
- ma critique n'est pas facile puisque, d'une part, je n'ai jamais dit que "c'est pas vrai, ses hypothèses c'est n'importe quoi", et puisque, d'autre part, la critique facile serait plutôt de dire "Umberto Ecco, c'est excellent, c'est un érudit, humble et merveilleux" - facile car c'est ce que l'on entend de la part des médias et autres critiques de littérature ; la seule chose que j'ai dit, en faisant référence au Diotallevi de son ouvrage, c'est qu'il a utilisé la reconstruction sporadique du syncrétisme ésotérique dans un sens et une finalité qui ne m'est pas apparue comme pertinente ;
- pour ce qui est de l'érudition non écrasante, elle peut l'être (non écrasante, j'entends) à une condition, dans un roman : que le roman soit servi par l'érudition et non pas l'inverse. Or, c'est justement l'inverse qui est mis en place par Umberto Ecco ; dans ce cas, je préfère me réfugier dans ses essais (que je n'ai pas lus puisque je suis échaudé par ses romans, à l'exception de Baudolino que je n'ai pas lu - si "Le Nom de la Rose" a été un plaisir, en mettant entre parenthèses une érudition trop confuse à un certain degré, mais qui était au service d'une histoire passionnante, "L'Ile du Jour d'Avant", a contrario, a été un calvaire, pour moi, qui m'a conforté dans l'idée de l'étalage anti-romanesque des tentatives successives d'Umberto Ecco).
Ma conclusion personnelle (et je n'irai pas reprocher à quiconque le droit d'avoir apprécié cet ouvrage, comme je n'irai pas reprocher à quiconque de ne pas avoir apprécié un ouvrage que j'aurais aimé, sous prétexte qu'il n'aurait pas compris le sens inhérent et l'intention de l'auteur) est simple : Le Pendule de Foucault est un ouvrage sympathique, pas vraiment un roman, très intéressant pour celui qui cherche à élaborer ou tenter d'approcher l'histoire du syncrétisme ésotérique occidental (ceci dit, sans parti pris), mais qui risque, à mon avis, de rester sur sa faim quant au sens romanesque, d'une part, et quant au sens de la réflexion pour le thème du roman, d'autre part.
PS : Sans rancune et sans agressivité... Zen, Caepolla, zen... Tu avais pourtant commencé ton message avec sympathie, mais sur la fin, ouille !