« Oyez, oyez !
Bardes, Ménestrels ou encore conteurs d’outre monde , Venez et faites vous connaître :
Nos érudits savent apprécier la finesse de la plume, et se laisse aisément caresser les oreilles par de fascinantes aventures, des passionnantes diatribes ou encore d’émouvantes aubades..
Venez, et ne craignez pas d’être interrompus par des barbares sans cervelle, incultes et n’ayant goût que pour les querelles sans saveur.. »
Comment résister ?
La curiosité tout d’abord m’avait attirée : je me targue d’être une des conteuse de mon Royaume et je n’ai que pour désir lui faire honneur en narrant mille et un récits. Les Tavernes bien que chaleureuses le sont parfois un peu trop et il est difficile en certaines circonstances de terminer une histoire..
Ainsi donc, je roulais ce parchemin que j’avais vu sur une des tables et le mettais dans ma besace en rêvant liberté, petits nuages et angelots jouant de la lyre.. Une image qui me fait bien souvent sourire lorsque l’encre sur ma plume sèche, et que l’inspiration me fait défaut..
Me dirigeant vers ce lieu où nous autres pourrions nous exprimer devant un public averti, je me répétais ces histoires que je connais par cœur, prête à faire face à la foule. Arrivés sur place nulle gigantesque porte, ou encore affiche aux couleurs vive, mais une entrée minuscule, une petite porte où nous entrons discrètement, et par laquelle nous ressortirions de la même manière..
Ca ne me semblait pas si curieux alors : dans une totale euphorie je songeais que l’on protégeait les artistes d’éventuelles réactions hystériques..
J’essaie de voir la Salle tant crainte, mais un rideau lourd et opaque m’empêche d’entrevoir l’intérieur.. Tant pis.
Attendant le moment où l’on m’appellera je regarde autour de moi. Je connais cette ville presque par cœur, jusqu’aux pieds du tour à bois, pourtant tout prenait une dimension nouvelle : l’effet de la découverte, sans aucun doute.
Déjà vêtus de leurs parures les plus chatoyantes ils venaient, et allaient, certains chantonnant sur un ton plutôt tendre une ballade mélancolique, d’autres faisant des mimiques terribles, où l’on devine une action dans les mots ; il me semble presque sentir l’odeur du sang alors qu’un barde narre une lutte, serrant fort son instrument de (mort ?) musique..
Bien qu’effrayée à l’idée d’être jugée, je ressens une espèce de paradoxe tout comme à chaque fois que je vais me raconter : j’ai hâte et peur à la fois.. L’histoire que j’ai choisie pour un premier passage dans ce nouvel espace est volontairement court, cela me permettra de m’habituer à la fois au lieu, et aux réactions.
J’essaie de me rassurer, et d’attraper au vol quelque personne qui aurait déjà participé, mais la si discrète petite porte est décidément invisible de là où nous attendons notre tour.
Lorsque enfin j’entends mon nom, je reprend mon souffle et m’avance d’un air assuré.. Souriant à la firbolg aux allures de virago je la suis, et elle me mène dans un labyrinthe de couloirs et de portes closes, au travers desquelles je perçois des échos de voix et devine, plus que je ne vois, que ce sont d’autres scènes..
Arrive enfin celle où mes pieds fouleront le sol..
La pénombre m’agresse aussi violemment qu’aurait pu le faire un sort bien connu de nos mages.. Fronçant les sourcils un bref instant, je m’approche, tentant désespérément de capter le regard d’une personne, n’importe qui.
N’y parvenant pas je commence ma tirade en me concentrant sur un point fixe.. Je félicite et remercie mentalement ce public qui sait décidément si bien apprécier la verve littéraire, et m’attend en fin de texte à un signe de «vie »..
Leurs ombres que je devinais, une fois habituée à l’obscurité, semblaient irréelles tant elles étaient fixes..
J’essaie de concentrer mon regard, sur un point précis. Ce qui m’apparaît alors me glace le sang, tout à coup, et j’espère que le Miroir des Ames n’a de miroir que le nom..
Je ne vois le visage de l’elfe que de trois quart, mais je prie pour qu’elle ne se retourne pas vers moi : j’y verrais probablement alors de la frustration, car la liberté que l’on m’accorde à moi de m’exprimer est en partie payée par la sienne que l’on ampute..
Si d’un seul coup la lumière devait se faire, dans toute la pièce, nous verrions alors des visages bâillonnés..
Ainsi donc, le mystère est levé : un lieu si parfait, où nulle boue n’entache l’Art qui s’élève aussi haut que l’oiseau libre, n’est en fait qu’une illusion..
Je pars troublée de cet endroit..
Je vois les autres artistes qui attendent et je me demande ce qui pousse ceux qui nous recherchent, à venir nous écouter exécuter ce concerto pour âmes livides et miroir brisé..
Un jour viendra où le plaisir de le faire disparaîtra, faute de ne pouvoir rire, pleurer, vibrer au même rythme que le conteur ou la conteuse..
Ce même jour il n’y aura plus besoin de bâillon, pour les empêcher d’approuver, ou exprimer un mécontentement..
Ce jour là, plus personne n’aura envie de rêver..
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