Du fond de sa cellule, Carlos fait l'apologie de l'"islam révolutionnaire"
LE MONDE | 25.06.03 | 13h29 • MIS A JOUR LE 25.06.03 | 15h56
Condamné en France à la prison à perpétuité, l'ancien chef terroriste publie un livre vantant l'exemple "lumineux" de Ben Laden.
Du fond de sa cellule, Illitch Ramirez Sanchez, dit "Carlos", a écrit un brûlot. Les attentats ne sont plus à sa portée : Carlos a donc pris la plume pour prolonger son sanglant itinéraire de mercenaire du terrorisme international - de "révolutionnaire professionnel", selon sa définition.
A 55 ans, celui qui fut le chef terroriste le plus célèbre des années 1970-1980 appartient au passé.
Ses soutiens étatiques et ses sponsors les plus sûrs (Georges Habache, l'ancien dirigeant palestinien, en tête) ont disparu de la scène internationale post-soviétique. Détenu en France depuis que ses anciens protecteurs soudanais l'ont livré, en 1994, à la police française, Carlos a été condamné à la prison à perpétuité, en 1997, pour avoir tué deux policiers français et leur informateur libanais. Et il attend encore son jugement dans plusieurs autres dossiers d'attentats terroristes.
Son livre, le premier signé de sa main, est hors norme. La genèse de l'ouvrage ne manquera d'ailleurs pas d'intéresser le ministère de la justice, puisqu'il a été écrit en prison, où les correspondances des prévenus avec l'extérieur sont habituellement filtrées par l'administration. Commencé à la Santé, où le détenu a été placé pendant huit ans à l'isolement, son travail d'écriture s'est poursuivi, depuis un an, dans la maison centrale dite de "haute sécurité" de Saint-Maur-Bel-Air (Indre).
La couverture indique que l'ouvrage est composé de "textes et propos recueillis, rassemblés et présentés par Jean-Michel Vernochet". Ce dernier est un journaliste qui avait fait paraître, en 1999, dans l'hebdomadaire VSD, un entretien avec ce détenu qu'il n'a jamais rencontré. Il explique avoir été la "cheville ouvrière" du livre, après avoir recueilli un ensemble de "lettres privées", d'"interviews" et de "textes de réflexion" rédigés par Carlos.
Le manuscrit définitif a fait l'objet d'une "relecture pointilleuse et minutieuse" de la part du détenu, selon son coauteur. L'introduction de Carlos à l'ouvrage (L'Islam révolutionnaire ; 274 pages ; Editions du Rocher) est datée du 31 mars 2003.
Occultant la voix des victimes, Carlos se pose en doctrinaire du terrorisme et tente une justification idéologique des attentats dans le monde de l'après-11 septembre 2001. Le "totalitarisme américain" est l'ennemi principal de cette lutte armée, au cœur de laquelle Carlos met toujours "l'occupation des lieux saints de l'islam dont Jérusalem fait évidemment partie" et "le déni de justice fait au peuple palestinien".
Mais sa pensée est mise au goût du jour, et donc de l'islamisme radical. Le récit décrit la métamorphose d'un individu passé de l'Internationale communiste à une sorte d'islamo-marxisme. Une seule solution à "la décadence morale et spirituelle des "démocraties"", assure Carlos : "l'islam révolutionnaire", qui "s'attaque aux classes dominantes dans le but de parvenir à une répartition plus équitable des richesses".
La conversion religieuse de l'ancien "bon vivant", amateur de whisky et de femmes, s'est opérée en deux temps. Le premier, survenu à l'âge de 25 ans dans un camp d'entraînement du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) au Yémen, a été illusoire. Le second, non daté, a vu "un mollah iranien, Abou Akram, proche des Moudjahidines du peuple d'Iran" lui ouvrir "un long chemin de maturation morale et spirituelle". En 2001, Carlos s'est marié, selon la charia (loi islamique), à son avocate, Me Isabelle Coutant-Peyre. Plus politique que mystique, il assure que "l'islam a renforcé -ses- convictions révolutionnaires". "Par sa seule force révolutionnaire, l'islam est peut-être aujourd'hui la seule force transnationale susceptible de s'opposer à l'asservissement des nations", note celui pour qui l'exemple d'Oussama Ben Laden est "lumineux". Dès lors, les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone sont présentés comme "un haut fait d'armes". Le vieux terroriste est toutefois conscient de "la profonde ambiguïté du 11 septembre" qui a été "mis au service de l'expansionnisme américain et de ses buts de guerre".
Carlos est persuadé que la politique impérialiste américaine est une constante intangible : "Les Etats islamiques indépendants qui entendent être maîtres chez eux et filtrer les influences ou les ingérences étrangères, qui veulent librement appliquer la charia, ceux-là doivent disparaître parce que l'islam est un frein, voire un obstacle au "libre" exercice des lois du marché", écrit-il. L'Afghanistan des talibans et l'Irak de Saddam Hussein, mais aussi l'Iran, le Soudan, l'Arabie saoudite et la Syrie, sont les cibles de cette stratégie prêtée aux maîtres de la Maison Blanche. Pour toutes ces raisons, l'ancien "ennemi public numéro un" assure que "le terrorisme va désormais faire partie du paysage quasi quotidien de vos démocraties pourrissantes". Muet sur ses propres attentats, il promet de s'en expliquer, un jour, plus complètement que devant la justice : "J'ai achevé la rédaction de mes Mémoires en novembre 1992 à Amman. Ils ne seront pas publiés avant vingt ans, en tout cas après ma mort."
Erich Inciyan
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 26.06.03
25/06/2003, 16h11
