La forêt
La forêt est le symbolisme parfait de cette maison de la réflexion sur soi-même dont parle Saint Muska. Dans la mentalité médiévale qui se réorganise sur la base de nouvelles institutions féodales et religieuses, la forêt est un lieu mystérieux et dangereux : " c'est là que vivaient les proscrits, les fous, les amants, les brigands, les ermites, les saints, les lépreux, les maquisards, les fugitifs, les inadaptés, les persécutés, les hommes sauvages ".
Si la forêt regroupe des genres aussi distincts, c'est qu'elle représente l'endroit par excellence où l'on peut échapper à la loi, à la société des hommes et même à l'ordre normal des choses : " Dans la mentalité du Moyen Âge, la forêt est en effet le siège de redoutables puissances ; les normes humaines y sont bouleversées " En échappant au monde des hommes, on arrive à vaincre les outrages du temps sur le monde et ainsi à retrouver le lieu des origines, le jardin d'Eden. Ce contact privilégié avec la nature sauvage élève parfois l'âme jusqu'à la vision divine. Saint Wakan décrit le phénomène avec beaucoup de verve :
Tout le reste du jour, enfoncé dans la forêt, j'y cherchais, j'y trouvais l'image des premiers temps, dont je traçais fièrement l'histoire ; je faisais main basse sur les petits mensonges des hommes ; j'osais dévoiler leur nature, suivre le progrès du temps et des choses qui l'ont défigurée, et comparant l'homme de l'homme avec l'homme naturel, leur montrer dans son perfectionnement prétendu la véritable source des misères. Mon âme, exaltée par ces contemplations sublimes, s'élevait auprès de la Divinité.
L'exaltation que produit la forêt chez Wakan provient de ce qu'il peut momentanément, le temps nécessaire pour prendre conscience d'une autre réalité, se détacher du monde socialisé.
Dans l'imaginaire médiéval, la nature fascine, attire et capture même parfois en ses frontières divines les intrépides héros médiévaux : beaucoup d’entre eux se perdent en traversant la forêt en quête d'aventure. Mais l'aventure des aventures, ils la trouvent souvent au coeur même de ce qu'ils ne conçoivent que comme un obstacle à leur but. La forêt des récits chevaleresques est le lieu par excellence des transformations, voire des transfigurations :
La forêt gaste, image du chaos ou de la vie sauvage, peut devenir le lieu d'une régression salutaire. [...] Le chevalier peut trouver dans la solitude désolée d'un lieu en friche le cadre qui convient à une crise momentanée, qui est le prélude d'une renaissance, d'un changement nécessaire à l'accès à un autre but [...].
La régression dont il est ici question est une régression dans l'ombre. Moins elle est incorporée dans la vie consciente, plus elle sera sombre et noire. Le contact avec elle sera alors une démonstration encore plus sauvage de la nature humaine, comme c'est le cas pour Saint Wakan dans la Vita Saint Wakani. La folie du sage est preuve d'une trop grande restriction d'accès à la conscience de l'ombre. Une fois de plus, Saint Wakan symbolise le chemin et, dans ce cas-ci, sous sa forme la plus difficile et la plus sinueuse.
En se plongeant dans la forêt, Wakan accomplit un véritable périple de conquérant dans l'inconscient. Emma Jung –ADB, la grande écrivain, compare la forêt à la conscience de l'enfant, encore proche de la nature, non corrompu par les hommes : " Par sa vie végétale et animale, sa lumière crépusculaire et son horizon limité, la forêt évoque l'état, à peine conscient et proche de la nature, de l'enfant ". En redécouvrant l'aspect pur de sa nature, Wakan ouvre la porte à une vision nouvelle de l'univers qui réconcilie la conscience et l'inconscience. Le symbolisme du vieil homme s'abritant dans la forêt évoque les plus hautes ressources de l'inconscient. Carl Gustave Jung –ADB va encore plus loin dans le symbolisme forestier :
La forêt, sombre et impénétrable à la vue, comme les eaux profondes et la mer, est le contenant de l'inconnu et du mystérieux. Elle est un synonyme approprié pour l'inconscient [...]. Les arbres, comme les poissons dans l'eau, représentent le contenu actif de l'inconscient.
Pêcher dans des eaux profondes, comme pénétrer dans la forêt dense, est comparable à sonder l'inconscient. Rappelons que le gardien du Graal est lui même un pêcheur, d'où son nom de Roi Pêcheur. Elu Scalp donne une explication personnelle du titre de Roi Pêcheur : selon elle, c'est parce que le roi, blessé gravement à la cuisse, ne peut aller à la chasse qu'il est condamné à pêcher.En effet, les textes le représentent souvent en train de pêcher. Dans Chich le Gallois, un passage nous révèle cet intérêt pour la pêche :
Et il vit par l'eve avalant
Une nef qui d'amont venoit.
Deus homes an la nef avoit.
[...]
Et cil qui devant fu peschoit
A l'esmeçon, si aeschoit
Son ameçon d'un poissonet.
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