La détresse

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La nuit était déjà bien avancée lorsque le silence qui régnait dans la salle commune fut troublé par un bruit de pieds nus foulant le sol froid de la pièce. Quelques braises se consumaient encore dans l'âtre, éclairant faiblement d'une lueur rougeâtre le sol devant la cheminée. Cette lueur constituait la seule source de lumière dans les ténèbres environnantes.

Sortant de la nuit, un pied nu entra dans le halo de lumière, suivi d'un autre, l'ourlet de la robe volant à chaque pas, la lueur des braises encore chaudes révélant par transparence le galbe des jambes. La jeune femme s'agenouilla silencieusement, posant les mains sur la cheminée dans un geste qui ressemblait à une prière.

Malgré le reste de chaleur qui émanait du foyer agonisant, la froideur de la pierre au contact avec ses genoux saisit la jeune femme. Le fin tissu de la robe simple qu'elle portait n'était d'aucune protection contre la fraîcheur de la nuit. Le reste de son corps à partir des cuisses était baigné par le reste de tiédeur émis par les braises. Ce contraste de chaud et de froid illustrait bien la tourmente qui régnait en elle.

Les cheveux de la jeune femme étaient noués en une espèce de chignon au-dessus de sa nuque. Ils commençaient tout juste à repousser depuis qu'elle les avait coupés dans un accès de colère et des mèches rebelles s'en échappaient. Cette coiffure manifestement faite à la hâte laissait sa nuque découverte et les broderies du col de la robe se dessinaient délicatement sur la peau de la jeune femme. Ainsi agenouillée devant la cheminée, la jeune femme dévoilait toute sa vulnérabilité.

D'un geste lent, elle appuya son front sur la pierre entre ses deux mains. Aucun son ne parvenait d'elle, à peine pouvait-on surprendre sa respiration. Elle resta ainsi immobile, le temps continuant son cours sans se préoccuper d'elle. Deux gouttes d'eau s'écrasèrent sur le sol devant elle, touchant à peine le sol qu'elles s'étaient déjà évaporées. Les épaules s'affaissèrent légèrement, le dos fut pris d'un tremblement à peine perceptible, mais toujours pas un son ne fut entendu.

L'homme observait la jeune femme de loin. Il l'avait entendue sortir de sa chambre, la sienne qu'il lui avait cédée, passer devant celle qu'il occupait maintenant et qui avait été celle de la jeune femme auparavant. Inquiet, soucieux il l'avait suivie sans se faire remarquer, comme un prédateur chassant sa proie.

Il était curieux de savoir ce qu'elle faisait là, errant seule alors que tous étaient endormis, un fantôme hantant le Caer au beau milieu de la nuit. Il la vit s'agenouiller et ressentit sa détresse quand son corps se mit à trembler trahissant ses émotions. Sans un bruit il s'approcha.

La faible lueur du foyer lui offrit un spectacle qui le laissa interdit quelques instants. L'ombre et la lumière s'accordaient pour révéler et dissimuler le corps de la jeune femme à genoux. Oui c'était une femme maintenant, ce n'était plus la jeune fille sur laquelle il avait posée des yeux moqueurs quand elle lui avait demandé de lui enseigner son art.

Ses cheveux relevés dévoilaient la peau douce de sa nuque, le tissu fin de sa robe épousait ses formes dévoilant sans pour autant complètement montrer. Du regard l'homme détailla la silhouette devant lui, suivant la ligne de la nuque, le creux des reins, l'arrondi des fesses. La jeune femme ne bougeait pas, perdue dans ses pensées, elle ne l'avait pas encore découvert.

Qui était-elle vraiment ? Que faisait-elle dans cet endroit qui lui était totalement étranger et dans lequel rien ne lui parlait ? Qu'allait-elle devenir parmi ces étrangers qui se disaient ses amis mais qu'elle ne reconnaissait pas ? Pourquoi la troublait-il lui plus que tout autre ? Pourquoi était-elle si confuse en sa présence ?

Les larmes coulaient le long de ses joues, des larmes silencieuses qui trahissaient son désespoir. Enfin un sanglot, un seul, rompant le silence, franchit ses lèvres, presque aussitôt étouffé. Le charme pour l'homme fut rompu. Il sortit de sa contemplation, reprenant le contrôle du feu qui s'était allumé en lui.

Il s'avança et posa une main sur la nuque de la jeune femme. D'un bond celle-ci se retourna et se retrouva assise le dos aux braises, apeurée. Pourtant aucun son ne franchit ses lèvres. L'homme découvrit alors son visage, deux lignes brillantes partaient de ses yeux et descendaient le long de ses joues.

Elle leva la tête et son regard se posa sur l'homme debout devant elle, à peine éclairé par le feu mourant. Tout comme elle, il était pieds nus, ne portant pour seul habit qu'un pantalon de cuir. Il paraissait menaçant, se tenant à la frontière de l'obscurité et de la lumière, sa grande taille et sa carrure à peine visibles. Seuls ses yeux brillaient, la lueur des braises se reflétant dans ses pupilles.

Sans un mot il se pencha sur la jeune femme et la souleva de terre d'un geste souple et précis, sa force n'admettant aucune résistance. La jeune femme se retrouva dans ses bras, portée comme un enfant. La chaleur émanant du torse nu contre lequel elle se retrouvait plaquée traversa le fin tissu de la robe et se répandit dans son corps, apaisant ses peurs et ses frayeurs.

Sans y penser elle noua ses bras autour du cou de son ravisseur et posa sa tête au creux de son cou. L'homme la serra contre lui, son souffle chaud lui caressant la joue. Il sentit qu'elle avait recommencé à pleurer silencieusement dans son cou. Sans bruit il remonta l'escalier lentement, prenant soin de ne pas perturber son précieux fardeau. La porte de sa chambre était ouverte, il se glissa à l'intérieur et la referma. Il déposa la jeune femme dans le lit, à l'endroit encore tiède où son corps avait laissé son empreinte.

Alors qu'il voulait se relever pour la laisser, la jeune femme refusa de dénouer ses mains de son cou. L'homme plongea son regard dans les yeux de la jeune femme cherchant un éclair de reconnaissance, un signe qu'il ne trouva pas. Pourtant elle ne voulait pas lui rendre sa liberté. Soupirant il se glissa à ses côtés dans ce lit qui avait été le leur et rabattit sur eux le drap et les couvertures. Elle se nicha contre lui, inconsciente du feu qu'elle ravivait en lui avec ses mouvements. Finalement il la prit dans ses bras et, satisfaite, elle s'endormit presque aussitôt.

Lui mit plus de temps, d'abord pour éteindre le feu qui avait envahi son sang, ensuite pour chasser les pensées qui tourbillonnaient dans sa tête. Elle le voulait avec elle mais rien n'avait changé. Elle n'avait pas voulu le lâcher mais elle n'avait fait aucun geste d'amour. Elle avait eu besoin de lui cette nuit mais demain elle le repousserait encore plus.

Il parvint enfin à ne plus penser au lendemain mais à l'instant présent, sentant son corps contre le sien, les battements de son coeur contre sa poitrine, son souffle régulier dans son cou. Il déposa un baiser sur son front et se laissa happer par le sommeil. Demain serait un autre jour, pour l'instant ils étaient ensemble... Carpe Diem.
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