Puisque personne n'en parle, je me dévoue.
Je me suis donc précipité, lentement quand même c'était hier, voir
Dogville.
Précipité parce que, au risque de m'abîmer dans le forum d'opinion, Lars je l'aime.
Parenthèse : je ne savais par quel mot commencer, j'ai donc pris
ataraxie au pif, j'ignore pourquoi il m'a traversé la tête
Avec pour responsabilité de lui trouver un sens ultérieurement. C'est fait : désignant la quiétude absolue de l'âme (oublions les épicuriens), cet état correspond bien à ce que je cherche au cinéma. Ben non, ce sera pas le divertissement pour cette fois
Partant de là, des "choses" a priori effrayantes ne m'effraient pas : la lenteur d'un plan chez Tarko, regarder un type rafistoler son toit dans "une passion" de Bergman, un film ouvertement mélo, comme "la foule" ou "lucky star".
... Ou comme un Lars. Je l'ai rencontré un peu avant, au temps de l'hôpital fantomatique, mais c'est surtout depuis le bris des vagues que ça boome.
nb : le fait d'avoir cité un lucky star doit nous permettre d'évacuer la question du dogme : là n'est pas la question, on s'en fiche tant que c'est bien.
Donc on revient à Lars. J'ai vaguement constaté quelque chose chez cet homme téméraire : il me prend à rebours. D'habitude j'ai l'amour des formes audacieuses, mais avec lui ça s'inverse. En apparence du moins, et on se permettra peut-être plus loin de réécrire la définition de l'audace film par film.
Brouillon de typologie :
Breaking the waves" : Histoire mélo, forme audacieuse (mais pas nouvelle !). Magnifique chérie !
Les idiots : Histoire audacieuse, même forme que précédemment. Très bien mon chat, très remuant !
Dancer in the Dark : histoire mélo, forme audacieuse (mais pas nouvelle !) Jolis chorégraphies, le reste ce sera couci-couça.
Dogville : histoire mélo gnian-gnian, forme audacieuse (et nouvelle au cinéma, même si on lui trouverait bien des petits frères). On garde au chaud pour la fin.
Voyez comme c'est difficile de juger de l'audace : ça bouge sans arrêt, selon l'époque à laquelle on regarde. Originale en 90 ou 92, la caméra-fofolle est bateau 4 ans plus tard, forcément. Bâteau dans les années 50, la comédie musicale devient originale en 98 (au pif) appliquée dans un nouvel environnement.
On me dira, au diable tout ça, si c'est bien. Justement, Faut Voir : je sais pas pour vous, mais de mon côté plus ça va, moins ça va : entre les 4 films cités, une régulière baisse d'intérêt (d'émotion plutôt).
Mais causons de Dogville
Alors sur le papier, c'est très tentant tout ça. Et le premier plan, ce long panoramique descendant, est très beau. (Il faut bien sûr avoir vaincu préalablement sa répugnance à payer un billet entre autre pour Nicole, mais bon, voyons !).
Puis ça avance... avance... Mais c'est une façon de parler : ça avance sur 40 m2. On l'a compris, on sera très loin des préceptes d'un Ophuls qui recommandait de faire parler les acteurs en courant, en situation d'effort, pour qu'ils ne s'écoutent pas trop parler, donc ne fassent pas trop de manières.
Donc ça parle, et la voix off... oula ce qu'elle parle, résonnant dans les 40 m2.
Au bout d'un moment, tellement on a l'impression de piétiner, on réfléchit : Lars nous révolutionne le théâtre filmé ? Génial !
Forcément ça devient autre chose : on ne joue pas comme au théâtre, et les plans se jouent des distances (petites mais passons). Non finalement, du théâtre, il n'y a que le décors, façon mime marceau en matière de portes. Ah les portes, un roman ! Lars a vraiment fait sienne la devise de Musset : "il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée." Avec bruitages s'entend puisque la porte, c'est au spectateur de la faire.
En même temps, on s'interroge sur l'histoire (on a vraiment le temps, trop de temps, de penser
) : c'est vraiment complètement plat ou c'est moi qui loupe toutes les subtilités ?
Puis il y a la voix off qui revient, qui se la joue "accent rauques". Et les acteurs, nicole et son prétendant, qui chuchotent, l'air de dire "je fais sensuel mais pas trop quand même, ça va ?"
Oui oui Nicole, ça va. 5 minutes. Mais 3 heures
Mais bon, le sujet c'est l'entièreté du film. Où ça cloche ? Ca vient de moi ? Toujours le même doute, affreux. Je me dis : des scènes en huis-clos, il y en a de superbes dans les autres films, "les idiots" par exemple... Alors c'est que je ne suis pas capable d'avoir le minimum d'imagination pour faire le rôle des portes ????
Là de 2 choses l'une : soit je m'assieds sur quelque chose qui ressemble à de l'orgueil, soit je me rappelle, ému, de ce que j'aime au cinéma : l'ataraxie... Pas les films bavards quand ils causent pour ne rien dire ("la maman et la putain", ce serait autre chose, là ça peut bavarder encore et encore, ça ne se sent pas). Ceux qui donnent à voir la matière des choses, l'écoulement d'une eau ou du temps.... Bien sûr c'est affaire de point de vue, tout fonctionne par matriochka : rien n'empêche de considérer qu'on nous donne à voir la matière d'un théâtre, sentir cette odeur de théâtre, la poussière que le régisseur remue, etc.
Oui mais : les portes ! il n'y en a pas, même pas des fausses.
J'imagine très bien qu'on peut pousser l'expérience plus loin :
On ne garde que la voix off (grrr), et elle nous décrit tout. Bref, on réinvente la radio, voir le conte auprès du feu de camp. Très bien.
Mais il faut une histoire, quelque chose qui ne soit pas raplaplat, pas surjoué, pas bidon. Il faut un mouvement de balancier. L'un ou l'autre
Mon verdict : Luttant contre mes doutes, je m'autorise à dire que Dogsville m'a vraiment surpris : je n'aurais jamais pensé m'emmerder autant chez Lars
Le dispositif de Lars, ce serait pas ce qu'on appelle une fausse bonne idée de toute beauté ? Quoique, s'il y avait eu une bonne histoire. Ou au minimum une petite porte...
Bref, sans porte, pas d'ataraxie