Chapitre 30: Voyage voyage ! Plus loin, que la nuit et le jouuuur

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On se rapproche... doucement... tout doucement... d'une conclusion




Introduction
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII
Chapitre IX
Chapitre X
Chapitre XI
Chapitre XII
Chapitre XIII
Chapitre XIV
Chapitre XV
Chapitre XVI
Chapitre XVII
Chapitre XVIII
Chapitre XIX
Chapitre XX
Chapitre XXI
Chapitre XXII
Chapitre XXIII
Chapitre XXIV
Chapitre XXV
Chapitre XXVI
Chapitre XXVII
Chapitre XXVIII
Chapitre XXIX

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Ils enterrèrent Malek à l'endroit où il était tombé, pour ne pas laisser son corps aux charognards qui pouvaient infester la forêt. Les bois étaient relativement civilisés, et l'on ne risquait pas tellement de tomber sur un loup, mais il y avait des furets et des belettes, et de nombreux animaux qui ne demanderaient qu'à enlever toute dignité à la dépouille du jeune noble. Shareen n'aurait pu le supporter.

La tâche leur prit plusieurs heures. La terre était meuble, mais elle ne cessait de s'affaisser. Les épées se révélaient de bien piètres outils. Avoir une tombe convenable n'était pas aussi facile que cela, et Shareen mit du temps avant de s'avouer satisfaite. Elle avait les mains pleines de terre et le visage crispé. Laath avait plusieurs fois tenté de lui parler, mais il se heurtait à un véritable mur. Elle refusait de se laisser consoler; elle ne voulait pas se laisser toucher. A dire la vérité, elle ne voulait pas même se laisser regarder. A chaque fois que le jeune cambrioleur lui jetait un regard compatissant, ses yeux se mettaient à lancer des éclairs.
Ce ne fut que lorsque le corps fut complètement recouvert de terre qu'elle laissa Rekk l'approcher, et la recouvrir doucement de son grand manteau. Il resta ainsi près d'elle, douloureusement inconfortable. Devant lui, recouvert de terre, se trouvait un jeune homme qui était mort par sa faute. Il avait cru être totalement insensible à la culpabilité. Face aux fleuves de sang qu'il avait déjà versés, un cadavre de plus ne comptait pas. Mais il avait eu tort. Peut-être était-ce parce qu'un lien qui le rattachait à sa fille venait de disparaître. Peut-être était-ce autre chose. Mais il sentait une drôle de boule dans sa gorge, alors que Shareen prononçait l'oraison funèbre, la voix sans timbre.

"Malek" murmura-t-elle. "Tu étais un grand guerrier, quoi que tu puisses en penser. Tu étais courageux et plein d'honneur. Tu étais souvent de bonne humeur et plein d'énergie. Tu étais prêt à sacrifier ta vie pour nous… et tu l'as finalement fait. Puisse cette mort te satisfaire. Je suis sûr que les Dieux t'accorderont sans peine l'entrée dans le Domaine des Braves. Je t'aimais… Je t'aimais, mais tu aimais Deria." Sa voix se brisa. "Puisse le fait de croire qu'elle était à tes côtés avoir adouci tes derniers instants." Son ton se raffermit. "Tu étais un véritable licornéen. Tu es mort en héros. Les Dieux en sont témoins"
"Les Dieux en sont témoin" répéta Laath en écho. Rekk hésita un instant, avant de faire écho: "Les Dieux en sont témoin".
Il n'avait jamais cru en ces Dieux, ces instances supérieures censées régir la vie des hommes. Mais, si ces simples mots pouvaient adoucir la peine de Shareen, alors pourquoi ne pas les prononcer ? La jeune fille resta un instant immobile, les yeux humides, regardant la terre fraîchement remuée. Elle eut un sanglot rentré, et détourna la tête pour qu'on ne la voie pas.

Rekk grimaça, inexpliquablement mal à l'aise. Il savait comment tuer, il ne savait pas comment consoler. l'attira contre elle avec une douceur surprenante chez un homme aussi sanguinaire, et laissa reposer sa tête sur son épaule.
"Pleure, petite, pleure" fit-il presque tendrement. "Dani dirait que c'est toujours autant que tu ne pisseras pas"
Elle le regarda avec surprise, mais le début de sourire qu'il espérait entrevoir ne se fit pas jour. Elle avait les traits trop tirés pour ça. Et l'humour du Banni était rouillé depuis des années.
Les lèvres de la jeune fille tremblèrent un instant. Elle enfonça son visage dans ses bandages, et pleura.
Elle pleura sa fatigue, et son désespoir, et sa tristesse. Elle pleura son amour à peine éclos, à peine cueilli, déjà fané. Elle pleura la tombe, et le corps qu'elle contenait, et la terre qui la recouvrait, et les pierres qui marquaient son emplacement, et la lune qui les regardait sans s'émouvoir. Ses yeux étaient rouges alors qu'elle reniflait, laissant des traces humides sur les pansements du Banni. Rekk et Laath échangèrent un regard inquiet.

Lorsqu'elle finit par relever la tête, ses yeux étaient secs.
"Combien de temps jusqu'à Bertholdton ?" fit-elle doucement.
Rekk haussa les épaules.
"Par le chemin que nous avons choisi ? Une douzaine de jours, je dirais. Si on n'a pas d'ennuis en route, ce dont je doute fortement vu comme le voyage a commencé"
Elle croisa son regard, et le soutint sans ciller.
"Nous partons à l'aube ?"
"Aux premiers rayons du soleil, oui. D'ici là, il te faudra dormir. Il nous faut tous dormir. On a tous besoin de repos"
Laath hocha la tête. Pour sa part, il avait l'impression que quelqu'un s'amusait à frapper son crâne à coups de gourdin. La sensation était tout sauf plaisante. Malgré son inquiétude et sa tristesse, le sommeil l'emporta rapidement.

Le lendemain, ils partirent sans se retourner. Seul un espace de terre vaguement remué rappelait l'incident. Ca, et le corps d'Eleon, abandonné dans les broussailles aux charognards à poils et plumes. Des corbeaux festoyaient déjà.

Le jour suivant se passa dans un silence morne. Rekk tirait derrière lui la monture de Malek. Son visage aurait pu être gravé dans le bronze. Il ne jeta pas un regard à Laath. Parfois, ses yeux se posaient sur Shareen, mais il tournait alors la tête, comme s'il ne supportait pas de voir la peine sur son visage. Peut-être pensait-il à sa fille. C'était difficile à dire.
La forêt qui leur avait paru aussi accueillante la veille était désormais presque opressante. Les frondaisons étaient de plus en plus épaisses. Laath se sentait mal à l'aise dans cette atmosphère pesante. Personne ne parlait, et les bruits des sous-bois s'en trouvaient amplifiés. Il en vint presque à apprécier de ne pas savoir monter à cheval. Le temps qu'il passait à s'accrocher à l'encolure de sa monture, ou à se soucier de la souffrance qui irradiait de ses fesses et de son dos, était autant de temps où il ne regardait pas d'un air soucieux les branches s'agiter doucement.

Il n'y eut un semblant de discussion qu'au moment où ils sortirent de la forêt de Calmelac. Rekk tira sur ses rênes, alors, et leva la main pour que tous s'arrêtent et se regroupent autour de lui. Il mit pied à terre et sortit de ses fontes la vieille carte de l'Empire qu'ils avaient déjà étudié la veille.
"Eleon nous a suivi. Il savait par où nous passions" fit-il remarquer, "et ça ne me plaît pas du tout. Je ne sais pas comment il l'a appris, mais s'il était au courant, d'autres le sont peut-être"
"Tu penses que quelqu'un a pu s'en prendre à Dani ?" fit Shareen, inquiète.
Rekk serra les poings.
"Je ne sais pas, et cela ne servirait à rien de revenir en arrière. Elle est forte, et elle sait se défendre. Elle a une toile assez importante pour ne pas être trop inquiétée. Mais, si c'était le cas, malheur à la personne qui osera la toucher"
"Nous ne sommes pas vraiment en condition de proférer de telles menaces pour l'instant" observa Laath en soupirant. Il ignora le regard offensé de Rekk. "Quoi qu'il en soit, vous avez raison. Il est possible que quelqu'un soit au courant de notre itinéraire. Mais qu'est-ce que vous proposez ?"
Rekk tapota doucement la carte du doigt.
"Nous irons par ici. Nous couperons à travers champs"
"Mais…" protesta Shareen, "Il n'y a pas de route par ici"
"Justement. Cela veut dire moins de chance de tomber sur une patrouille, sur des chasseurs de primes, ou qui que ce soit d'autre. Je ne sais pas pour vous, mais je commence à en avoir plus qu'assez de devoir me cacher et me méfier de tous, et de tout le monde"
Laath hocha lentement la tête.

Le reste de la journée s'écoula sans incident notable. Ils quittèrent la forêt pour trotter à travers champs. A cette heure-ci, les paysans étaient occupés à sarcler la terre, et la plupart se contentèrent d'un coup d'œil discret avant d'essuyer leur front trempé de sueur. Même si l'empereur avait placardé des affiches de récompense dans toutes les villes de l'Empire, il faudrait certainement du temps pour que tous soient au courant. Et, même si quelqu'un avait vent de cette récompense, Rekk n'était pas particulièrement inquiet. Aucun paysan ne tenterait d'attaquer le Faiseur de Veuves. Sa réputation de croque-mitaine, les légendes que l'on racontait au coin du feu, étaient probablement assez pour empêcher même le plus brave des paysans de partir à l'aventure.
"La célébrité, quelle chose merveilleuse" ricana Rekk, inclinant les pans de son manteau sur son visage.

Pourtant, lorsqu'ils s'arrêtèrent pour la nuit, il insista pour instaurer de nouveaux tours de garde. Il choisit un endroit éloigné de toute habitation, loin des regards, caché par un bosquet.
"Pas de feu, ce soir" grommela-t-il. "Répartissez-vous les couvertures en trop"
Son côté pragmatique reprenant le dessus, il entreprit de fouiller dans les sacoches de selle du cheval de Malek, récupérant les chaudes couvertures que lui avait laissée Dani. Shareen pinça les lèvres.
"Nous sommes en plein cœur des champs. Personne ne peut imaginer nous trouver ici, il n'y a aucun risque…et je n'aime pas la viande crue"
"Hier non plus, personne n'était censé pouvoir nous trouver. Tu veux que l'un de nous meure pour un peu de viande grillée ? Si tu en es convaincue, je ne vois aucun inconvénient à ce que tu ailles chercher du bois." Shareen recula comme si on l'avait giflée. Elle détourna les yeux, et renifla avec aigreur. Sans plus répondre, elle commença à sortir de la nourriture des fontes de sa monture.

"Un peu de pain, du fromage, du lard… un festin de roi" observa Laath alors qu'elle lui lançait les vivres d'un geste irrité. Il les attrapa avec dextérité, feignant d'ignorer son air sombre. Un geste, puis un autre, et les morceaux de pain se mirent à tournoyer au-dessus de sa tête. "Il était une fois une jeune fille, triste et belle, belle et triste, tristement belle." Alors qu'il parlait, il ajouta une pomme et un morceau de fromage à la farandole. "La jeune fille se morfondait, car son amour était parti." D'un mouvement de poignet, il projeta la pomme haut, bien plus haut, de sorte qu'elle mit beaucoup de temps à redescendre. Lorsqu'elle le fit, il reprit son jonglage sans marquer de pause. "Mais il était toujours là pour elle, triste et belle, belle et triste, tristement belle, et il la regardait pleurer, et son cœur se fendait" Un mouvement, et la croûte d'un morceau de pain vint effleurer la pomme, laissant une cicatrice sur sa peau lisse. "Il ne voulait pas la voir triste, seulement belle, belle et joyeuse, belle et heureuse."
"On ne joue pas avec la nourriture" gronda Rekk, dans son coin.

Avec adresse, Laath récupéra les vivres dans ses mains, et s'inclina en une révérence parfaite.
"Je ne suis pas très doué avec les mots, Shareen" murmura-t-il. "Mais je sais que Malek n'aimerait pas te voir comme ça. Je comprends ton désir de vengeance, mais ne te laisse pas consumer par lui. Sans quoi tu risques de devenir aussi amer que le Faiseur de Veuves, à grommeler dans ta barbe autour d'un feu inexistant"
"J'ai entendu" grogna Rekk, mais il ne paraissait pas furieux.
Shareen le regarda, perplexe.
"Tu trouves que je suis amère ?"
"Tu ne l'es pas ?"
Elle sourit nerveusement. Ce n'était pas un très beau sourire, mais c'était le premier depuis la veille. C'était un début.
"Non. Qu'est-ce qui peut bien te faire croire ça ?" Elle baissa la voix. "Merci, Laath. J'avais besoin de ça"
Elle lui prit la main, et il sourit. Il n'avait jamais été doué pour parler aux filles, encore moins pour les comprendre. Mais, visiblement, il avait réussi à la soulager.
Ils restèrent ainsi quelques secondes, main dans la main, jusqu'à ce que Rekk vienne les écarter avec brutalité.
"Shareen, tu veux toujours te venger ? Laath, tu veux toujours savoir te défendre ?"
"Oui" fit la jeune fille, résolument.
"Je… crois" répondit Laath avec un temps de retard.
"Alors il est temps de se mettre au travail. Nous avons près de deux semaines de voyage jusqu'à Bertholdton. J'ai besoin d'exercice, et vous avez besoin d'entraînement. A partir de maintenant, c'est moi qui vous prendrait en main"

Shareen gémit en se rappelant de leur unique séance, au palais. Elle en était ressortie couverte de bleus. Certains la faisaient encore souffrir.
"Mais.." balbutia-t-elle, alors que Laath protestait: "Je ne crois pas que ce soit nécessaire"
Il leur lança un regard perçant.
"Vous vous êtes tous les deux déjà battus contre Deria. Elle était capable de se battre. Elle pouvait faire face au danger. C'est moi qui l'ai formée pour ça. Et j'ai bien l'intention de faire pareil pour vous. Personne ne sait lorsque cela pourra vous être utile" Il grimaça, frottant doucement son épaule gauche emmaillotée. "Je ne sais pas combien de temps il faudra pour que toutes les sensations reviennent"
"Ca vous fait mal ?" s'enquit Shareen, soudain pleine de sollicitude.
"J'ai connu pire" grogna-t-il avec mauvaise grâce. "Mais c'est l'âge, je me fais vieux"
"Je ne trouve pas" protesta-t-elle, sérieuse.
"Avec dix ans de moins, cette blessure me gênerait beaucoup moins. Avec vingt ans de moins, je ne l'aurai même pas reçue" Il haussa les épaules. "Mais ce n'est pas le moment de parler de moi. Trouvez-vous une branche d'arbre qui puisse passer pour une arme, et venez apprendre quelques bases"
"Une branche d'arbre ? On n'utilise pas d'épée d'entraînement ?"
Rekk écarta les bras avec dérision.
"Et où vois-tu une épée d'entraînement par ici ? Si tu préfères, on peut se battre à armes réelles. Tu as envie qu'on fasse comme ça ?"
Laath secoua la tête avec véhémence, et mit une hâte suspecte à trouver un morceau de bois de taille convenable. Shareen prit un peu plus de temps. Après quelques minutes d'un élagage acharné, elle revint avec un bâton presque droit, qui paraissait assez lourd. Rekk fronça les sourcils.
"Pour la taille, ça va, mais c'est probablement trop épais. Tu n'auras pas un bon équilibre"
Elle secoua la tête.
"Je veux apprendre à utiliser l'épée que j'ai récupérée dans le palais. Il est lourd, lui aussi. Alors je préfère m'entraîner comme ça"
"Comme tu veux" Il haussa les épaules. "C'est ta vie, après tout. Allez, mettez-vous en garde, tous les deux"

La leçon ne dura qu'une heure; les événements de la veille les avaient tous épuisés, et ils avaient très peu dormi. Pourtant, ce laps de temps suffit à Rekk pour les couvrir de bleus et d'hématomes. Il s'était trouvé pour sa part une branche fine et longue qu'il utilisait comme une rapière. Il était peut-être blessé et fatigué, mais ses mouvements restaient souples. Ni l'un, ni l'autre ne parvinrent à le prendre en défaut, alors qu'il se déplaçait avec vivacité entre eux deux, repoussant continuellement la douleur qui sourdait en lui.
"Je n'ai pas le temps de faire votre éducation complètement" fit-il en tournoyant pour éviter un coup. "Je pense que vous avez déjà eu quelques bases, je me contenterai de vous enseigner quelques bottes utilisables dans des circonstances bien particulières"
Lorsqu'ils se couchèrent pour la nuit, les jeunes gens se roulèrent avec soulagement dans leurs couvertures. Laath avait failli se faire briser les doigts lors d'une riposte malencontreuse, et Shareen arborait un hématome sur le front qui n'était certainement pas là avant. Ils s'endormirent presque aussitôt.
Rekk resta seul, les yeux dans le vague. Il hésita à les réveiller, pour organiser des tours de garde comme il en avait eu l'intention. Mais tout le monde était fatigué. Il se sentait lui-même complètement épuisé. Pour la première fois depuis bien longtemps, il abandonna l'idée de sécurité. Il monta les couvertures sur son visage, et le sommeil s'empara de lui dans cette position, une main crispée sur le tissu, l'autre sur le pommeau de son arme.

Le reste du voyage se déroula sous les mêmes auspices. Shareen retrouvait progressivement sa bonne humeur habituelle. Malek lui manquait, c'était visible, mais la vie continuait. Quelques rides étranges chez quelqu'un d'aussi jeune apparurent sous ses yeux, mais elle parut ne pas y prendre garde.
Tous les soirs, ils s'arrêtaient une heure avant le crépuscule, et Rekk travaillait quelques mouvements avec eux, jusqu'à ce qu'on ne voie plus rien et que l'obscurité les incite à rejoindre leurs couvertures. Il paraissait décidé à tirer le meilleur d'eux-mêmes et, à la différence des professeurs que Shareen avait déjà pu voir, il était sans pitié. Toute erreur se trouvait sanctionnée d'un coup de son bâton. Deria lui avait dit que sa garde gauche manquait d'efficacité. Le garde avec qui elle s'était entraînée le lui avait dit également. Mais Rekk ne se contenta pas de le faire remarquer. Il en profita pour la frapper durement au torse, jusqu'à ce qu'elle parvienne enfin à anticiper ce coup bien précis. Instinctivement, elle avait corrigé sa garde. Il ne lui accorda pas un mot de félicitations.
Le matin, ils se levaient à l'aube, encore endoloris de leur trajet de la veille et de l'entraînement du soir. Pourtant, ils remontaient à cheval sans se plaindre.
"Vous ne vous débrouillez pas si mal. On finira peut-être par faire quelque chose de vous, finalement" admit enfin Rekk, à l'aube du dixième jour.
Ce fut sa seule appréciation, mais Shareen l'accueillit avec des yeux brillants. Laath, pourtant plus réticent, sourit avec fierté.

Et ils finirent par arriver dans le Nord.
Il n'y avait pas de frontières, pas de changement brutal, pas de gardes pour les attendre et les empêcher de passer. Simplement, petit à petit, les rares villages qu'ils croisaient se firent plus rare, et encore plus rare. Au treizième jour, cela faisait près de vingt heures qu'ils n'avaient plus croisé âme qui vive.
La végétation changeait, elle aussi. Les sorbiers, les chênes et les bouleaux laissaient progressivement place à une terre plus aride, plus âcre, sur laquelle peu de choses poussaient. La neige se mit à tomber au soir du quatorzième jour. L'Empire découvrait le printemps, mais l'hiver recouvrait le Nord. Les flocons tombaient dru. Avec un pragmatisme cynique, Laath apprécia le fait de pouvoir profiter des couvertures et des manteaux de Malek en plus des siens. Shareen enfila elle aussi les épaisseurs de lainage supplémentaires, mais ses yeux étaient humides. Les larmes gelèrent sur ses joues, transformées en cristal puis emportées par le vent.
"Plus nous nous approcherons du château, plus nous devrons être prudent, n'est-ce pas ?" fit-elle, ravalant ses larmes.

Rekk se tourna vers elle, surpris. Son mouvement était souple et sans à-coups. Depuis quelques jours, il semblait aller beaucoup mieux. Il avait même fini par se débarasser des bandages qui lui serraient les épaules, et ne gardait plus que celui au ventre.
"Etre prudent est toujours une bonne règle de conduite, mais pourquoi t'inquiètes-tu maintenant ?"
"Eh bien…" Shareen se mordit la lèvre. "Il y a des centaines de routes pour atteindre le château mais, plus nous nous en approchons, plus les possibilités sont limitées, non ? Si jamais des chasseurs de primes sont à nos trousses, ils ont plus de chances de nous rattraper près du château, non ?" Elle s'empourpra alors que Rekk riait doucement. "Quoi ?"
"Shareen, Shareen, Shareen. Je pourrais comprendre cette question venant de Laath, mais de toi…Tu es pourtant déjà venue par ici, tu connais déjà la toundra. Tu penses vraiment que des gens peuvent se payer le luxe de nous tendre un piège ici ? Entre mes hommes et les barbares qui rôdent, je ne sais pas vraiment comment ils pourraient s'en sortir"
"Des barbares ?" fit Laath, les yeux lui sortant de la tête. "Par ici ?"
"Eh bien, oui, des barbares. Tu as l'air tout pâle. Ne me dis pas qu'ils te font peur ?"
"Mais… mais…" balbutia le jeune cambrioleur, visiblement effaré. "Je croyais qu'ils n'existaient que dans les légendes… Les barbares du nord, avec leurs haches à double tranchant, qui pillent, tuent et violent tout ce qu'il se trouve sur leur passage… Les bardes en parlent toujours d'une calamité disparue depuis longtemps"
Rekk soupira.
"Il faut toujours se méfier de ce que disent les bardes. Regarde-moi, par exemple. Est-ce que je suis aussi terrible qu'ils le disent ? Est-ce que je suis aussi sanguinaire et…" Voyant l'étincelle dans les yeux du cambrioleur, il rit doucement. "Peut-être que j'ai choisi un mauvais exemple. Toujours est-il que voilà bien encore une fois l'ingratitude de l'Empire. Cela fait près de vingt ans que je repousse ces envahisseurs, que je résiste à leurs assauts, que je les fais saigner, que je les empêche de revenir. Comme mes prédécesseurs l'ont fait avant moi. Et est-ce que l'on mentionne une seule fois le rôle de Château Bertholdton dans le maintien de la passe ? Non !" Il cracha sur le sol. "Bel, Marcus ou Theorocle, ce sont tous des gens de la même race. Des profiteurs, des manipulateurs, qui n'ont pas la moindre reconnaissance pour ceux qui les maintiennent au pouvoir." Il soupira. "Bel était le véritable empereur, puissant et ambitieux. Mais Marcus manque de tripes, et Theorocle manque de cerveau. Ce ne sera pas une grande perte si tout s'effondrait"
"Mmmh" fit Laath, hésitant. "Tout cela est bel et bien beau, mais si j'ai bien compris, vous êtes en train de me dire qu'on pourrait très bien tomber sur une horde de barbares en essayant de rejoindre votre château. C'est bien ça ?"
"A peu de choses près, c'est ça" acquiesca Rekk, de bonne humeur. "Mais je me sens déjà bien mieux. Si jamais on rencontrait quelques éclaireurs, je pourrais m'amuser un peu" Il toucha doucement son épée.
"Dieu des Larcins, ne m'abandonne pas" murmura Laath.

Le voyage à travers la toundra se révéla sans incidents particuliers. Les nuits étaient froides, et les couvertures à peine suffisantes pour les tenir au chaud. Cependant, ils ne croisèrent aucun soldat ni barbare. Rekk finit par froncer les sourcils, observant l'horizon avec sa main en visière.
"Je ne comprends pas" murmura-t-il. "On devrait déjà avoir rencontré une patrouille depuis un moment. Ou des hommes venus chercher du ravitaillement. Quelque chose"
"La toundra est grande… il est possible qu'on soit passé sans les voir" suggéra Shareen
Rekk se tourna brutalement vers la jeune fille.
"Le travail de mes hommes est justement de se débrouiller pour que personne n'échappe à leur attention, du moins près de la forteresse… et nous en sommes tous proches. Ce n'est pas comme s'il y avait des arbres pour nous soustraire à leur attention ! C'est tout plat ! Trois cavaliers se voient de loin !"
"Et c'est maintenant que vous nous dites ça, alors qu'on est en territoire barbare" déglutit Laath.
"Ca ne sent pas bon" grommela Rekk. "Pas bon du tout"
Avec fermeté, il talonna sa monture et la poussa à un trot soutenu.
"On va crever nos chevaux sous nous, si on continue comme ça" protesta Shareen, après une bonne heure de cette allure. "Ca ne servirait à rien !"
"Il y a des chevaux de rechange au château. Je veux arriver à Bertholdton avant ce soir. J'ai un mauvais pressentiment"

Il ne desserra plus les mâchoires de la journée, ne répondant que par monosyllabes aux questions des deux autres. Ses yeux n'étaient plus que deux fentes sombres, et il portait épisodiquement sa main à son ventre, comme pour vérifier que les bandages étaient encore en place.
"Nous sommes encore loin ?" fit Laath. Le soleil se couchait, et son cheval renâclait. Normalement, c'était à ce moment qu'ils dressaient le camp, pour laisser à leurs montures le temps de se reposer jusqu'au prochain effort. C'était aussi là qu'ils apprenaient à se battre. Après une phase d'apprentissage assez rude, Laath commençait à réellement apprécier les cours du Banni.
"On ne devrait plus tarder à voir la forteresse" fit Rekk, les lèvres pincées. "Par ici"
Laath plissa les yeux. La neige lui tombait sur le visage et rendait toute observation difficile, pourtant il lui semblait deviner quelque chose, en effet. Une ombre… Une silhouette… Au fur et à mesure qu'ils avançaient, l'ombre prit consistance. Il poussa un cri de stupéfaction en se rendant compte de la taille du château. Shareen l'avait déjà vu, pourtant elle aussi eut un moment d'étonnement.
Quatre murs d'enceinte séparés par de larges espaces, des murailles hautes et épaisses à la fois, une position à flanc de colline… La citadelle était sombre, hargneuse, et imprenable. Le drapeau de l'empire flottait fièrement à son sommet, comme il l'avait fait depuis plus de deux cent ans.
"Nous voilà arrivés !" fit Rekk, sifflant entre ses dents. "Par le sang, ça fait du bien de se retrouver en terrain familier !"
Les trois chevaux avancèrent avec hésitation jusqu'aux imposantes douves. Le pont-levis était baissé, et ils arrivèrent jusqu'à la herse sans encombre.
"C'est gigantesque" murmura Laath, impressionné.
"C'est le fruit de près de soixante ans d'efforts" expliqua Shareen, fière de pouvoir ressortir ce que Bok lui avait dit, lors de sa première visite. "A cette époque, l'Empire comptait s'en servir comme d'un point de départ vers la pacification des contrées Hors Carte. Mais ça n'a jamais eu lieu"
"Et tant mieux pour eux" grommela Rekk. "Il n'y a que la mort, là-bas. C'aurait été une campagne militaire de trop. Déjà, Koush était une campagne militaire de trop" Il haussa le ton. "Ohé, du château ! Ouvrez la herse ! C'est Rekk !"
Sa voix, puissante et autoritaire, tranchait à travers le vent et la neige. On entendit quelques exclamations, et des bruits de pas à l'intérieur.
"Tu vois qu'il n'y avait pas de raison de t'inquiéter" fit Shareen, souriant vaguement. "Ils sont toujours là"
"Ca veut dire qu'il n'y a plus de risques, maintenant ? On peut enfin respirer tranquillement" s'enquit Laath, se penchant sur le pommeau de sa selle. "Ce sera un véritable bonheur que de pouvoir enfin marcher au lieu de chevaucher, je vous le dis. Ce maudit cheval m'a fait plus mal que toutes tes leçons, Rekk"
"Il ne faut jamais baisser sa garde, petit" fit Rekk, toujours tendu. "C'est une des règles les plus importantes si tu veux vivre vieux. Lorsqu'on se détend, c'est là que le danger est le plus important"
La herse remonta doucement, dans un grincement de chaînes. Un homme s'approcha pour les accueillir. Il était grand, presque un géant. Il portait une cotte de mailles, et une barbe noire lui mangeait le visage. Son crâne était entouré d'un bandage ensanglanté.
Shareen eut un sourire ravi.
"Bok !" s'exclama-t-elle.
"Bok !" exhala Rekk, soudain soulagé. Sa main s'écarta de son épée, et ses épaules s'affaissèrent. "Par les Démons Gelés, ça fait plaisir de te voir. Je commençais à me demander ce qu'il se passait et pourquoi je ne voyais pas de patrouille. Comment se sont passées les choses pendant mon absence ?"
Le cliquetis d'une vingtaine d'arbalètes en train d'être armées le fit sursauter.
"Mal" fit Bok, levant sa lance. "Très mal. Mais les choses iront mieux lorsque vous vous serez rendus bien sagement"
Citation :
Provient du message de Nepher


J'aurais parié qu'il était pas tout à fait mort le Malek

...

perdu !


Toujours aussi bien


------------
Nepher
Rhaaah mais non, t'as rien compris, en fait, le Malek va revenir pour protéger Shareen à un instant crucial...

Sinon, je postes pas trop sur tes pages GB, mais je lie assidûment depuis quelques épisodes (les premiers m'ont révulsé de par leur rythme, je préfère lire d'abord ceux-là, après les autres... )
GROUMPH !!!!!!!!!!! toujours le don pour t'arrêter au mauvais moment !
La suite, et que ça saute !
Ah si, une réflexion à propos des nouvelles rides de Shareen : il y a peu de chance qu'elle les voit, à moins de se regarder dans un miroir
Tu te plaignais parce que je ne faisais plus de remarques, en voilà quelques unes, la plupart étant des fautes de frappes ou des changements de sexe des persos

Citation :
Je suis sûre que les Dieux t'accorderont sans peine l'entrée dans le Domaine des Braves
Citation :
Les Dieux en sont témoins
Citation :
Il l'attira contre elle
euh c’est plutôt « lui » nan ?
Citation :
mais le début de sourire qu'il espérait entrevoir ne se fit pas jour.
« Ne fit pas jour » ou « Ne se fit pas voir » peut-être ?
Citation :
La forêt qui leur avait paru aussi accueillante la veille était désormais presque oppressante
Citation :
Il mit pied à terre et sortit de ses fontes la vieille carte de l'Empire qu'ils avaient déjà étudiée la veille.
Citation :
"Tu penses que quelqu'un a pu s'en prendre à Dani ?" fit Shareen, inquiète
J’aime pas quand elle le tutoie *se répète à chaque chapitre*
Citation :
Mais, si c'était le cas, malheur à la personne qui osera la toucher"
« oserait » me plairait plus
Citation :
mais je commence à en avoir plus qu'assez de devoir me cacher et me méfier de tous, et de tout le monde
« Tout » plutôt non ? Sinon « tout le monde » me paraît inutile.
Citation :
il entreprit de fouiller dans les sacoches de selle du cheval de Malek, récupérant les chaudes couvertures que lui avait laissées Dani
Citation :
Sans quoi tu risques de devenir aussi amère que le Faiseur de Veuves, à grommeler dans ta barbe autour d'un feu inexistant
Citation :
A partir de maintenant, c'est moi qui vous prendrais en main"
Citation :
"Ca vous fait mal ?" s'enquit Shareen, soudain pleine de sollicitude.
*contente* voilà elle le re vouvoie
Citation :
je ne l'aurais même pas reçue"
Un conditionnel me semble plus adapté qu’un futur
Citation :
"Comme tu veux" Il haussa les épaules. "C'est ta vie, après tout.
J’aime pas trop le « C’est ta vie, après tout ».
Citation :
les rares villages qu'ils croisaient se firent plus rares, et encore plus rares.
Citation :
"Plus nous nous approcherons du château, plus nous devrons être prudents, n'est-ce pas ?" fit-elle, ravalant ses larmes.
Citation :
Les bardes en parlent toujours comme ? d'une calamité disparue depuis longtemps"
Citation :
Mais Marcus manque de tripes, et Theorocle manque de cerveau.
Il est pas censé être mort lui ?
Citation :
Ce ne serait pas une grande perte si tout s'effondrait »
Citation :
nous en sommes tous proches
« tout » ?
Citation :
"Tu vois qu'il n'y avait pas de raison de t'inquiéter" fit Shareen, souriant vaguement
Citation :
Ce maudit cheval m'a fait plus mal que toutes tes leçons, Rekk"
Naaannnnn, pas de tutoiement

Sinon, l'évolution de Shareen est intéressante, d'une petite fille pleurnicheuse elle passe à une jeune femme courageuse, douée, sachant prendre sur elle.
De même, on voit Laath qui commence à prendre un peu plus confiance en lui, et malgré sa hantise des armes, il y prend goût peu à peu.
Et puis comme toujours, vite la suite
La mort de Malek, la tristesse de Shareen, les 2 avaient enfin un moment pour s'aimer !
c est horrible, tu es cruel GRENOUILLe !!!
bon, j attaque le 31, j'avais 15 chapitres de retard, j ai profité du week-end pour rattraper tout ça
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