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Il faut d'abord s'éloigner de la maison par le petit sentier qui entre dans la forêt en remontant le vallon. On marche sous les arbres en économisant son souffle et en assurant ses pas car la pente est raide et le chemin traversé de fossés creusés par les sangliers en maraude. Seul dans les bois, on oublie peu à peu le bruit et les odeurs de la ville qui vous avez pourchassé jusque là. Mais ces fantômes s'évanouissent, dissipés par les chants d'oiseaux que l'on devine sans voire, et l'air délicieux qu'on boit plus que l'on respire, à pleine gorgé. Il faut du temps, le sentier est toujours plus long que dans les souvenirs, et le corps souvent moins endurant qu'on ne le souhaiterait.
Les arbres deviennent plus hauts, la forêt plus sombre, la pente, plus forte, on approche du but. Un dernier tournant, une dernière ronce que l'on écarte, et apparaissent les murs, construit de pierres sèches par la main de l'homme. C'est un lieu de passage, ancien déjà, comme toute ces ruines qui parsèment le pays, ces millions de pierres qui, dit on, sont l'équivalent oublié de la muraille de Chine. Et entre les murs effondrés, révélé par un souffle d'air froid, cette ouverture qui plonge dans le flanc de la colline.
On entre dans la grotte, et on descend dans les ténèbres, accompagné par la lumière jaune et faible, qu'on pourrait dire laide si elle n'était pas humble, de la lampe de poche. Le silence se fait. On n'entend plus le vent dans les branches, ni le cri des aigles, ni tous ces bruits affolés d'animaux invisibles s'enfuyant à votre approche. On descend en suivant le boyau sinueux, creusé il y si longtemps par un torrent aujourd'hui disparu. La grotte enveloppe ses visiteurs, elle en a l'habitude, et dans le faisceau de la lampe, on voit danser les traces de ceux qui sont passés avant. Des vaches, sans nul doute s'y sont abritées d'un orage, peut être l'année passée. Un bâton, laissé là par quelque enfant sans doute, traîne sur le sol.
On poursuit, en veillant à ne pas glisser, même si avec les beaux jours, le haut de la grotte est moins humide. Le petit mur apparaît, et comme tout mur, il marque une frontière, une limite. Au delà, si l'on passe cette dernière construction humaine, se trouvent les secrets dont on est venu chercher la compagnie. On saute au bas du mur. Le couloir s'élargit, les espaces vides par devant sont plus présent et les ténèbres semblent plus froides. Une petite peur, juste un frisson approche, elle est la gardienne débonnaire des lieux, et signale sa présence par ce petit *plic*qui résonne dans le lointain. "Tu es seul, dit elle, es tu sûr de vouloir continuer ? Es tu sûr de pouvoir repartir, si tu poursuis ce chemin ? Ta lanterne est bien fatiguée". Il faut sourire à son discours, et elle s'efface poliment, laissant le promeneur libre d'aller plus loin, et de rejoindre les autres.
Les autres ? Oui, les autres, tous ceux qui sont venus ici, déjà, et qui y ont laissé une trace. Ce sont ces lignes maladroites, ces écritures tremblées sur les parois. Ce sont ces prénoms, ces noms, et ces dates qui sourient au visiteur. 1917, 1990, 1948, 1875, 1813... Souvent le texte est plus long, et porte avec lui les échos de joies simples, fêtes, fiançailles, escapades, voyages... Il y a beaucoup à lire pour qui se donnerait la peine de déchiffrer tout ce qui est écrit. Mais il ne faut pas vouloir prendre plus à la grotte que ce qu'elle donne, mais respecter l'intimité de ceux qui sont passés avant. Leur paroles, leur rires résonnent encore, chaque fois que quelqu'un vient pour les écouter, et sans doute même lorsqu'il n'y a personne. Peut être même plus. On n'est comme bercé par la grotte, et si le monde extérieure se limite à un pinceau de lumière, le monde intérieur prend l'allure d'un jardin d'enfant, d'une place de village un jour de fête, d'une cour de récréation, bruissante de souvenirs, de chants, de parlés qu'on croyait perdus ou qu'on n'avait jamais connu.
Un dernier regard au gouffre en dessous, au rocher énorme, plafond déchu, qui y dort comme un géant fatigué, et on commence la remonté, laissant les enfants de la grotte dans les bras de leur mère. Soudain le monde réapparaît, et il y fait encore jour, pour quelques minutes. Les odeurs de la forêt reviennent en force, et un chemin, plus sage et plus large que celui emprunté à l'aller étend son herbe verte comme un ami qui tend la main. Il mène à la route, petit ruban gris qui semble peiner à rejoindre le village presque désert, tout en haut, sur l'éperon rocheux qui lui a donné son nom. On descend le long de la route, en se moquant presque d'elle, qui jamais n'atteint son but.
Le soleil disparaît derrière la montagne, et c'est le moment que choisit une voiture pour se faire entendre plus haut sur la route. Elle est encore bien loin, et le chemin de terre qui conduit à la maison est tout proche. Mais le véhicule se fait entendre de plus en plus distinctement, machine d'acier que l'on sent, que l'on sait hostile. Trois pas de courses, un bond en contrebas,par dessus le talus. Le grondement s'approche, et, entre deux arbres, on entrevoit sur la route au dessus un arrière gris et bête qui s'éloigne vers la plaine, inconscient de la présence d'un promeneur retombé en enfance, qui rit soulagé d'avoir échapper à quelque raseur potentiel, sans parler de la maffia, sait on jamais. La boite aux lettre est vide, il ne reste plus qu'une longue descente jusqu'à la maison isolée, où un clavier attend patiemment la fin du supplice que lui inflige de jeunes assassins virtuels.
Je retourne souvent au mur de la grotte. Un jour, à la lumière de ma lampe, j'y laisserai des mots et une date, pour souffler sur les lettres tremblantes un morceau de mon âme, qui ira dormir avec celles des autres, au coeur de la grotte, pour l'éternité.
Non. Pas juste dormir : rêver.
Et vous lecteurs du JOL, sur quels murs allez vous confier ce même trésor, le plus précieux que vous ayez ?
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