Chapitre XVI: des réponses, mais encore plus de questions :p

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Je pense que vous êtes tous maintenant habitués à mon bla-bla habituel: tout commentaire est apprécié, c'est ça qui me fait avancer, ça me permet de voir quel passage est préféré, lequel est un peu faible, et ce que je dois retravailler. Donc, comme d'hab, n'hésitez pas

PS: long chapitre

Introduction
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII
Chapitre IX
Chapitre X
Chapitre XI
Chapitre XII
Chapitre XIII
Chapitre XIV
Chapitre XV

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La nuit était désormais complètement tombée. En contrebas de la caverne, les lumières s'éteignaient les unes après les autres dans la ville. Les échoppes fermaient, les chariots se remplissaient, et les fermiers amorçaient leur retour chez leurs femmes et leurs enfants. Le serpent humain que les jeunes gens avaient vu à leur arrivée dans la ville repartait maintenant dans l'autre sens, lentement, obstinément. Les rares torches qui brûlaient encore donnaient à la ville une aura malsaine, comme des feu follets tremblotant à la surface d'un marécage.
Dans le silence soudain qui s'était abattu sur la caverne, on pouvait entendre le clapotis des vagues contre les berges du Verdoyant, quelques encâblures plus bas.

Malek restait frappé de stupeur. Il observait le jeune garçon avec des yeux ronds, mais il évitait son regard, baissant les yeux avec obstination. Shareen paraissait toute aussi stupéfaite, bouche ouverte, cherchant à trouver ses mots.
"Arrêtez de le regarder comme une bête curieuse, va, le pauvre" s'indigna Dani alors qu'aucun d'eux n'avait encore parlé. "J'ai déjà eu toutes les peines du monde à le faire venir. Mais il l'a fait de son plein gré. Parce que tu es un garçon courageux, n'est-ce pas Laath ?"
Le jeune homme secoua la tête, un geste qui pouvait aussi bien signifier oui que non. Avec un effort manifeste, le garçon leva des yeux craintifs vers Malek et Shareen. Il n'avait pas l'air habitué à être le centre de l'attention générale et, clairement, cela le terrifiait. Tout aussi visiblement, il n'avait aucune envie d'être là. Il affichait une moue à la fois boudeuse et obstinée.
"Laath ? Tu t'appelles Laath ?" fit Shareen doucement. "Enchanté. Moi, c'est Shareen. Et celui qui te regarde avec de grands yeux, là, c'est Malek. Nous étions des amis de Deria. Tu n'as pas à avoir peur"
Elle se sentait étrangement attirée par le jeune homme, qui frappait son instinct maternel comme jamais personne ne l'avait fait. Elle avait envie de le faire se moucher, de lui ordonner de se tenir droit, de ne pas s'agiter nerveusement comme ça. Elle avait envie de le gifler, aussi, et de lui dire de se prendre en main. Etonnant qu'une personne puisse provoquer autant d'émotions contradictoires, rien qu'en la regardant. Par les enfers, mais il a de beaux yeux !

"Je crois que tu as beaucoup de choses à nous dire" murmura Malek, regardant le jeune garçon d'un air incrédule.
Ca ne pouvait pas être possible. Deria, sa Deria, ne pouvait pas être tombée amoureuse de… de ça ! "Alors comme ça, tu étais le… l'ami de Deria ?"
Laath hocha la tête de nouveau, un petit mouvement bref. Mais avant que Malek ait pu poser une nouvelle question, Dani se planta devant lui, les poings sur les hanches.
"Ca y est, vous êtes convaincus qu'il n'y a pas de danger ? Alors maintenant, dites-moi où est Rekk, où je vous arrache les bras et les jambes et je les mange en ragôut ce soir avec de l'ail et du persil ! Qu'est-ce qu'il a encore fait, ce grand abruti. Il ne s'est pas mis en danger, j'espère ? Pas plus que d'habitude, je veux dire ?"
"Il est…" commença Malek, alors que Shani balbutiait: "Il va…"
"Pas tous en même temps, les enfants. Malek, tu m'as l'air d'être plus vif en ce moment. La petite ne peut pas s'empêcher de regarder Laath comme une abrutie qui aurait perdu ses sens. Allez, raconte-moi ce que fait Rekk"
Shareen s'empourpra. Elle n'avait pas… ! Quelle vieille sorcière ! Elle cracha sur le sol pour montrer ce qu'elle en pensait, et détourna ostensiblement les yeux du jeune garçon. Laath recula comme si elle l'avait giflé.

Malek prit une grande inspiration, et entreprit de raconter ce qu'il s'était passé à l'Académie. Dani hochait la tête par moments, amusée ou choquée par certains détails. Quand il en vint à la mort de Semos, elle applaudit soudain.
"Je reconnais bien là Rekk. Ah, par les Dieux inférieurs, j'aurais aimé être là !"
"Il a quand même tué quelqu'un de sang froid. Je ne suis pas sûr que se réjouir soit approprié" protesta Malek.
"Ca, on ne peut pas dire qu'il pardonne facilement, notre cher Rekk. Un sacré tempérament, c'est sûr. Mais après tout, ce n'est pas non plus sa faute si on lui a envoyé des tueurs aux fesses." Elle baissa la voix. "C'était déjà comme ça il y a vingt ans, vous savez. Si il avait décidé, pour une raison ou pour une autre, que quelqu'un était coupable, il n'hésitait pas à se salir les mains pour sa propre conception de la justice. Le résultat était parfois assez… perturbant. Mais il faut le prendre comme il est, Rekk, avec ses qualités comme avec ses défauts"
Malek la regarda, incrédule. Elle parlait des meurtres qu'il avait commis comme s'il s'agissait d'un détail mineur, qui ne valait pas la peine qu'on s'étende dessus. Et Shareen avait l'air approbatrice, également. Approbatrice ! Etait-il le seul ici à se rendre compte que tout cela ne menait à rien ?
"On ne peut pas vaincre le mal par le mal" protesta-t-il faiblement.
"Qui te parle de bien et de mal ? C'est une simple histoire de justice" fit Dari. "Alors oui, on peut évidemment discuter ses méthodes. Mais nous pourrons discuter de tout ça plus tard, quand tu auras terminé ton histoire. Alors, il a tué ce chacal de Demos, et ensuite, qu'est-ce qu'il s'est passé ?"
Shareen regarda Laath du coin de l'œil alors que Malek expliquait la capture de Rekk, la lettre de l'Empereur et les différents détails dont il pouvait se souvenir. Le jeune garçon s'était accroupi dans un coin et serrait ses genoux contre lui, l'air complètement perdu. De nouveau, un élan de compassion l'envahit, ainsi que l'envie de lui donner un coup de pied pour le faire réagir.

Dani n'en avait pas l'air ainsi, mais elle était plus fine qu'on pouvait le croire, et ses questions étaient pertinentes. Lorsqu'elle eut terminé de l'interroger, elle hocha la tête.
"Bon. Il avait l'air confiant, donc. Ca ne veut pas dire grand chose, remarquez. Il est toujours confiant, cette tête de mule. Mais si l'Empereur lui fait confiance au point de lui donner une lettre pareille, alors il devrait pouvoir s'en sortir sans problèmes. Et même s'il y a quelques soucis, je fais confiance à Rekk pour s'en sortir. La déesse de la chance veille sur celui-là, je vous le dis. Ce n'est pas un petit empereur de rien du tout qui pourra lui faire du mal" Elle disait cela, mais elle avait les sourcils froncés. Son regard était inquiet, même si son ton restait léger. "Quoi qu'il en soit, ça explique pourquoi vous êtes ici ce soir, mes mignons. Je dois vous dire que, quand je vous ai vus pour la première fois, je me demandais ce qu'il faisait avec vous. Mais vous avez du caractère, c'est bien."
Malek haussa les épaules.
" Maintenant que vous êtes au courant des derniers événements, peut-être pourriez-vous nous donner quelques explications sur ce que vous avez fait de votre côté." Il se tourna vers Laath. "Ou peut-être que lui, là, finira par se rappeler qu'il a une langue !" Le jeune homme recula d'un pas. Dani soupira et croisa ses gros bras sur sa poitrine.
"Du calme, Malek, du calme. Il va parler, ne le bouscule pas" Elle se pencha, difficilement en raison de sa corpulence, et posa sa main sur l'épaule du garçon. "Ne t'inquiètes pas, petit. Ce sont des amis de Deria, des grands amis. Ils ont beaucoup voyagé pour elle." Elle eut un sourire amusé. "Comprends leur réaction, ils ne savaient même pas que tu existais. Je pense que tu as beaucoup de choses à leur dire, tu ne penses pas ?"

Laath resta un instant silencieux.
"Vous avez raison" finit-il par dire. C'était les premiers mots qu'il disait. Il avait une voix profonde et grave, qui ne correspondait absolument pas à son physique. C'était une voix de barde, de chanteur, de conteur, une voix habituée à captiver les gens. "Deria ne vous a pas parlé de moi, alors ?" Il y avait une expression de douleur, sur son visage.
"Pas du tout" fit Shareen, pleine de sympathie. "Parfois, elle faisait le mur de l'Académie, mais elle prétendait qu'elle avait besoin de respirer un peu, de se promener en dehors de ces murs. Elle n'a jamais eu un grand respect pour l'autorité, et elle ne s'en cachait pas. Je n'aurais jamais imaginé, par contre… elle était très secrète" finit-elle misérablement.
Shareen se sentait furieuse et humiliée. Durant plus d'une année, elle s'était convaincue qu'elle était la meilleure, voire la seule, amie de Deria, et que celle-ci lui faisait des confidences qu'elle ne faisait à personne d'autre. La jeune fille semblait rechercher sa compagnie et être heureuse avec elle, pourtant elle ne s'était absolument pas ouverte à Shareen de ses escapades nocturnes, et de l'existence même de ce garçon. C'était frustrant. C'était même presque insupportable; Deria lui mentait ? Deria lui cachait des choses ? L'image parfaite qu'elle s'en était faite vacilla imperceptiblement.

"Je peux comprendre ça" murmura Laath. "Je ne suis pas sûr qu'elle ait été très fière de moi, en fait"
Malek gronda sourdement. Lui aussi sentait la colère l'envahir devant cette lavette, mais pas pour les mêmes raisons. Durant près d'un an, il avait tenté de courtiser Deria. Il s'était montré sous son meilleur jour. Il avait combattu avec elle de nombreuses fois. Il avait rêvé d'elle la nuit, pensé à elle en se levant. Il n'avait jamais éprouvé cela pour aucune autre fille. Et le fait qu'elle le repousse n'était mitigé que par le fait qu'elle se comportait de manière pire encore pour tout autre personne qui tentait de l'approcher. Il lui suffisait de fermer les yeux pour se remémorer comme s'il y était les rebuffades qu'avaient essuyées quelques-uns des séducteurs de l'académie, des grandes gueules pleines d'assurances que Deria avait renvoyé avec un coup de pied au derrière. Et que dire de celui qui avait tenté de lui rendre visite, la nuit, et dont elle avait déboîté l'épaule ?
Apprendre que toute cette façade de… de pureté n'était qu'une image, apprendre qu'elle avait un amant, était quelque chose qui lui faisait perdre pied. Et pourquoi quelqu'un comme ça ? Pourquoi avait-elle refusé ses avances, si c'était pour s'enticher d'une telle loque ?

"Il y a de quoi" cracha-t-il. "Regarde-toi ! Tu ne méritais pas une fille comme Deria ! Personne ne la méritait, mais certainement pas quelqu'un comme toi ! Alors prends-toi en main, et décide-toi à nous dire ce que nous voulons savoir. Plus tôt tu auras fini de tout nous expliquer, plus tôt tu pourras décamper dans je ne sais quelle fange d'où Dani est venue te chercher" Il surprit le regard hautement désapprobateur de la grosse dame, mais il ne se laissa pas démonter. "Quoi ? Vous vous attendiez à quoi en nous amenant ce… ce garçon ici ? A ce qu'on lui fasse un grand sourire ? Pour ce qui me concerne, je ne comprends pas Deria, et je ne sais pas ce que…"
"Malek, ça suffit maintenant" fit Shareen, posant la main sur son épaule. "Je sais que tu es énervé, moi aussi. Mais ce n'est pas sa faute, à lui. Il n'y est pour rien !"
"Comment ça ?"
"Il n'y est pour rien".
Les mots étaient fermes alors qu'elle pressait son bras. Lentement, il se détendit.
"Tu as raison. Je suis désolé. Je suis désolé, Laath. Je ne sais pas ce qu'il m'a pris. La fatigue, probablement. Ne fais pas attention à tout ce que j'ai dit. Ce n'est pas contre toi que j'en ai."
Laath essaya un sourire timide. Il avait l'air d'un enfant, caché derrière les jupes de Dani. Pourtant, il se redressa et avança vers les deux jeunes gens. Le mouvement semblait lui coûter, mais il le fit quand même.
"Non. Vous avez raison. Elle me le disait, elle aussi. Elle me disait de me prendre en main" Il haussa les épaules, un mouvement timide. "Elle disait qu'il y avait du fer en moi, et que cela deviendrait de l'acier un jour. Que cela viendrait avec le temps. Mais elle se trompait. Je suis un lâche"

Malek ne voyait certainement pas d'acier dans le garçon en face d'eux. A vrai dire, il n'y voyait pas de fer non plus. Il y avait beaucoup plus de courage et d'énergie dans Shareen, bien que ce fût une fille, que dans celui qui leur faisait face. Et il n'avait pas besoin de regarder Dani pour savoir qui, parmi eux, avait une âme d'acier.
"'Ne te dévalorise pas ainsi, gamin" grommela la grosse dame. "Vas-y, parle. Répète-leur ce que tu m'as dit"
Laath prit une grande inspiration. Il leva les yeux, regardant tour à tour Shareen et Malek. Il semblait rassembler son courage.
"J'étais présent lorsque Deria est morte" murmura-t-il. "J'ai vu beaucoup de choses. Ce qui s'est passé…"
"Minute, minute" interrompit Malek. "Explique-moi d'abord comment vous vous êtes connus, et depuis combien de temps ?"
"Ca n'a pas d'importance pour l'instant, Malek" protesta Shareen.
"Ca en a pour moi. Ca m'aidera à comprendre"
"Je peux faire court, si vous voulez" proposa Laath. Il se troubla de nouveau quand les deux le regardèrent. "Très bien. L'histoire complète, alors ? Bon. J'ai rencontré Deria il y a quatre mois environ, alors qu'elle cherchait à… à cambrioler une maison"

Malek hoqueta. Shareen ouvrit des yeux ronds.
"Cambr… Cambrioler quoi ?"
"Oh, vous ne saviez pas non plus ?" Il eut un sourire nostalgique. "Elle disait qu'elle s'ennuyait dans cette ville. Elle trouvait qu'il n'y avait rien à faire, aucun danger, aucun ennui. Elle affirmait qu'elle avait vécu son enfance dans un monde de violence et de guerre, et que ça lui manquait. Elle était étrange, mais ça la rendait si belle…" Il eut un sourire rêveur.
"La suite" gronda Malek. Ses mains s'ouvraient et se refermaient nerveusement. "La suite"
Le sourire de Laath s'évapora. Il déglutit bruyamment.
"Oui. Oui, bien sûr. La suite. Elle était en train d'escalader cette maison, dans le quartier des bijoutiers. Et le hasard voulait que je sois sur le toit de la même maison. Pour… affaires, également"
"Tu peux parler franchement, Laath" fit Dani. "Que tu sois un voleur ou non, je pense que ce n'est pas ça qui risque de les choquer"
"Pas un voleur. Un cambrioleur" protesta Laath. "Je ne suis pas comme ces tire-laines qui cherchent à couper les bourses dans la foule. Je choisis mes cibles avec attention. C'est beaucoup plus difficile d'être un bon cambrioleur qu'un vide-gousset, vous savez ?"
"Je m'en fiche" cracha Malek. "La suite !"
"Du calme" fit Shareen de nouveau. Elle eut un gentil sourire pour le garçon, comme si elle parlait à un enfant. "Ne lui en veux pas, il est très tendu en ce moment, il en oublie ses bonnes manières. Mais ne fais pas attention à lui, continue ton histoire"
Laath détourna les yeux alors que Malek tentait de foudroyer du regard simultanément Shareen et lui.
"Toujours est-il que… nous nous sommes croisés sur ce toit. Il pleuvait à verse, et elle n'avait pas prévu ça, je pense. Elle n'était pas très bien équipée, elle glissait sur les tuiles. Elle allait faire beaucoup de bruit et attirer la garde si elle tombait, alors je l'ai aidée à se rétablir"
"Tu l'aurais laissée tomber si ce n'avait pas été pour le bruit ?" fit Shareen, choquée
"Bien sûr. Je ne la connaissais pas, après tout" Il eut un sourire bref. "Mais je suis content de ne pas l'avoir fait"

Il cligna des yeux, cherchant à éclaircir sa vision alors que la pluie tombait à verse. Le manteau qu'il avait emporté ne se révélait pas une protection suffisante; les gouttes coulaient à l'intérieur du capuchon, glissant dans ses cheveux puis sur son visage. C'était un sale temps, donc un très bon temps pour les cambrioleurs. Les toits étaient plus glissants, mais les gardes étaient moins regardants. Ils se serraient autour des braseros, sous les poternes, à l'abri de la pluie. Lorsqu'ils patrouillaient, ils essayaient de boucler leur parcours le plus rapidement possible, et ils levaient rarement les yeux au ciel. Non, ils avaient la tête baissée pour se protéger de la pluie. Avançant ainsi, ils auraient aussi bien pu ne pas être présent, pour ce que cela concernait Laath.
Le jeune homme était confiant. S'il y avait bien une chose en laquelle il mettait sa foi, c'était ses talents de cambrioleur. Cela faisait deux jours qu'il observait la boutique, et le trafic qui s'y déroulait. Les gemmes étaient gardées ailleurs, et même lui n'était pas assez fou pour tenter de les subtiliser. Mais, pierres ou non, la maison devait regorger de richesses et de trésor. Si jamais tout se passait comme prévu, Laath serait enfin riche. Il pourrait enfin quitter l'impasse boueuse dans laquelle il dormait, et manger à sa fin. Il montrerait aux autres voleurs, qui l'avaient refusé dans la Guilde des Voleurs, de quel bois il était fait.
Et il avait fallu que cette fille débarque. Pourquoi cette nuit ? Pourquoi maintenant ?
Plaqué contre les tuiles, il l'avait regardée monter, appréciant malgré lui l'habileté et la souplesse dont elle faisait preuve. Elle était loin d'être aussi douée que lui, bien sûr – mais personne ne l'était. Pour une amateure, elle se débrouillait plutôt bien. Ses mains trouvaient instinctivement les failles dans la pierre, et sa progression, bien que lente, n'en était pas moins sûre.
Lorsqu'elle avait enfin mis le pied sur le toit, les tuiles glissantes l'avaient prises par surprise. Elle agita les bras, dérapa, et sa jambe partit dans le vide. Instinctivement, Laath s'était jeté en avant.
Et voilà ce que ça lui avait rapporté. Les muscles tendus par l'effort, il tenait la jeune fille par le bras. Elle se balançait doucement dans le vide. Elle n'avait pas crié, en tombant. Les gardes ne penseraient pas à lever les yeux.
"Merci" fit-elle d'une voix tranquille. On aurait pu croire qu'elle était tranquillement en train de siroter son thé dans un palais pour toute l'émotion qu'elle laissait transparaître. Elle leva les yeux, accrochant fermement son regard. "La pluie a rendu le toit glissant"
"Je ne pourrai pas te tenir longtemps" grogna Laath, les dents serrées. "Je glisse"
"Tu peux me hisser ?"
"Je n'ai pas assez de force !"
"Je vois" murmura la jeune fille. Elle commença à se balancer.
"Arrête ! Tu vas me faire lâcher ma prise !"
"Tout ira bien, ne t'inquiète pas. Et cesse de crier, tu vas attirer les gardes"
Laath faillit la lâcher de stupéfaction. Elle avait raison. Il venait de hurler. Comment avait-il pu faire une telle erreur ? Malgré l'orage, si jamais une patrouille était à proximité… Un nouveau cri lui monta aux lèvres alors qu'elle se tordait dans son étreinte, cherchant à retrouver une prise contre le mur.
"Je vais lâcher !" siffla-t-il.
"Parfait, j'y suis !"
Ses doigts glissèrent, mais la jeune fille s'était déjà assurée une position stable. En quelques instants, elle remonta sur le toit. Cette fois, son regard était clairement méfiant alors qu'elle regardait les tuiles.
"Saleté" murmura-t-elle.
"Tu peux le dire" fit Laath. Il bougea ses doigts nerveusement. Sa main lui faisait mal.
"Tu es ici pour cambrioler la maison ?" fit-elle.
"On peut le dire". Il hésita. "Toi aussi ?"
"Oui. Mais je vois que tu étais là le premier. Je vais te laisser à ton travail" Elle lui sourit, et lui planta un baiser sur la joue. "C'était gentil, ce que tu as fait. Beaucoup de voleurs m'auraient laissé tomber"
"Je n'ai pas réfléchi" avoua-t-il.
"C'est comme ça que l'on devient un héros"
"Et vous avez dévalisé la maison ensemble, finalement ?" demanda Shareen, captivée par la voix hypnotique du jeune homme.
"Oui. Je ne voulais pas qu'elle parte, et puis, la maison était assez riche pour deux. De toute façon, elle n'était pas vraiment intéressée par l'or. Elle me disait qu'elle faisait ça par goût du danger"
"C'est quand même extraordinaire" murmura Shareen. "Je ne me suis jamais douté qu'elle menait une double vie, comme ça. Passer sa nuit sur les toits à cambrioler ! Elle disait tout le temps qu'elle avait besoin de sensations fortes, mais là, ça dépasse tout !"
"Et vous vous êtes retrouvés, ensuite, je suppose ?" fit Malek. "Pour d'autres… cambriolages ?"
"Oui. Elle manquait de technique, mais elle avait un potentiel extraordinaire. Elle m'apprenait à me battre. Elle était très douée, vous savez. Et elle voulait que je lui apprenne tous mes trucs, comment forcer une serrure sans laisser trop de traces, et comment briser une fenêtre sans bruit, et beaucoup d'autres choses encore" Il sourit fièrement. "Je suis le meilleur monte-en-l'air de la ville, je suis sûr"
"Et c'est la seule façon dont vous… montiez en l'air ?" demanda Malek, soupçonneux.
"Malek !" fit Shareen, choquée. Dani gloussa. Le son paraissait déplacé, venant d'un corps si imposant. "Ce ne sont pas des choses qui se disent !"
Laath se contenta de hausser les épaules.
"Nous nous aimions, je pense que c'est le plus important"
"Tu l'aimais ? Comment tu pouvais l'aimer après aussi peu de temps, foutu bâtard ?" cracha Malek. "Comment est-ce qu'elle pouvait t'aimer, alors que tu n'as même pas le courage de me regarder en face ? Allez ! Regarde-moi en face !" Il était furieux.
Laath leva les yeux. Un tic nerveux agitait sa joue.
"Vous voulez que je vous raconte la suite, ou pas ? Le jour de sa mort ?"
"Bien sûr" fit Shareen.
"C'est pour ça que tu es ici, après tout" grommela Malek. "Je n'y crois pas. Je n'y crois pas !" Il s'assit le dos aux autres, regardant l'entrée de la caverne et les reflets de la lune sur le Verdoyant.
"Ignore-le pour l'instant" murmura doucement Shareen. "Il est perturbé, mais c'est un bon compagnon. Tu verras qu'il ne fera pas la tête trop longtemps"
"J'ai entendu !" cria Malek en retour.
"Qu'est-ce que je disais ?" La jeune fille redevint sérieuse. "Peu importe pour l'instant de savoir vraiment les relations que tu avais avec Deria. Mais raconte-nous comment elle est morte"
Laath lança un regard hésitant vers Malek, puis haussa les épaules. Il paraissait troublé.
"Très bien, très bien. Mais ce n'est pas facile à dire…"
"Tu sais que tu n'aurais rien pu y faire, petit" murmura Dani, compatissante. Elle se tourna vers les deux jeunes gens. "Si je vous entends faire un seul commentaire désobligeant pendant son histoire, je vous jette dans la rivière moi-même, et je ne veux plus rien avoir à faire avec vous. C'est bien compris ?"
Elle planta ses poings sur ses hanches et leur lança un regard furibond. Malek plia les épaules. Shareen acquiesca.

"Nous ne sommes pas là pour te faire des reproches, mais pour comprendre, et pour savoir qui l'a tuée. Si tu as vu la scène, alors il faut nous le dire"
Laath hocha la tête.
"C'était affreux…" murmura-t-il. "Elle est venue me voir furieuse, alors que je n'attendais pas du tout sa visite. Je… j'habite dans un endroit qui n'est pas très agréable à voir, et elle n'était jamais venue jusqu'à maintenant. Je savais que ça lui ferait un choc. Mais elle n'a pas réagi. Elle s'est jetée dans mes bras, en grognant qu'elle allait quitter l'académie, que les gens là-bas étaient tous des abrutis sans aucun…" il s'interrompit, bouche ouverte, et resta un instant muet en réalisant ce qu'il venait de dire. "Je veux dire, elle prétendait que certains en particulier la rendaient folle. Je ne sais pas de qui elle voulait parler, mais certainement pas de vous puisque vous étiez ses amis. J'espère que vous ne l'avez pas pris personnellement." Malek ne répondit rien. Il fixait obstinément le sol.
"Toujours est-il que je l'ai réconfortée comme j'ai pu. Nous sommes allés nous promener sur les rives du Verdoyant. C'est très beau, la nuit, surtout aux limites de la ville, là où plusieurs maisons ont été détruites. Il y a beaucoup de place, c'est agréable" Il grimaça devant le regard impatient de Shareen. "J'y arrive, j'y arrive. Nous n'étions pas installés depuis plus de quelques minutes que nous avons entendu vu passer un homme. C'était bizarre."

"Bizarre ? Pourquoi ?"
"Parce que personne ne passe par ici, d'habitude; C'est bien pour ça que j'aime cet endroit. Et cet homme semblait complètement déplacé à cet endroit. On sentait que c'était un noble. Il en avait les manières, en tout cas. Il est arrivé vers Deria, et il l'a saluée par son nom, comme s'il la connaissait"
Shareen était de plus en plus perdue dans cette histoire.
"C'est vrai ?"
"Je vous le jure ! Il avait l'air très surpris de la voir là, il lui a demandé ce qu'elle faisait ici, mais elle n'a pas répondu. Elle semblait ne pas le connaître, par contre, et il ne s'est pas présenté"
Malek jugea qu'il avait assez regardé le Verdoyant pour toute une vie. Avec un soupir de résignation, il vint rejoindre le petit cercle des trois autres.
"Tu dis qu'elle ne le connaissait pas ?"
"Non. Ou alors, elle n'en a rien montré. Elle lui a dit de nous laisser, et elle a tiré son épée. Elle était furieuse, je peux vous le dire. Elle voulait être tranquille. Elle a crié à l'homme que s'il restait encore ici, elle le frapperait; que son corps ne serait jamais retrouvé." Il frissonna. "Elle avait l'air sérieuse. Elle me faisait peur, alors"
"Et l'homme ?"
"Il a ri. Il a écarté les bras, comme si tout cela ne le concernait pas, puis il a posé deux doigts sur son front en marque de respect et est reparti. Mais il n'avait pas fait deux pas qu'il s'est retourné, et qu'il lui a crié qu'il avait besoin d'elle. Qu'il avait quelque chose d'important à lui dire. Qu'il voulait la voir, mais seul à seule, dans l'enceinte du palais"
Shareen resta un instant incrédule.
"Qu'est-ce que c'est que cette histoire de palais ? Vous êtes allés au palais ?"
"Ne me dis pas qu'elle y est allé ?" renchérit Malek. "Ca sentait le piège à plein nez !"
"Oh, si, elle y est allée. Elle était curieuse, Deria. Elle m'a ri au nez lorsque je lui ai dit de ne pas rentrer dans le palais. Elle a touché son épée, et elle m'a dit que quiconque lui voudrait du mal s'en repentirait. Elle a rajouté que son père tuerait ceux qui lui auraient échappé. Je lui ai proposé de l'accompagner, mais elle a refusé. Elle paraissait amusée que je me soucie d'elle. Amusée ! Vous vous rendez compte ?"
Shareen pouvait comprendre la réaction de Deria. Si elle avait eu à choisir un garde du corps, elle n'aurait certainement pas choisi ce personnage falot. Même si, à dire la vérité, il avait dû lui falloir beaucoup de courage pour proposer de l'accompagner ainsi, pensant que c'était un piège.
"Elle est donc rentrée seule ?"

Laath sourit légèrement.
"Pour qui me prenez vous ? Parfois, je sais faire preuve de courage. Non, j'ai escaladé les murs du palais et je me suis lancé à sa poursuite, qu'elle le veuille ou non."
Shareen le regarda avec stupéfaction. Malek ne cachait pas non plus son étonnement.
"Toi ? Tu as fait ça ? Ce n'est pas du courage, c'est de la folie ! Les murs du palais sont hauts de plus de trente pieds, et des gardes patrouillent en haut, sur le chemin de ronde ! Personne ne peut l'escalader !"
"Je l'ai fait, pourtant" protesta Laath. "Il fallait que je la retrouve, vous comprenez ? J'étais convaincu qu'elle aurait besoin de moi !"
"Je vous disais que ce n'était pas n'importe qui, ce petit gars" fit Dani, hochant la tête avec satisfaction. "Il faut savoir regarder derrière les longs cils et le côté effeminé, parfois. Votre Deria l'a fait, semble-t-il"
Laath rougit violemment.
"Et tu ne t'es pas fait attraper ?" demanda Malek, incrédule.
"Non, personne ne m'a vu. J'ai atterri dans le jardin et j'ai entrepris de la retrouver. Mais c'était déjà trop tard. Elle était dans une petite église, au fond d'une cour, là où l'homme lui avait visiblement donné rendez-vous. Mais il n'était pas là. Lorsque je suis arrivée, elle était seule. Et puis ils sont venus."
"Qui ?"
"Je ne sais pas, je ne les voyais pas. C'était une dizaine de personnes. Ils étaient habillés en noir, avec des manteaux longs ridicules, qui leur couvraient la totalité du corps, et des masques grotesques sur le visage. Une véritable caricature de brigand; sauf qu'aucun brigand ne s'habillerait de manière aussi voyante. Ils sont arrivés, ils ont désigné la jeune fille, et ils ont commencé à lui faire des propositions lubriques"
"De quel genre ?" s'enquit Shareen, intriguée.

Laath lui lança un regard agacé.
"Enfin, tu ne veux pas non plus que je te fasse un dessin ! Bref, elle leur a ri au nez, et a commencé à se moquer de leur virilité. Elle a dit quelque chose que je n'ai pas trop compris sur des boucs et des poireaux, et l'un d'eux, leur chef visiblement, est devenu furieux. Il gesticulait beaucoup. Ils ont tous sorti des espèces de gourdins, et ils se sont jetés sur elle. Il y en avait un qui avait un couteau, aussi. Le chef avait une épée. Je m'en souviens très bien, parce qu'il l'agitait dans tous les sens"
"Et alors ? Ils se sont battus ?"
"Elle a sorti son arme, elle aussi. Mais elle n'avait pas l'air de vouloir frapper pour tuer, ce qui est toujours gênant quand on a une épée affûtée. Elle a frappé le premier au bras, en déchirant son manteau et sa peau. Ensuite, ils ont été beaucoup plus prudents. Je crois qu'ils avaient peur d'elle, mais leur chef les encourageait à avancer, et ils ont fini par obéir. Elle a continué à se battre. Ils étaient beaucoup trop nombreux. Elle a reçu un coup sur le crâne et elle a reculé. J'ai cru qu'elle tomberait, mais elle s'est redressée. Ils n'y allaient pas de main morte. Les coups pleuvaient sur elle, alors je suis sorti de ma cachette en hurlant"
"Tu es venu l'aider ?"
"C'est pour ça que j'avais escaladé le mur, après tout" fit Laath, s'agitant nerveusement. "Je me suis jeté en avant, mais je n'avais pas d'armes. Je n'en porte jamais. Alors j'ai essayé d'immobiliser l'un des hommes, mais alors c'est moi qu'ils ont frappé"
"Tu aurais dû donner l'alerte, au lieu de te lancer sur eux comme ça ! Tu es complètement fou ! Qu'espérais-tu faire ?"
"Je n'ai pas réfléchi, je vous le dis ! Mais en effet, ça n'a servi à rien. J'étais recroquevillé dans un coin, et ils abattaient leurs gourdins sur moi. Je suis sûr qu'ils m'auraient tué si elle n'était pas intervenue. Faible comme elle l'était, à moitié assommée, elle a arraché le gourdin d'un des hommes et a recommencé à se battre. Ils se sont écartés de moi, et j'ai bien cru qu'elle allait tous les vaincre tellement elle bougeait vite. Je vous dis, elle se retenait alors qu'elle se battait à l'épée, mais avec un gourdin elle n'avait plus de raison d'y aller de main morte"
"Elle n'aurait pas dû se retenir depuis le début" siffla Shareen. "Ces gens-là sont des monstres. Elle aurait dû n'avoir aucun scrupule !"
"Il semblerait que, en ça au moins, elle diffère de son père" murmura Malek. Il soupira. "Et ensuite ?"
"Elle m'a dit de fuir. Elle m'a hurlé de fuir, alors qu'elle essayait de repousser ceux qui l'entouraient. Elle criait qu'elle allait s'en sortir, que je ne pourrais pas l'aider, que je devais partir, et elle reculait à chaque coup qu'ils frappaient. Il y en a deux qui sont venus vers moi, le chef avec son épée et l'autre avec son couteau. J'ai compris qu'avec moi, ils ne se retiendraient pas. J'ai fui. J'ai couru comme je n'avais jamais couru, malgré mes contusions, et j'ai réussi à me cacher dans une cave à charbon le temps qu'ils partent."
Il dit ça avec écoeurement, crachant les mots comme s'ils avaient un goût amer. Probablement était-ce le cas.
"Tu n'as rien à te reprocher" murmura Dani doucement. "Tu n'avais pas d'arme, et tu ne savais pas bien te battre. Personne ne te blâme d'avoir fui."
"Moi, je me blâme. Si je n'étais pas parti, j'aurais au moins occupé deux de ses assaillants, peut-être qu'elle s'en serait sorti"
Malek hocha la tête.
"J'en doute. Ca me fait mal de le dire, mais je trouve que tu t'es comporté de manière courageuse, Laath. Je ne sais pas si j'aurais eu les nerfs de bondir sans arme sur dix assaillants pour sauver la fille que j'aimais"
"Je n'ai pas réfléchi" avoua Laath.
Shareen eut un sourire triste.
"C'est comme ça qu'on devient un héros."
Il faudra attendre un peu plus tard que d'habitude pour le chapitre d'aujourd'hui (genre vers 20h), bicoz problème au bureau - seulement trois pages d'écrites déjà

Mais je peux déjà vous dire que Rekk n'est pas dans la m...
I love this story ! It's beautiful !

Les meurtriers, je suis sure que c'est le prince et ses amis parce : "...leur chef visiblement, est devenu furieux. Il gesticulait beaucoup. " et ca "Le chef avait une épée. Je m'en souviens très bien, parce qu'il l'agitait dans tous les sens". Et puis, apres tout, il a pas hesiter une seconde a empoisonner son pere. Pourquoi aurait-il hesiter a commettre un meurtre...

Continue, Grenouillebleue !
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