Chapitre XIV: J'aime bien celui-ci

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Pour une fois, je suis assez content de ce que j'ai écrit. Je suppose que comme par hasard c'est celui que vous allez le moins aimer

Introduction
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII
Chapitre IX
Chapitre X
Chapitre XI
Chapitre XII
Chapitre XIII


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Shareen porta sa main à sa bouche pour étouffer le cri incrédule qui montait en elle.
Semos était mort et bien mort, il n’y avait aucun doute. Sa gorge n’était plus qu’une ruine ensanglantée alors qu’il gisait sur le sol, les yeux vitreux. Et elle l’avait senti venir. Elle avait vu les yeux de Rekk se plisser, sa bouche se tordre en un rictus amusé alors qu’il frappait. A bien y réfléchir, elle s’en était douté dès le clin d’œil qu’il lui avait fait ; sa façon à lui de lui dire qu’il y allait avoir du spectacle.
Jamais le Démon Cornu n’avait épargné ses ennemis. Aujourd’hui, l’histoire se répétait.
" Il est… mort " balbutia-t-elle. Elle avait envie de vomir.
" Par les démons, qu’est-ce que ton ami vient de faire ? " murmura le garde à ses côtés, les yeux exorbités.
Rekk jeta son arme au sol. Dans le silence absolu, le claquement du bois contre les dalles parut se réverbérer mille fois contre les murailles de l’Académie. On entendait dans le lointain des bruits de marmites agitées dans les cuisines et, étouffés par les hauts murs de brique, les bruits de la rue et les exclamations des camelots.
A vrai dire, le seul qui ne parût pas affecté était Rekk lui-même. Pour toute l’agitation qu’il manifestait, il aurait pu être tranquillement en train de siroter son brandy dans la tour. Souriant paisiblement, il s’inclina devant les maîtres de l’Académie.
" Le duel est terminé. Le premier sang a été versé. Mon honneur est satisfait " fit-il.
Maître Heilban eut un sursaut, arrachant avec effort son regard du corps sur le sol.
" Qu’est-ce que… vous avez fait ? " murmura-t-il, incrédule.
" Un accident fâcheux. Je voulais le toucher à l’épaule, mais j’ai glissé "
" Ne vous foutez pas de moi " hurla l’homme. Heilban s’était toujours montré inflexible sur la discipline et la courtoisie qui devaient régner au sein de l’académie. Jamais on ne l’avait vu élever la voix. Il avait déjà fouetté bien des élèves pour s’être montrés vulgaires ou insolents. Qu’il s’abaisse jusqu’à jurer ainsi montrait bien à quel point il était choqué. " Gardes ! Emparez-vous de cet assassin ! "
" Non ! " cria Shareen.
“ Désolé, petite… peut-être nous reverrons-nous ? " fit l’homme avec qui elle s’était entraînée, le regard plein de regrets. Pour tout dire, il paraissait moins affecté par la mort devant ses yeux et la tâche qui lui incombait qu’au fait de se séparer de la jeune fille. " Le devoir m’appelle "
Les dix gardes de Semos se déployèrent autour de Rekk sans que celui-ci fît un seul mouvement pour les en empêcher. Plusieurs autres guerriers de l’académie, qui s’étaient fondus dans la foule pour observer le duel, tirèrent leur épée. Certains avaient des arbalètes, et les pointaient maintenant sur le Banni.
" Eh bien, eh bien " tempéra celui-ci, levant une main ouverte vers Heilban. " Qu’est-ce que c’est que cette démonstration de force ? "
Heilban tremblait de fureur.
" Ta place est aux galères, assassin, ou écartelé sur la place publique. L’Empereur jugera de ton sort. Déboucle ton ceinturon ! "
" Puisque je vous dis que c’est un accident… Je vous ferais remarquer que c’est votre maître Semos lui-même qui a demandé ce duel "
" Nous verrons bien ce que pensera l’Empereur de cet accident " siffla Heilban. " Et déboucle ton ceinturon ! "
Lentement, Rekk approcha sa main de sa poche, dans laquelle se trouvait la lettre qui cautionnait ses actes. Le cliquetis des arbalètes le fit s’arrêter.
" J’ai ici, dans mon manteau… "
" Ton ceinturon ! Tout de suite ! " cracha Heilban.
Avec un soupir, le Banni laissa tomber son arme au sol.
" Voilà. Vous êtes contents ? Maintenant, comme je vous le disais, j’ai une lettre de l’Empereur qui… "
" Tu nous as déjà montré cette lettre. Gloire et Honneur à l’Empereur. Si ce que tu as fait était sa volonté, alors je m’inclinerai. Mais tu vas tout d’abord nous suivre au Palais. Je ne peux pas croire que la mort de Maître Semos soit de la volonté de l’Empereur "
" Vous refusez d’obéir à un message expressivement signé de Sa Grâce ? Il risque d’être de mauvaise humeur, ne croyez-vous pas ? " Rekk haussa les épaules. " Mais si cela vous fait plaisir… "
" Je pense que l’Empereur comprendra que dans de telles circonstances, j’aie besoin d’une confirmation. Si vraiment vous aviez raison… je vous prierai d’accepter mes excuses. Mais pour l’instant, j’ai bien peur qu’il vous faille nous suivre "
" S’il faut vraiment en passer par là… " Rekk soupira théâtralement. " Mais dépêchons-nous "
Maître Heilban lui lança un regard perçant. Neuf arbalètes étaient prêtes à tirer sur un simple geste de sa part, vingt lances pouvaient s’enfoncer dans la poitrine de l’homme qui leur faisait face, pourtant, celui-ci réagissait comme s’il n’éprouvait aucune crainte. C'était… perturbant.
Il s'était déjà entraîné contre maître Semos à l'occasion, et il savait parfaitement le niveau qu'avait le seigneur de l'académie. Gundron aurait probablement pu le vaincre, certainement – Heilban était assez intelligent pour comprendre que quelque chose avait dû se passer qui avait truqué le combat d'une manière ou d'une autre. Mais, même s'il n'était pas aussi doué qu'il aimait à le prétendre, Semos restait une très bonne lame. Que quelqu'un puisse le vaincre aussi facilement, voilà qui donnait à réfléchir. Et, non seulement vaincre, mais porter un coup mortel sans hésitation. Une habileté angélique et des nerfs démoniaques. Heilban plongea ses yeux dans le regard noir de l’homme en face de lui, et décida qu’il ne prendrait pas de risques. Si jamais le baron Gaffick souhaitait jouer au plus malin, il ordonnerait aux arbalétriers de tirer. Après tout, lui aussi pouvait faire des erreurs…
Mais Rekk n’opposa aucune résistance alors qu’un garde s’approchait pour s’emparer de son épée, sur le sol, et que les lances se rapprochèrent jusqu’à effleurer sa poitrine.
" L’Empereur est à la chasse aujourd’hui, avec une grande partie de sa cour " fit Heilban lorsqu’il fut certain que l’homme était maîtrisé. " Il ne reviendra pas avant demain, dans la matinée, si le gibier s’est révélé abondant. Pendant ce temps, vous serez sous ma responsabilité. Une pièce vous sera donnée dans la tour des maîtres, et je veillerai à ce que vous ne manquiez de rien "
"Demain ?" Rekk fronça soudain les sourcils. "J'avais complètement oublié qu'il était censé partir dans la campagne aujourd'hui. Mais je ne peux pas me permettre d'attendre demain."
"C'est pourtant ce que vous devrez faire, Baron. Croyez bien que je le regrette si vous êtes celui que vous prétendez être, mais je pense que vous comprenez ma position"
Rekk resta un instant silencieux. Son regard se posa sur Shareen et Malek, dans un coin, et il soupira.
"J'avais un rendez-vous important ce soir. Mais je suppose que je n'ai pas le choix. Je vous suis, maître. Mais j'espère bien que quelqu'un ira à ma place au rendez-vous en question"
Heilban fronça les sourcils.
"Je peux arranger cela, bien entendu. Qui désirez-vous que nous prévenions ?"
"Cela n'a aucune importance" fit Rekk. Il sourit. "Si jamais vous aviez une bonne bouteille de brandy, l'attente pourrait même se révéler agréable"
Shareen n'entendit pas la réponse furieuse de maître Heilban, alors que ses oreilles bourdonnaient. Il était évident que Rekk leur avait demandé de rencontre Dani pour lui, puisqu'il allait se retrouver emprisonné. Mais, à voir les regards soupçonneux des gardes autour d'elle et de Malek, cela n'allait pas être facile.
"Filons d'ici avant qu'on se rappelle notre présence" murmura-t-elle à Malek.
Le jeune homme acquiesca de la tête. Il fallait profiter de la commotion provoquée par le Banni – par le Baron Gaffick – pour tenter de s'éclipser. Lentement, d'un air dégagé, ils se dirigèrent vers les lourdes doubles portes de l'Académie. Se retournant furtivement, Shareen pouvait voir Rekk se faire conduire dans la grande tour, toujours encadré d'une haie de gardes. La plupart des yeux étaient tournés vers la scène du duel, mais ils ne pouvaient échapper à l'attention de tous.
"Hey, vous ! Où croyez-vous aller ?" clama un garde, pointant le doigt vers eux.
"Vous êtes venus avec le baron Gaffick, non ?" s'exclama un autre. "Attendez un peu !"
"Je les connais !" siffla une voix dans la foule. "Ce sont Malek et Shareen, ce sont des déserteurs !"
"Attrapez-les !"
La première exclamation n'avait pas encore résonné à leurs oreilles qu'ils filaient déjà ventre à terre. Les gardes parurent hésiter entre surveiller Rekk et partir à leur poursuite. Trois se lancèrent à leurs trousses, mais la peur et l'excitation donnaient des ailes à Shareen. Malek courait plus vite qu'elle, mais elle serra les dents, tentant d'imiter ses grandes foulées qui avalaient la distance. Ils s'engouffrèrent entre les deux portes de l'Académie, et continuèrent à courir en atteignant les rues encombrées de la ville périphérique.
Les artères grouillaient de monde, et ce fut un jeu d'enfant de semer enfin les gardes. Dans toute autre ville, peut-être les habitants auraient aidé les soldats à rattraper les deux jeunes gens, mais pas à Musheim. Un conducteur de char fit avancer ses bœufs négligemment pour bloquer la rue que venaient de prendre les fugitifs, alors qu'une vieille femme portant un plateau de pommes vint heurter de plein fouet la patrouille hors d'haleine. Les pommes roulèrent sur le sol, et elle se jeta dessus pour les récupérer, ajoutant au désordre ambiant.
"Elles sont toutes sales, maintenant !" gémit la vieille femme. "Pauvre, pauvre Pedra, ses pommes sont boueuses, qui va manger des pommes boueuses, que va manger Pedra ?" Elle tira sur la manche d'un des gardes, qui ordonnait au conducteur des bœufs de bouger sa charrette. "Paie, paie les pommes de Pedra ! Tu salis, tu paies !"
"Fous-moi la paix, vieille folle !" gronda le garde, agitant le bras pour se libérer.
Mais le mal était fait. Les deux fuyards n'étaient plus en vue.

Appuyée contre un mur, Shareen reprenait lentement son souffle.
Malek la regardait, vaguement surpris. Il ne pensait pas qu'elle ait pu courir ainsi. Il avait toujours été parmi les meilleurs à la course à pied, à l'académie. Qu'une fille parvienne à le suivre aussi facilement, dans tous les tours et détours qu'il avait pris pour semer les gardes, le surprenait beaucoup. A vrai dire, c'en était même un peu vexant. Il n'avait jamais fait attention à la jeune fille lorsqu'elle était à l'Académie mais, en y regardant de plus près, elle était effectivement assez athlétique. Le mois de privation qu'elle avait subi, sans compter le voyage harassant, avait fait fondre les derniers restes de graisse de son adolescence, et elle était maintenant svelte et mince comme un roseau. Sous l'effet de la transpiration, ses vêtements lui collaient à la peau, révélant une poitrine finalement pas si petite que cela, et bien dessinée.
"Qu'est-ce que tu regardes ?" fit Shareen, acerbe.
"Rien, rien" Il détourna les yeux, coupable. "Je crois qu'on les a semés"
"Oui, je n'entends plus aucun signe de poursuite…"
Malek soupira.
"Si seulement Rekk ne se conduisait pas ainsi comme ça en permanence…"
"J'espère qu'ils ne vont pas trop mal le traiter"
"J'espère surtout qu'il ne va pas tous les tuer" grinça Malek. "Quelle mouche l'a piqué de tuer ainsi Maître Semos ? Et devant tout le monde, en plus ?"
"Je pensais que tu aurais apprécié sa méthode. C'était très licornéen, après tout. Du grand spectacle, un duel regardé par près de cent personnes… Tu aurais préféré un coup de poignard dans le dos ?"
"Ce n'est pas une histoire de méthode, Shareen, et tu le sais très bien ! C'est simplement trop… brutal"
La jeune fille renifla.
"Ca ne te gênait pas, pourtant, d'envisager Rekk en train de déchiqueter l'assassin de Deria en petits morceaux. Tu avais même l'air plutôt désireux de participer à la curée, eh ?"
"Ca n'est pas la même chose ! Et, oui, j'ai toujours envie de voir ce monstre souffrir avant de mourir pour payer ses crimes. Mais ce n'est pas pour ça qu'il faut laisser une piste sanglante partout où l'on passe !" Il se passa la main dans les cheveux, frustré de ne pouvoir bien exprimer sa pensée. "On dirait qu'il ne sait réfléchir qu'avec son épée ! Là encore, dans l'académie, je suis sûr qu'il a envisagé pendant un instant de se frayer un chemin dehors à la pointe de l'épée. Bah !"
Shareen le regarda, les yeux brillants de colère.
"Arrête de dire des bêtises, Malek ! Tu oublies peut-être que c'est Semos qui voulait nous tuer ? C'est à cause de lui, justement, qu'on a eu tous ces problèmes. C'est lui qui nous a envoyé des tueurs et des chasseurs de primes au trousses. Je ne sais pas si tu te souviens vu que tu n'as rien fait du combat, mais moi je sens encore la pointe de la dague contre ma gorge"
"On n'est même pas sûrs que ce soit lui ! Je ne sais pas ce que Rekk a découvert en discutant avec lui, mais en tout cas il n'a pas pu nous mettre au courant"
"Je suis sûre que c'est lui. Rekk n'aurait jamais tué un innocent"
"Crois-tu ?"
Shareen rougit, et Malek leva les bras au ciel de frustration. La jeune fille était peut-être plus mignonne que dans son souvenir, mais elle était aussi obstinée qu'une mule. Visiblement, elle continuait à croire que Rekk avait un bon fond. Malek avait depuis longtemps cessé de le croire.
"Quoi qu'il en soit, c'est maintenant à nous de retrouver Dani et de lui expliquer ce qu'il se passe"
Le jeune homme leva les yeux vers le soleil.
"Il n'est pas très tard. Nous avons toute la journée à attendre. Elle nous avait dit de la rejoindre au crépuscule. Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire pendant ce temps ?"
"Attendre, je suppose. Je ne nous vois pas revenir au palais, et encore moins à l'académie. La grotte fera une bonne cachette, tu ne penses pas ?"

Il n'y avait pas beaucoup d'alternatives. Ils attendirent quelques instants, pour être certains que les gardes n'étaient plus dans les environs, puis ils se mirent en route. Shareen s'arrêta quelques instants pour sortir ses dernières piécettes de sa bourse. Elle acheta un bol de soupe au lard, au fumet délicieux et un peu de pain.
"Tu en veux ?" Elle tendit le bol vers Malek.
Le jeune homme grimaça.
"Très peu pour moi, non. Je déteste la soupe"
"Tu devrais, ça te rendra grand et fort" Elle ricana. "Si tu ne bois pas ta soupe, jamais tu ne deviendras comme Rekk"
"Raison de plus pour ne pas manger…"
"Ne fais pas ton timide, vas-y !"
Elle avança une cuillère pleine de soupe vers sa bouche et éclata de rire devant ses efforts pour l'éviter. Il finit par sourire aussi, et grimaça lorsqu'elle en profita pour vider le contenu de la cuillère entre ses dents. Il cracha, alors que le liquide coulait sur ses habits.
"C'est malin !" gronda-t-il, mi-amusé, mi-furieux.
Alors qu'elle se confondait en excuses ironiques, il la regarda plus attentivement. Elle avait quelque chose en elle de changé, quelque chose qui tranchait avec son côté introverti et posé à l'Académie. Il haussa un sourcil, et l'attira vers lui.
"Je connais un moyen beaucoup plus agréable de passer le temps que de rester à nous morfondre dans une caverne" lui murmura-t-il à l'oreille. "Il doit bien y avoir quelques auberges, par ici…"
Sa vision vacilla un instant, alors qu'une vive chaleur irradiait de sa joue gauche. Il lui fallut un instant pour comprendre qu'elle venait de le gifler.
"Tu es un porc, Malek ! Un porc !" cracha-t-elle.
A la grande surprise de la jeune fille, il éclata de rire.
"Et toi, tu ressembles de plus en plus à Deria…"
Shareen rougit furieusement.
Ils terminèrent le repas en silence, et ce fut en silence qu'ils rejoignirent la caverne. Une sorte de gêne palpable s'installait entre eux, alors qu'ils étaient tous les deux seuls pour la première fois depuis que la jeune fille avait entamé son long voyage pour prévenir Rekk de la mort de sa fille. Cela semblait être si loin, et pourtant cela ne faisait qu'un mois. Entre temps, ils avaient vu une légende prendre corps. Ils avaient été attaqués par des brigands, s'étaient fâchés avec le prince héritier, étaient tombés dans le piège de mercenaires… tout cela était si loin de la vie bien rangée que leur promettait l'académie !
"Tu ne regrettes pas, parfois, d'avoir entrepris ce voyage ?" fit soudain Malek, plus pour briser le silence que pour obtenir une véritable réponse.
"Le regretter ? Oui et non" La jeune fille sourit. Elle avait décidément un très joli sourire. "C'est vrai que je me demande vraiment de quoi demain sera fait, mais c'est excitant, quelque part. J'ai vraiment l'impression de devenir quelqu'un d'autre, et ça me plaît…"
"Je ne comprendrai jamais les filles" grommela Malek, baissant la tête.
"Personne ne te demande de les comprendre" sourit Shareen. "Dis-moi, on a un après-midi à occuper. Au lieu de se regarder en chiens de faïence, est-ce que tu voudrais bien t'entraîner avec moi ? J'ai l'impression que si j'y mets de l'énergie, je pourrais progresser. J'ai envie d'aider Rekk, d'être autre chose qu'un boulet qu'il traîne. Tu peux faire ça ? S'il te plaît ?"
" T'entraîner ? Encore ? On n'a presque pas dormi cette nuit, et tu t'es déjà battue tout à l'heure, qu'est-ce qu'il te faut de plus ?"
"S'il te plaît s'il te plaît s'il te plaît…"
Malek leva les yeux au ciel devant le regard implorant et la moue humide de la jeune fille.
"Bon, d'accord, d'accord" Il grogna. "Tu peux être une telle gamine, parfois"
"Ce n'est pas ce que tu disais, tout à l'heure" fit-elle, espiègle, en sortant son épée de bois. "En fait, j'ai bien l'impression que…"
"Ca va, ca va ! Allez, mets-toi en garde, et finissons-en !"
A sa grande surprise, il prit plaisir à cet entraînement. Il était bien plus fort que la jeune fille, mais elle avait du cœur, et elle montrait une envie d'apprendre étonnante. A chaque fois qu'il trompait sa garde et que le bambou mordait sa chair, une excuse lui montait aux lèvres. Mais elle secouait la tête, serrait les dents, et demandait qu'on lui explique ce qu'elle avait mal fait. Elle apprenait vite. Elle serait une épéiste correcte, si quelqu'un voulait bien se donner la peine de l'entraîner, décida Malek. Elle avait bien moins de force musculaire, et son équilibre était parfois maladroit, mais elle compensait cela par un bon œil et des réflexes impressionnants. Par deux fois au cours de l'après-midi, il faillit se laisser surprendre par une contre-attaque chanceuse.
"Ce n'est pas juste" grogna-t-elle, "je n'arrive jamais à te toucher"
"Tu commences à peine, c'est plutôt normal ! Tu te débrouilles très bien, au contraire… Je suis impressionné"
"Tu trouves ?" Elle sourit de plaisir, passant sa main gauche dans ses cheveux pour les dégager de son visage. Ils étaient collés par la sueur et la transpiration. Ses seins montaient et descendaient alors qu'elle reprenait sa respiration. Elle avait des étoiles dans les yeux.
"Yaaaaah !"
Poussant un grand cri, la jeune fille profita de son manque d'attention pour lui allonger une botte vicieuse – qu'il venait de lui montrer. Désespérément, il para, et dut reculer de quelques pas pour reprendre son équilibre.
"Tu pensais à autre chose" le gronda Shareen, amusée. "Fais attention, ou je vais en profiter pour te toucher ! Est-ce que ton orgueil pourra le supporter ?"
"J'ai vécu bien pire" rit Malek. "Mais, de toute manière, tu n'arriveras jamais à me toucher, même du bout de ta lame !"
"Il ne faut jamais dire jamais !"
Malek se figea alors qu'elle disait ces mots. Machinalement, il para l'attaque suivante, et celle d'après, puis repoussa la jeune fille d'une contre-attaque brutale. Elle revint à l'assaut. Mais il n'avait plus la tête à ça.

Il versa sur son visage le contenu entier de la gourde, noyant la sueur sous la fraïcheur de l'eau qu'il venait de tirer au puits. Il avait la lèvre meurtrie, et son côté gauche le faisait souffrir. Pourtant, il était heureux. Souriant, il agita ses cheveux en tout sens, constellant la cour de goutelettes d'eau.
"Qui est-ce qui t'a appris à te battre comme ça, Deria ? C'est incroyable… On dirait que tu ripostes dans le prolongement de mes attaques, et je me fais systématiquement avoir"
Elle porta un doigt à ses lèvres. Elle était tellement belle, comme ça, ses cheveux flottant légèrement au vent d'automne.
"C'est un secret" fit-elle, puis rit pour montrer qu'elle ne pensait pas à mal. Malek haussa un sourcil incrédule. Il ne parvenait pas à comprendre comment cette fille faisait pour le rendre systématiquement aussi maladroit qu'un gamin. Ses réflexes semblaient bien plus lent quand elle était là, comme s'il se déplaçait dans un bloc de gelée de framboise. Oui, il avait vu de la gelée de framboise, l'été, au palais. C'était une importation des terres de Koush, et c'était délicieux, mais c'était surprenant à voir remuer dans son assiette. Il se sentait exactement ainsi. A vrai dire, lorsqu'il essayait de parler, il avait aussi l'impression d'en avoir dans la bouche. Peut-être était-ce pour cela qu'il bredouillait autant. Il sourit.
"Un secret ? Moi qui croyais que tu avais une confiance totale en moi, me voilà blessé dans mon amour-propre. Tu te rends compte de la douleur que tu m'infliges ?"
"Tu t'en remettras, va !" Elle rit de nouveau, reprenant sa garde. "Alors, tu veux t'entraîner, ou pas ?"
"Ca ne sert à rien, tu es bien trop forte pour moi"
"C'est pour ça que ca s'appelle un entraînement, gros bêta"
Personne ne l'avait jamais appelé gros bêta avant. C'était ridicule, et pourtant c'était amusant, venant d'elle. Presque affectueux. Il se surprit à sourire jusqu'aux oreilles.
"Entraînement ou pas entraînement, je ne parviendrai jamais à te toucher"
Elle s'approcha de lui, avec cette grâce naturelle qui lui donnait l'impression de flotter, et caressa doucement son front du doigt.
"Il ne faut jamais dire jamais" murmura-t-elle.


"Il ne faut jamais dire jamais" fit-il, comme en écho, les yeux dans le vide.
"Qu'est-ce que tu dis ?"
Il lui fallut un instant pour reprendre ses esprits. Cela devait bien faire une ou deux minutes que Shareen l'attaquait et qu'il se défendait automatiquement, les yeux dans le vide, l'esprit ailleurs. Il soupira.
"Rien, rien. Je repensais à quelque chose, ce n'est pas important"
"Bah" Elle haussa les épaules. "C'est frustrant, de te voir comme ça, pas concentré. Et c'est encore plus frustrant de voir que, même ainsi, je n'arrive pas à passer ta garde"
Shareen recula de quelques pas, et laissa tomber son arme au sol. Elle eut du mal à ouvrir la main. La marque de la garde était profondément gravée dans sa paume.
"Tu veux faire une pause ?"
Elle hocha la tête.
"Ca ne sert à rien de se battre si tu ne penses pas à ce que tu fais. Mais, de toute façon, je suis fourbue. J'ai mal partout ! J'espère qu'on pourra dormir, cette nuit."
C'est avec surprise que Malek jeta un œil dehors. L'obscurité commençait à descendre sur la ville. Ils avaient passé plusieurs heures à se battre ainsi ! Il n'aurait jamais imaginé que la jeune fille, ou lui-même d'ailleurs, ait autant d'endurance. A l'Académie, il trouvait déjà longue les séances de deux heures. Mais l'expérience avait été très agréable, finalement. Et peut-être lui-même avait-il également progressé.
"La nuit tombe. Dani ne devrait pas tarder à arriver, si tout s'est bien passé"
"Mmh mmh. Il ne nous reste plus qu'à nous reposer et à surveiller les environs"

L'attente ne fut pas longue. Quelques minutes à peine après que le soleil ait disparu derrière les contreforts des Monts Venteux, des bruits de pas se firent entendre.
"Deux personnes" murmura Malek, les sens en alerte.
"Et si c'est quelqu'un d'autre ?"
"Pas de bruit. Baisse la tête."
Ils restèrent ainsi immobiles jusqu'à ce que deux silhouettes se profilent enfin dans l'ombre de la caverne. L'une d'elles était sans conteste féminine, et sans conteste également, quelque peu enveloppée. L'autre était beaucoup plus petite et fluette.
"Rekk" chuchota la voix de Dani.
Malek grimaça. Si jamais la grosse femme avait jamais su chuchoter, elle avait perdu ce talent avec les années. Le bruit se réverbérait contre les murs de la taverne. Heureusement qu'aucun garde n'était à proximité…
"Nous sommes là" murmura-t-il en réponse, se levant. Shareen se redressa à ses côtés.

C'était bien Dani, mais Malek n'avait jamais vu la personne qui l'accompagnait. Au regard que lui lança Shareen, elle non plus. C'était un jeune homme de leur âge, probablement, mais visiblement sous-alimenté. Surtout, il y avait une beauté stupéfiante en lui, dissimulée sous plusieurs couches de crasse et des vêtements sales et déchirés. Le jeune garçon semblait presque féminin, à tout le moins androgyne, alors qu'il les regardait tour à tour de ses grands yeux, bleus, magnifiques, craintifs. Il avait de longs cils, et ses mains comme sa silhouette étaient fines et bien dessinées. Il ressemblait à un de ces gitons que les nobles de l'Empire aimaient à avoir près d'eux parfois. L'homosexualité était très mal vue à la cour, mais certains n'hésitaient pas à transgresser certains tabous.
"Je suis content de vous voir, mes enfants" fit Dani. Son sourire s'évanouit alors qu'elle regardait autour d'elle. "Et Rekk ? Où est-ce que cette grande andouille est allé se fourrer ?"
"Il est…" commença Shareen, mais Malek la fit taire d'une pression sur le bras.
"Pourriez-vous d'abord nous présenter la personne qui vous accompagne" s'enquit-il prudemment. "De quoi est-elle au courant ?"
Dani le regarda, et son sourire réapparut.
"C'est qu'il deviendrait méfiant. Voilà ce que c'est que de fréquenter Rekk, on voit des ennemis partout. J'ai mis du temps à revivre une vie normale après l'avoir rencontré, moi aussi" A entendre son ton, il semblait que la vie qu'elle menait désormais était, elle, tout à fait normale. " =Ne t'inquiètes pas, mon mignon, il est au courant de l'histoire, il est même beaucoup plus au courant que vous deux, je dirais. Il était aux premières loges, en fait. Mais il vous le dira bien mieux que moi, je pense, eh ?" Elle fit un clin d'œil au garçon, qui balbutia quelques mots avant de regarder ses pieds avec application. "Il est timide, hein ?"
Malek fronça les sourcils.
"Je ne comprends pas. Qui est-ce ?"
"Tu n'as pas encore deviné ? C'était le petit ami de Deria."
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Chapitre assez peu mouvementé, c mignon, mais bon...
vivement le XV, qu on aie une explication sur le petit ami de Déria, qui était si farouche avec les hommes et s'attache a ce... enfin cette... enfin ca quoi
La suite ! La suite !

Je doute que Rekk supporte bien longtemps d'etre emprisonner... et d'ailleur ca m'etonne un peu qu'il se soit laisser emmener comme ca..

Bon, chapitre suivant...
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