Chapitre XIII: Mort et glauquitude :)

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Ce chapitre est assez glauque de mon point de vue. Mais je trouve qu'il donne une dimension intéressante à Semos. On va voir ce que vous en pensez, c'est assez spécial. Plus que jamais, soyez honnetes dans vos commentaires
Ah oui, c'est aussi assez long.

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Introduction
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII
Chapitre IX
Chapitre X
Chapitre XI
Chapitre XII
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Semos regarda avec une crainte respecteuse l’homme qu’il avait devant lui. Une légende, un homme d’un autre âge. Un homme qui avait connu la guerre.
Le maître de l’académie se considérait comme un fin bretteur, mais il y avait quelque chose d’autre dans la personne qui lui faisait face. A le regarder, on pouvait presque sentir des effluves de sang, le sang qu’il avait sur les mains, le sang qui tachait sa conscience. Ses yeux étaient des puits sans fond, des mares obscures menaçant de l’engloutir. C’était le regard d’un tueur, d’un meurtrier, d’un assassin ; mais pas seulement. C’était aussi le regard d’un homme qui avait apprivoisé la mort, et qui n’en avait plus peur.
Dissimulant son angoisse derrière une bonne humeur forcée, il entreprit de fouiller le coffre dans lequel il entreposait ses boissons. Il en sortit avec deux verres et une bouteille de brandy. L’alcool était vieux, et d’une bonne année. Lorsqu’il en versa dans les verres, l’odeur lui monta au nez, âcre et douce à la fois, comme un parfum de femme enveloppé dans du velours. Il poussa un des gobelets vers le Banni, et garda le second pour lui-même.

« Je ne cherche pas à t’empoisonner » fit-il, arborant un sourire engageant. Il approcha le verre de ses lèvres, et le vida d’un trait. Il avait besoin d’un remontant. « Tu vois ? »
Rekk le regarda sans ciller. Lentement, il porta le gobelet à son nez, et huma le liquide.
« Tu as tort de boire aussi vite » fit-il. « C’est une boisson de choix, une boisson qui se déguste par petites gorgées. De plus, l’alcool va te monter à la tête. J’ai besoin que tu aies les idées claires, Semos, mon ami »

Semos se sentait petit, face à ces yeux qui ne clignaient pas. Il se rappelait soudain ses peurs d’enfant, la peur de la mort qui l’avait toujours tenaillé. Il ne se souvenait pas d’un moment, d’un seul moment dans sa vie, où il s’était senti en sécurité. Toujours cette angoisse le tourmentait. Que devenaient les hommes lorsqu’ils mouraient ? Pourquoi était-ce inéluctable ? Pourquoi lui cesserait-il un jour d’exister ? Et qu’y avait-il après ? Ne pas connaître la réponse à ces questions l’avaient rendu fou de terreur, à l’époque.

Il avait gravi tous les échelons, monté jusqu’au faîte du pouvoir pour laisser enfin une trace dans l’histoire. Les légendes ne mouraient pas, elles. Elles ne mouraient jamais. Semos non plus. Un jour, on louerait ses talents à l’épée. Le meilleur épéiste que l’Empire ait jamais connu. Les enfants murmureraient son nom avec respect et crainte, comme il avait autrefois prononcé le nom de Rekk, lorsque celui-ci s’illustrait dans les guerres Koushiennes.

« Je dois t’avouer que c’est vraiment le dernier de mes soucis, Banni. » Il s’assit lourdement sur le fauteuil de cuir en face de son interlocuteur, et se resservit à boire d’une main qui tremblait légèrement. « Je crois qu’il faut que nous parlions comme des adultes » Et que j’essaie de sauver ma peau.
« Baron »
Semos écarquilla les yeux.
« Pardon ? »
« Je suis Baron, pas Banni. Si tu veux discuter, alors mets-y les formes et la politesse d’usage »

Oui, Semos avait commis des atrocités pour arriver ici. Il en était conscient. Son talent pour l’épée était grand, mais il n’était pas absolu. Ce qu’il recherchait, c’était quelque chose d’absolu, justement. Une réponse à ses interrogations. Un baume sur son âme déchirée. Les leçons qu’on lui donnait ne suffisaient pas, ne suffiraient jamais. Pour être honnête avec lui-même, il aurait pu progresser encore, s’il l’avait vraiment décidé. Il aurait pu faire comme Landon le vagabond, partir voyager au travers le monde, sortir même des limites de l’Empire, combattre en tant que mercenaire, ou dans l’Arène, combattre pour apprendre, et toujours repousser ses limites. Comme Rekk l’a fait. Ce regard… dans l’arène, déjà, il avait ces mêmes yeux. Parce qu’il avait apprivoisé la mort, déjà ? Semos frissonna, se rappelant l’admiration et la terreur qu’il avait ressenti, alors, en voyant le gladiateur impitoyable trancher la gorge de son adversaire, sur le sol. Et le sable blanc, si blanc, qui devenait rouge, si rouge.

« Une boisson intéressante, le Brandy » fit Rekk sur le ton de la conversation. « Je ne te demanderai pas comment tu as appris que c’était mon alcool préféré. Mais cela n’a pas d’importance » Visiblement satisfait après avoir respiré le gobelet, il but délicatement une gorgée, et fit claquer sa langue. « Démons des Abysses, ça faisait longtemps ! »
Le maître de l’académie hocha la tête misérablement.

Il avait essayé, pourtant. Il s’était présenté à l’entraînement pour être gladiateur, contre la volonté de son père, contre la volonté de sa famille. Oh, les pleurs et les hurlements que cela avait engendré ! Personne ne le comprenait, personne ne pouvait voir, personne ne pouvait savoir cette terreur qu’il avait en lui, cette sourde inquiétude, cette peur de la mort permanente. S’il la rencontrait, face à face, sur le sable de l’arène, s’il mettait sa vie en jeu, peut-être les choses changeraient-elles ? On appréciait tellement plus la vie, lorsque celle-ci était menacée. Mais il s’était dérobé à la dernière minute, comme il avait su qu’il le ferait. Après s’être opposé à sa famille, avoir menacé sa mère, avoir insulté son père et quitté la maison, il avait finalement fui le premier combat qui lui aurait permis de se battre avec du vrai acier dans les mains.

« Ecoute » fit-il, se resservant à boire d’une main tremblante, « tout cela est ridicule, complètement ridicule.»
« Je suis d’accord avec toi, Semos. Tout ceci n’est qu’une farce, mais je ne suis pas le coupable. Pas cette fois-ci. Je suis le bourreau, et je viens exécuter la sentence » Rekk fit passer une gorgée d’alcool d’une joue à l’autre. « Semos, je t’accuse du meurtre de ma fille. Je t’accuse d’avoir envoyé des tueurs à ma poursuite, des tueurs qui ont par ailleurs menacé des personnes auxquelles je tiens – auxquelles je tenais. Qu’as-tu à répondre à cela ? »

Ces yeux accusateurs, noirs, si noirs. Etouffant un glapissement, Semos entreprit de vider son second verre.
Il avait abandonné toute tentative de dompter la mort, sur le sable de l’arène, alors. Toucher une véritable épée le rendait malade. Seules les armes d’entraînement trouvaient grâce à ses yeux. Les faisceaux de bambou ne constituaient pas une menace. Jamais elles ne pourraient causer la mort, sauf manque de chance flagrant. Cette possibilité le dévorait de l’intérieur, mais il parvint à faire taire cette voix. A defaut de maîtriser l’acier, il maîtrisait le bambou. Et il avait commencé à gagner des duels.

« Je ne vois pas ce dont tu veux parler » fit Semos froidement, stupéfait de pouvoir garder sa voix si calme alors que ses intestins se changeaient en eau. « Je t’offre toutes mes condoléances pour ta fille, mais je t’assure que je ne suis pour rien dans sa… »
Rekk posa la lettre de l’Empereur sur la table, furieux. Son regard brûlait de haine. Et de mort, de mort…
« Ne joue pas avec moi, Semos. Pas maintenant, et pas sur ce sujet. J’ai ici un mot signé de la main même de l’Empereur qui m’absous d’avance de tout ce que je pourrais faire, y compris te trancher la tête, ici et maintenant, si jamais une seule de tes réponses ne me plaît pas ! Je te conseille d’être beaucoup plus coopératif, et de répondre clairement à ma question. Oui, ou non, as-tu une part dans l’assassinat de ma fille ? Et pose ce verre ! »
Semos sursauta, renversant la moitié du brandy sur le sol. D’un suprême effort, il se reprit et posa le gobelet sur la table. Quelques perles de transpiration se formaient sur son front alors que ce regard s’enfonçait en lui comme deux lances acérées. Il hésita un instant.
« Non » finit-il par dire. « Non, ce n’est pas moi qui l’ai tuée, et je ne sais pas qui l’a fait. Je te le jure… c’est la vérité, Rekk ! »
« Et est-ce toi qui a envoyé des hommes me tuer ? Qui a proposé une récompense pour ma tête ? »

Le duel, tel avait été la voie qu’il avait choisi vers la gloire. Dans un duel, on ne versait pas de sang. On utilisait des armes d’entraînement, ou des épées au bout rond. Des armes qui ne pouvaient donner la mort, mais qui pouvaient apporter la gloire. Semos n’avait jamais eu peur, avec ces armes de bambou. Il se sentait en paix avec lui-même, en paix avec son âme. Ses talents d’escimeurs pouvaient enfin se révéler au grand jour. Petit à petit, son nom avait commencé à circuler dans les bals et les discussions mondaines. A la cour, il était devenu la coqueluche de ces dames. Et, toujours, il s’entraînait.

Le bruit de doigts irrités tambourinant sur la table le ramena brutalement à la réalité.
« Oui » fit-il, baissant les yeux. « C’est moi »
Rekk se pencha en avant.
« Tu admets donc que tu as essayé de me tuer ? »
« Oui »
« Pourtant, tu dis que tu n’as rien à voir avec la mort de ma fille »
« Non »
« Alors… pourquoi ? »
Les excuses de Semos semblaient tout d’un coup bien pathétiques. Pourquoi est-ce que j’ai fait ça, en fait ?

Petit à petit, il avait enfin conquis la place qu’il désirait. Mais pas totalement. Tout le monde le félicitait, tout le monde s’inclinait… mais tout le monde s’accordait à dire que Gundron était plus fort que lui, bien plus fort, sans commune mesure. Alors il avait organisé ce duel. Et il avait triché.
En retenant la famille du borgne en otage, il avait obligé le vieil homme à perdre. La victoire, encore maintenant, lui laissait un goût amer dans la bouche. Mais la peur de la mort avait disparu, pour un temps. Cette fichue peur s’était diluée dans le plaisir d’être enfin acclamé, et de pouvoir briguer les plus hautes fonctions. Cette fois-ci, il en était certain, sa légende allait pouvoir être bâtie. Mais Deria avait été assassinée, et avec elle la menace était reparue, bien réelle cette fois, d’une puissance obscure qui réclamait sa vie.
Il avait paniqué. Il avait tout simplement paniqué.
« Je… ne sais pas vraiment » murmura Semos après un instant. Il s’appuyait contre le dossier de la chaise pour rester debout, tous les muscles tendus. Son visage était secoué de tics nerveux. « Je pensais que vous vouliez vous venger »
« Ne dis pas n’importe quoi » gronda Rekk. Il frappa du poing sur la table. « Me venger de quoi ? Si tu n’as rien à voir avec la mort de ma fille, alors pourquoi voudrais-je me venger ? »
« Parce que… je n’ai pas su la protéger ? » hasarda Semos.
Rekk eut un sourire mauvais.
« Personne n’aurait pu protéger Deria contre son gré, Semos. Personne. Shareen et Malek m’ont expliqué ce qui s’est passé, et les circonstances qui l’ont fait fuir l’Académie. Tu n’avais pas grand chose à te reprocher. Alors, je le répète, pourquoi ? »
« Gundron… » balbutia le Maître de l’Académie, livide.

Depuis que Semos avait pris la place du borgne à la tête de l’Académie, Gundron avait toujours été là pour prodiguer ses conseils, fortement incité par l’Empereur à faciliter la route du nouveau Maître. C’est lui qui avait conseillé d’accepter Deria dans l’Académie, tout en sachant parfaitement ses liens de parenté avec le Banni. Ces conseils étaient bons, toujours bons. Il n’ordonnait jamais rien, se contentait de suggérer. Pourtant…
Lentement, la colère remplaça la peur, sur le visage de Semos.

« Quoi, Gundron ? » s’enquit Rekk calmement. « Gundron un-œil ? »
« Le maudit fils d’oursin ! L’immonde canaille ! » Semos tempêtait, maintenant. « Comment est-ce que j’ai pu me faire manipuler aussi facilement ? Comment est-ce que j’ai pu… »
« Gundron a un talent particulier pour faire passer ses idées » fit le Banni, haussant les épaules. « Nous avions eu une… petite altercation à ce sujet la dernière fois que nous nous sommes vus. Il y avait perdu un œil. »
« Si je pouvais, je lui ferai perdre l’autre ! C’est lui ! » clama Semos, fou de rage. « C’est lui qui a tout manigancé ! C’est lui qui m’a dit que vous voudriez vous venger, c’est lui qui a affirmé que vous me tueriez sans hésiter. Il a dit qu’il ne fallait pas que vous soyiez prévenu de la mort de votre fille, et ensuite il voulait que vous ne veniez pas ici. C’est lui qui m’a incité à mettre une prime sur votre tête ! Qu’est-ce que j’ai pu être stupide ! »
« Il a dit ça comme cela ? » fit Rekk, incrédule.
« Non, bien sûr que non ! Des mots par ci, des mots par là. Vous savez comme il est, à avancer voilé. Je ne sais pas comment il a fait, mais j’étais convaincu que vous alliez vouloir me tuer »
Rekk hocha la tête.
« Mmh… Tu crois qu’il serait derrière la mort de ma fille, alors ? »
« C’est possible ! Il avait des raisons, en tout cas ! »
« Ca se tient » fit le Banni en haussant les épaules. « Il se vengeait de moi, et mettait le tout sur tes épaules. Peut-être avait-il aussi des raisons de t’en vouloir. J’ai entendu parler d’un duel, voici un an »

Semos déglutit.
« Quoi qu’il en soit, je suis innocent dans cette affaire. Si vous voulez, je peux vous aider à retrouver ce fils de chienne et à comprendre pourquoi il nous en veut autant ? » Son sang se glaça alors que Rekk secouait l’index en signe de dénégation.
« Non non, mon petit Semos. Je n’en ai pas fini avec toi. Gundron n’était pas censé savoir que Deria était ma fille, tu sais ? Je n’en avais parlé qu’à deux personnes. L’Empereur… et toi, car l’Empereur te faisait confiance et voulait te mettre dans la confidence. C’est donc toi qui en as parlé à Gundron, alors que tu savais pertinemment qu’il avait des raisons de m’en vouloir » Il haussa le ton. « Tu es le pire abruti que l’Empire ait jamais vu, Semos, et si Gundron a tué ma fille, alors tu n’en es pas moins coupable ! »
Semos recula jusqu’à avoir le mur dans le dos. Il suait à grosses gouttes.
« Ce n’est pas vrai… Ce n’est pas possible. Ce n’est pas comme ça… je ne savais pas… et ce n’est peut-être pas lui… »
Rekk se leva et ramassa la lettre de l’Empereur, sur la table.
« Tu m’as appris tout ce que je voulais savoir. C’est intéressant, ce que tu m’as dit sur Gundron. Mais il est temps d’en finir. »
« En finir ? » glapit Semos, reculant d’un pas.
Rekk garda son épée au fourreau. Il avait un drôle de sourire aux lèvres.
« On m’a dit que tu étais un bon duelliste, Semos. Eh bien, qu’il en soit ainsi. Je veux agir selon les règles, pour ne pas mécontenter l’Empereur. » Il gifla violemment l’homme devant lui, et prononça la formule rituelle : « Par mon titre, par mon honneur, je laverai cet affront dans le sang »

Semos faillit défaillir de soulagement. Les duels n’étaient autorisés qu’avec des armes d’entraînement. Pour la première fois, son sourire était confiant.
« Je comprends » fit-il. « Je comprends. Et si tu gagnes ce duel ? Si tu le perds ? »
« Je considérerai mon honneur satisfait de toute manière. Sommes-nous d’accord ? » Rekk avait un sourire amusé.
« Tout à fait d’accord ! » balbutia Semos, tout à son soulagement.
« Alors sortons dans la cour. Tu devrais pouvoir me trouver une arme d’entraînement dans ton académie »
« Quoi… tout de suite ? »
« Pourquoi attendre ? J’ai beaucoup de choses à faire avant ce soir, autant s’en débarasser tout de suite » Rekk haussa les épaules. « De plus, je n’ai pas beaucoup dormi et je sors d’un combat éprouvant – avec l’un des hommes que tu avais envoyé pour me tuer. Tu auras beaucoup plus de chance de gagner maintenant. Ou préfères-tu que je me repose ? »
« Non non, ça ira » fit Semos, se mordant la lèvre inférieure. Alors comme ça, Eleon et Comeral avaient échoué. Il s’en était douté, en voyant apparaître le Banni dans sa tour, mais supposer quelque chose n’était pas comme en recevoir la confirmation. L’homme en face de lui avait, au mieux de sa forme, vaincu dix brigands. Etait-il lui même capable d’en faire autant ?
Avec une arme d’entraînement ? Certainement !
Reprenant confiance en lui, il suivit Rekk au bas des escaliers.
Cela faisait plus d’une demi-heure que Shareen attendait patiemment, sous le regard attentif des gardes. Rekk ne semblait pas vouloir revenir avant longtemps, et elle s’ennuyait. Malek s’était allongé contre un mur, et il ronflait doucement, rattrapant sa nuit. La jeune fille aurait bien aimé l’imiter. Elle se sentait fatiguée, moulue. Elle avait l’impression qu’elle ne parvenait plus à contrôler ses émotions. Ce qu’elle avait fait, frapper ainsi le Maître, était stupide. Mais cela lui avait fait du bien. Et Rekk avait approuvé.
Rekk… si seulement elle pouvait vivre comme lui, avec cette nonchalante grâce des grands félins. L’homme était cruel, certes, et souvent impitoyable, mais il ne semblait pas connaître la peur, le doute, l’angoisse, l’inquiétude qui minaient systématiquement la jeune fille. Avec lui, tout semblait plus simple. La vie était faite de nœuds à dénouer, et le Banni les tranchait sans se soucier de ce que les autres pouvaient dire. Elle voulait être ainsi, elle aussi. Si seulement il voulait bien lui apprendre… Elle pourrait enfin se défendre. Ce n’est pas en comptant sur les hommes – elle jeta un coup d’œil écoeuré à Malek, tranquillement endormi – qu’elle pouvait assurer sa protection.
Prenant finalement sa décision, elle s’empara d’une épée de bois, dans le râtelier contre le mur, et eut un sourire mielleux pour les gardes.
« Puisque nous n’avons rien d’autre à faire qu’attendre, est-ce que l’un de vous accepterait de s’entraîner contre moi ? »
« Contre toi, gamine ? »
Il y eut quelques rires. Ils semblaient trouver cela très drôle. L’ancienne Shareen se serait découragée aussi vite, mais la nouvelle se contenta de leur lancer un regard incendiaire.
« C’est un service que je vous demande » fit-elle, gardant sa voix sous contrôle. « Pour passer le temps »
« Si c’est pour passer le temps, gamine, je connais d’autres moyens » ricana un autre, entraînant l’hilarité générale. Ils se tapaient sur les cuisses, frappaient leurs lances sur leurs boucliers pour exprimer leur amusement. Shareen les regardait avec commisération. De véritables singes.
« S’il vous plaît ? » susurra-t-elle. « Pour me faire plaisir ? »
L’un d’eux finit par hausser les épaules.
« Si ça peut t’amuser. Je m’ennuie un peu, moi aussi. Mais je te préviens, même avec une arme en bois, ça peut faire mal. Je ne suis pas responsable si jamais tu as des bleus partout. Dis ça à ton maître, là, celui qui est rentré dans la tour avec Maître Semos »
« Je le lui dirai » fit doucement Shareen, se mettant en position pour attaquer.
L’entraînement commença. Aussi rustre et brutal qu’il ait pu paraître, le garde se montra étonnamment doux et patient alors qu’il tournait autour de la jeune fille, lui assénant de nombreuses piques qu’elle ne parvenait pas à parer. C’était un guerrier professionnel, et il n’était pas mauvais, même s’il n’y avait rien en lui de l’habileté démoniaque du Banni. Il frappait sans imagination, mais sans erreur non plus. La jeune fille était sur la défensive, utilisant tout ce qu’elle avait jamais appris pour bloquer les coups, les dévier, et s’en sortir indemne. Déjà, plus de dix fois, la pointe du bambou l’avait délicatement touchée au front, à la poitrine et à l’épaule, toujours sans lui faire de mal.
« Tu devrais travailler ta garde gauche » fit le garde, rompant brutalement l’engagement. Il souriait amicalement. « Tu as l’air beaucoup moins à l’aise sur ce côté. Ton coup de poignet est un peu faible, aussi »
Shareen le regarda, incrédule.
« On me l’a déjà dit » murmura-t-elle.
« Mais tu te débrouilles plutôt bien. Je ne m’attendais pas à ça. Les filles de l’Académie, habituellement, sont plutôt… » Il fit la grimace, enlevant son casque, et elle éclata de rire. « Tu vois ce que je veux dire ? »
« Je vois parfaitement, oui. » Il n’était pas mal, maintenant qu’il n’avait plus ce bassinet ridicule sur sa tête. Il était grand et élancé, avec l’air d’un grand félin. Des yeux bleu acier, des cheveux noirs en bataille. Et son sourire était vraiment chaleureux. Elle secoua la tete. « Comment t’appelles-tu ? »
« Mon nom n’a pas tellement d’importance, demoiselle. Vous pouvez m’appeler Garde, si ça vous chante »
Essuyant la sueur qui lui coulait dans les yeux, elle lui sourit.
« Eh bien, cher Garde, si nous continuions ce… »
La porte de la tour s’ouvrit enfin, laissant passer Rekk et Semos.
Elle lança un regard surpris au Banni. Ce n’était pas dans ses habitudes de laisser ses ennemis vivants. Que s’était-il passé ? Quand il vit qu’elle le regardait, il lui fit un clin d’œil amusé. Ca non plus, ce n’était pas dans ses habitudes.
« Rekk ! » fit-elle, poussant du pied Malek pour le réveiller. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »
« Pas grand chose, Shareen. Rien de bien passionnant. Ce gentilhomme et moi-même allons faire un duel à la première touche, pour laver l’affront qu’il m’a fait. » Il haussa la voix, pour se faire entendre des gens massés dans la cour. « Qu’on nous apporte des épées d’entraînement ! »
« Le spectacle promet d’être intéressant » murmura le garde qui disait s’appeler Garde, s’appuyant contre un mur.

La folie et la frénésie s’emparaient de l’Académie alors que la nouvelle se répandait dans les couloirs. Maître Semos allait se battre ! L’événement était de taille, le dernier duel remontait à un an, à ce combat bref contre Gundron, qu’il avait remporté avec tant de panache. Maître Semos allait se battre ! Les cadets, les novices, les maîtres se précipitaient dans la cour dans un joyeux brouhaha pour observer leur idole en action. Contre qui se battait-il ? Nul ne le savait précisément. Un obscur baron, disaient certains. Un guerrier aux yeux mauvais, prétendaient d’autres. Un voyageur arrogant, affirmait encore un groupe. Mais tous s’accordaient sur le même point : il n’aurait aucune chance. Pas contre le terrible Semos, la meilleure lame de l’Empire, peut-être la meilleure du monde.
Ce fut un concert de bousculades, de coups de coudes et de grognements outrés alors que tous prenaient position autour de la cour intérieure, créant effectivement une arène de plusieurs coudées de longueur. Plusieurs maîtres s’étaient rués sur lui à sa sortie de la tour, discutant et protestant avec énergie, mais il les avait rabroués vertement et, désormais, ils en étaient réduits à observer le combat, eux aussi. Shareen marcha sur un grand nombre de pieds avant de pouvoir enfin se glisser au premier rang, étouffant les protestations de « pardon « péremptoires.

Les deux hommes se faisaient face dans l’arène, épée de duel au poing. Ils souriaient. Semos semblait beaucoup plus calme qu’il l’avait été quelques temps auparavant, et il tenait son épée dans une main ferme. Il testa l’équilibre de son arme en effectuant quelques moulinets, puis s’avéra satisfait.
« Commençons » proposa-t-il.
Maître Heilban s’avança de mauvaise grâce.
« Je continue à penser que c’est une folie, Maître » fit-il. « Je peux m’occuper moi-même de… »
« Non, tu ne peux pas » trancha Semos. « Il est à moi »
Heilban s’inclina.
« Si tel est votre souhait… » Il haussa la voix. « Le duel se fait à l’arme d’entraînement, et se terminera à la première touche. Cela satisfera-t-il votre honneur ? »
Les deux hommes hochèrent la tête. Shareen regarda Rekk avec stupéfaction. Elle n’imaginait pas le Démon Cornu se contenter d’une sanction si symbolique.
D’un autre côté… il était vrai qu’avec tout le public qu’ils avaient en ce moment, si jamais Semos perdait, il serait discrédité. Peut-être ce châtiment était-il pire que la mort, pour un homme aussi ambitieux ? Mais, tout de même, Shareen restait pensive.
« Combattez ! » cria Maître Heilban, baissant la main.

Semos avança d’un pas, le sourire aux lèvres. Tout s’arrange, finalement. Il avait hésité à se laisser toucher, simplement pour que l’homme se déclare satisfait et que tout s’arrête ici, mais la centaine de spectateurs rendait la chose plus difficile. Il allait vraiment combattre, et il allait vaincre. Personne ne pouvait se comparer à lui, lorsqu’il s’agissait d’un duel à la première touche. Personne.
Avec un cri, il se jeta en avant, exécutant avec dextérité la botte qu’il avait mise au point au fil de ses combats. Nul ne pouvait la parer, nul ne pouvait l’esquiver. Le duel serait terminé en une fraction de seconde.
L’épée siffla alors qu’il se fendait. Et Rekk bloqua la lame avec le pommeau de son arme, sans même paraître bouger son poignet.
« Un problème, Maître ? » fit le Banni alors que Semos se remettait en garde, hébété. « A moi, maintenant »
Le bambou parut prendre vie dans ses mains alors qu’il attaquait, frappant à mille endroits à la fois pour perturber la garde de l’adversaire, se retirant au dernier moment sans jamais qu’il y ait contact, trompant la défense de son ennemi sans jamais pousser son avantage. Et Semos comprit qu’on se jouait de lui.
Il y avait des « ooh » et des « aah » dans la foule, alors que tous réalisaient ce qu’il se passait. Non seulement Semos ne gagnait pas, mais il semblait ne pas pouvoir lancer une seule attaque, ne pas pouvoir se défendre contre l’habileté démoniaque de l’homme qui lui faisait face. Il y eut un brouhaha dans l’assistance alors que tous s’interrogeaient sur l’identité du mystérieux bretteur. Le nom de « Baron Gaffick » fut bientôt sur toutes les lèvres.
« Pourquoi est-ce que tu ne me touches pas ? » gronda Semos, parant brutalement une attaque qui lui frôlait la poitrine. «Pourquoi est-ce que tu ne mets pas fin à cette farce ? »
Il croisa les yeux de son adversaire, et son cœur fit un bond. Dans ce regard, il n’y avait aucune compassion, aucune mansuétude, aucun pardon.
« Tu as raison. Tout cela n’a que trop duré » fit doucement Rekk.
Et il allongea de toute ses forces un coup d’estoc à la gorge de Semos, écrasant la glotte, pulvérisant le larynx, et étouffant les derniers mots en une explosion de bambou. Le maître de l’Académie s’effondra sur le sol, lâchant son épée. Ses mains se posèrent désespérement à son cou, alors qu’il ne pouvait déjà plus respirer, et que le sang coulait abondamment. Ses yeux bougeaient désespérément.
« Je… » coassa-t-il au milieu des bulles de sang.
Lentement, une immense paix descendait sur lui, une douceur et un calme divin qui étanchèrent sa peur. Il se sentait partir, et il n’y avait plus de douleur. Rien que les battements de son cœur, et cette paix intérieure qu’il n’avait jamais connu. Il avait été stupide, de croire que Rekk lui pardonnerait aussi facilement d’avoir mis sa tête à prix. Il avait été stupide, de penser qu’une épée d’entraînement ne pouvait pas être dangereuse. Mais même ses regrets se fondaient lentement dans le néant qui l’aspirait, et le bonheur qu’il ressentait enfin. Ce n’était que ça, finalement ?

Rekk jeta un regard froid au cadavre devant lui, ignorant les hurlements et les cris autour de lui.
« Première touche, et premier sang. J’ai gagné le duel. »
Parfait encore


Sauf un point:

"« Rekk ! » fit-elle, poussant du pied Malek pour le réveiller. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »"


"Un obscur baron, disaient certains. Un guerrier aux yeux mauvais, prétendaient d’autres. Un voyageur arrogant, affirmait encore un groupe."

Leger illogisme et "gaffe" de shareen qui passe totalement innapercu
désolé ma ptite GreGre j'ai eu une semaine chargée , pas plus lire avant ce dimanche (entre deux oeufs )

donc , c'est vraiment de mieux en mieux , on vois que tu puise au plus profond de toi pour nous ecrire cela ...

bref grand merci a toi , la forme est plus claire pour nous faire savourer a 200% le fond ...






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7 Days to Die

http://www.sloganizer.net/en/style2,MegaTomte.png
Bon j' ai repris ma lecture, mais la petite grenouille écrit trop vite

J' aime pas mal, je me demande si tu ne lis pas D.Eddings
On retrouve cette ambiance dans ces romans:

La Belgariade ( 5 Tomes )

La Mallorée ( 5 tomes )

Belgarath le Sorcier ( 2 tomes )

Polgara la Sorcière ( 2 tomes )

La trilogie des Joyaux

La trilogie des Périls

C' est très bien tes chapitres, Grenouille, et ça s' améliore à chaque fois

N' oublie pas les dialogues espacés dans le texte, cela le rend plus fluide. n' hésite pas à te relire pour éviter les fautes/erreurs/coquilles/illogismes ( comme ici )

/clap beau boulot
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http://loengrin.chez.tiscali.fr/Image/signatkee.jpg
"UP" en loucedé paske c'est vachement bien et que certains l'ont peut être raté à cause du long WE.
Ce qui serait dommage...

Bravo tite Gren !!!
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Actuellement sur TESO - compte général : Halaguena sur Aldmeri (mais juste à cause de ce bandit de Drah, moi j'aime toujours pô les Noreilles depuis Hibernia...)
  • Halaguena: Templar Rougegarde tassée du front et du fion vu que ces couillons de Dwemers ont disparu (Main)
  • Chieuse Grave: teigne Elfe Noire mauvaise et vicieuse plus insupportable qu'une colique en avion (en progression)
"Si t'as pas honte, t'es Megatomte !"
Eh oui, désolé, j'étais plutôt occupé ce week-end. Mais la semaine reprend, donc ça y est, j'ai du temps libre (plutôt paradoxal, eh ? ).

Je suis donc en train de vous concocter le chapitre XIV, j'espère que vous allez l'apprécier...

Merci à tous pour vos commentaires, comme d'hab ! Et merci pour la flatteuse comparaison avec Eddings ... même si je n'ai pas lu grand chose de lui, et que ça ne m'avait plutôt pas plu (j'ai trouvé la Belgariade trop convenue, avec les gentils en blanc et les méchants en noir)
J'adore ce chapitre

J'avoue que j'avais pas imaginé une seconde que Rekk tue Semos avec un bambou
A force de le voir suer et hésiter, j'avais fini par oublier que c'était un vrai messant
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