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Voilà, dix jours, dix chapitres, ça me paraît une moyenne convenable
Désolé pour l'heure, j'étais plutôt occupé dans la journée... mais pour compenser le chapitre est très long. Introduction Chapitre I Chapitre II Chapitre III Chapitre IV Chapitre V Chapitre VI Chapitre VII Chapitre VIII Chapitre IX « Je t’avais dit de te méfier, Semos. Ne me dis pas que je ne t’avais pas prévenu » Gundron suivit doucement, presque sensuellement, la courbe de la cicatrice qui lui mangeait le visage. « Il est ici, maintenant, et tes manigances n’ont servi à rien. Il est ici, et il va te tuer » « Tais-toi ! Par les Dieux présents et à venir, tais-toi ! » Semos releva la tête des papiers qu’il examinait. Il était livide. Savoir que Gundron avait raison ne faisait qu’empirer son énervement. Avec rage, il se leva, repoussant sa chaise, et marcha jusqu’à la fenêtre. Ils étaient dans les appartements du maître de l’Académie, établis rituellement au plus haut de la grande tour. L’aube allait bientôt arriver, et les premières lueurs du soleil allaient percer par-dessus le Mont Epineux. C’était habituellement un spectacle magnifique, qui avait le don d’apaiser le cœur de Semos et de faire paraître ses soucis insignifiants. C’était un embrasement fascinant, un jeu d’ombres et de lumières, dont la répétition systématique, jour après jour, ne parvenait pas à priver de sa magie. Mais aujourd’hui, le maître de l’académie savait pertinemment que cette vision ne suffirait pas à lui vider l’esprit. En contrebas, il pouvait déjà voir les lanternes et les torchères scintiller dans certaines rues, alors que les boulangers se mettaient au travail, que les coursiers et les valets couraient dans tous les sens, et que la ville se préparait à renaître pour la journée. Après les boulangers, ce seraient les fermiers qui envahiraient les marchés, avec des produits fraîchement cueillis, encore humides de la rosée du matin. Et puis les échoppes ouvriraient les unes après les autres, les avenues se rempliraient… et Rekk le Banni pousserait la porte de l’Académie. « Oh, des blasphèmes, maintenant ? Faut-il que le puissant Semos soit perturbé, lui toujours si pieux » Gundron s’empara du papier que lisait son vis-à-vis, le parcourut rapidement, puis le jeta dans le feu. « Les chasseurs de primes ont échoué. Tu t’attendais à autre chose ? » « C’est une antiquité. Il a plus de quarante ans ! Comment a-t-il pu se battre aussi facilement contre dix hommes ? Ca n’a aucun sens ! » Gundron haussa les épaules. « Le vieux lion a encore des dents ; le vieux démon a encore des griffes. Mais tu as vraiment accumulé les erreurs. On dit toujours qu’il vaut mieux faire les choses soi-même. Tu aurais dû prendre des hommes de confiance et l’attaquer à vingt contre un. Nul doute qu’un épéiste tel que toi aurait trouvé cette situation à ton avantage. Les dés pipés, tu te souviens ? » Semos se retourna brutalement, furieux. « Ca t’amuse, cette situation, n’est-ce pas ? Tu prends plaisir à voir Rekk se rapprocher, n’est-ce pas ? » « Je dois dire que tout cela ne manque pas d’un certain piquant » confirma Gundron, plissant son unique oeil. « J’ai hâte de voir votre combat. Qui va vaincre, du jeune loup ou du vieil ours ? » Semos rugit de colère. « Personne, si je peux l’éviter. C’est toi qui m’a mis toutes ces idées dans la tête, mais rien ne serait arrivé si tu ne m’avait pas dit d’essayer d’empêcher cet homme de venir ici. Après tout, je n’avais rien fait de mal. Sa fille est morte, elle était dans mon académie, et alors ? Ce n’est pas moi qui l’ai tuée, ni personne que je connais, et c’est elle qui a fui dans la nuit. Qu’aurais-je pu faire ? » Il haussa les épaules. « Tu as beau me dire que ce Rekk est tel que sa légende le décrit, je ne pense pas qu’il aurait essayé de me tuer pour cela. Et s’il l’avait fait, j’aurais pu le dissuader d’une manière ou d’une autre. Tandis que maintenant, si jamais il apprend qui a envoyé ces chasseurs de primes à sa poursuite… » « Oh, il sait » fit tranquillement Gundron. « Il sait, car tu es une des seules personnes qui était au courant de la parenté de Deria. Même s’il ne le sait pas, je pense qu’il s’en doute fortement » Le maître de l’académie resta les bras ballants. Puis il pointa un doigt accusateur. « Tu le savais depuis le début, n’est-ce pas ? Tu le savais, que j’enverrais des tueurs à sa recherche, et tu savais qu’il saurait que cela vient de moi ! Tu m’as manipulé, Gundron ! » Gundron caressa de nouveau sa cicatrice, alors que son sourire ressurgissait. « Si peu, Semos, si peu. Mais ce sera un véritable plaisir de le voir te trancher la gorge. Cela faisait longtemps que j’attendais ce moment » Il ricana. « Je pensais à le faire moi-même, mais voilà qu’un homme envoyé par la providence va faire le travail à ma place. Si je m’attendais à cela ! » « Maudit… » cracha Semos, tirant son épée. Il allongea une botte vicieuse au vieil homme dans le même mouvement, mais Gundron dégaina également et parvint à bloquer d’un coup de poignet. « Allons, allons, Semos. Conduisons-nous en adultes responsables. Que se passerait-il, crois-tu, si on trouve mon corps ici ? Ne sois pas ridicule, et rengaine ton arme » Il sourit finement. « Aussi plaisant que serait un duel… équitable… entre nous, je pense que le temps n’est pas venu » Après un instant de réflexion, Semos remit son arme au fourreau, humilié. Gundron fit de même, avant de se diriger vers la porte. « Bonne chance, Semos, mon ami de toujours. Peut-être nous reverrons-nous un jour. Pour ma part, je vais partir un temps hors des griffes de tes informateurs, pour éviter que tu ne me prennes comme bouc émissaire » Il hocha la tête. « Ce fut un plaisir ! » Et, en un froissement de cape, il eut quitté la pièce. Semos resta seul, les sourcils froncés, le front plissé, à regarder la porte se refermer. « Va au diable ! » hurla-t-il finalement mais, à qui ce message s’adressait, il n’aurait pas su le dire. Le silence de l’aube était presque angoissant. C’était le même silence particulier qu’avaient les veilles de bataille, alors que l’on savait le lendemain que l’on risquait de mourir pour une cause qui n’était pas la nôtre, que notre cotte de mailles ne suffirait pas à nous protéger contre une lance ennemie, et que l’on pourrait très bien ne pas revoir sa famille. C’était bien différent du silence qui régnait juste avant le combat, où l’adrénaline envahissait les corps et où la peur s’envolait soudainement. Mais Semos n’avait entendu ces effets que dans les chansons. Jamais il n’avait vu un véritable combat. A vingt-six ans, il était beaucoup trop jeune pour avoir connu l’Empire dans son temps de conquête et, désormais, les régions étaient en paix. Il n’y avait plus beaucoup de causes pour lesquelles se battre, plus grand chose à faire. Il tira son épée, soupirant doucement. Il n’avait pas voulu tout cela. Depuis son plus jeune âge, tout le monde s’était extasié sur l’énergie et l’habileté qu’il mettait à se battre à l’épée. Il était l’héritier du Duc de Lion, et le duc n’était pas homme à laisser de telles capacités sommeiller. Il avait eu les meilleurs professeurs, et s’était battu en duel contre les combattants les plus renommés de l’Empire. Toujours, il gagnait les joutes et les combats dans l’arène. Il avait gagné tous les honneurs, ainsi, s’imposant dans l’entourage de l’Empereur, jusqu’au moment où, à vingt-cinq ans, après son combat victorieux contre Gundron, on lui avait demandé de prendre en charge la plus prestigieuse académie de combat de l’Empire. Une telle ascension était stupéfiante, bien entendu. Il n’y avait pas de mal à piper un peu les cartes, lors de certains duels. Les gens étaient tellement sensibles, lorsqu’on touchait à leur famille. Ils étaient tellement malléables. Personne ne s’était encore plaint à l’Empereur ; ses hommes de main étaient partout, écoutaient tout, rapportaient tout, et tous les nobles savaient qu’il était sans pitié si on le contrariait. Mais désormais, il était seul, et il avait peur. Soupirant, il alla à la fenêtre pour la fermer. … et recula de stupéfaction alors qu’une main s’accrochait au rebord. « Que… » balbutia-t-il. Un bras suivit la main, puis une tête, et enfin la totalité du corps. En quelques secondes, le grimpeur se rétablit et pénétra dans la pièce. Semos tira son épée et recula d’un pas. L’homme était dégingandé sans être grand, mince sans être maigre. Il portait des habits gris sombre qui se fondaient avec les premières lueurs du jour, et un manteau à capuche qui devait habituellement dissimuler son visage, mais dont le capuchon était présentement baissé. Il n’avait aucune arme visible. Il n’aurait jamais pu réussir une telle escalade, encombré d’une épée. Avant de laisser à l’homme le temps de réagir, Semos lui mit sa lame sous la gorge. « Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? Expliquez-vous » La tour principale de l’académie faisait plus de quatre-vingt pieds de hauteur, et on y trouvait peu d’aspérité. Cela relevait de l’impossible de parvenir à se hisser aussi haut. Semos n’avait pas l’intention de prendre le moindre risque avec un individu capable de réaliser un tel exploit. Mais si l’intrus parut troublé de se voir ainsi menacé, il n’en montra rien. Ecartant les bras pour montrer qu’il ne portait aucune arme, il se fendit d’un grand sourire. « Voyons, Maître Semos, ce ne sont pas des manières d’accueillir un ami. J’ai eu beaucoup de peine à vous rejoindre, et voilà comment vous m’accueillez ? » « Je ne vous connais pas » fit Semos d’un ton froid « Je le répète, qui êtes-vous ? » Ses pensées tourbillonnaient dans sa tête. La journée avait déjà été riche en événements, et maintenant, ça ! Un assassin emmené pour le tuer dans son lit, pensant qu’il dormirait ? Qui avait bien pu le commanditer ? Pas Gundron, certainement. Le vieux roublard savait pertinemment que Semos ne dormait pas. Mais alors, qui ? « Mon nom est Eleon » fit l’homme sans se départir de son sourire. « Je suis un chasseur de primes, et je suis là pour vous aider » Semos fronça les sourcils. Le nom lui était vaguement familier. « Eleon, eh ? Et qu’est-ce qui vous donne l’autorisation de grimper à ma tour aussi familièrement, en pleine nuit ? » Il avança sa lame jusqu’à ce que la pointe chatouille la glotte de l’intrus. « Donnez moi une bonne raison, une seule, de ne pas vous trancher la gorge sur le champ ? » « Pour ce qui est d’escalader la tour, j’ai bien demandé une audience avec vous, mais on ne me l’a pas accordée. Que pouvais-je faire d’autre ? Comme je vous l’ai dit, je suis là pour vous aider. Contre ce Rekk, je veux dire » Pour toute l’attention qu’il portait à l’épée, elle aurait aussi bien pu ne pas être là. Semos resta un instant immobile, saisi. « Tu es au courant de bien des choses, je trouve » « Il est difficile de ne pas l’être, Maître Semos. Vos hommes sont plutôt bavards, ceux qui offrent des récompenses à travers toute la ville. Ce n’est peut-être pas la meilleure manière de garder le secret. Et puis… » Il sourit « Il se trouve que j’étais justement sous votre fenêtre lorsque vous avez eu cette discussion passionnante avec ce Gundron. Un homme intéressant, vous ne trouvez pas ? » Semos balaya les paroles de l’homme d’un geste de la main. « Tu parles trop, et tu souris trop, pour un honnête homme. Que tu sois au courant de tout ça me donne une raison de plus de te tuer, pas de te laisser en vie » L’homme haussa un sourcil. Lorsqu’il parla, son débit était plus rapide, à la grande satisfaction du maître de l’académie. Les gens imperturbables finissaient par le fatiguer. « Nous avons observé ce Rekk se battre, mon compagnon et moi. Nous pensons que nous pouvons le tuer, si tel est votre désir. Cela simplifierait beaucoup de problèmes, ne trouvez-vous pas ? » Semos grogna. « Pourquoi ne l’avez-vous pas fait plus tôt, alors, si vraiment vous pensez pouvoir le faire ? » « Ah, mais c’est que la récompense n’était pas satisfaisante, cher maître. Dix pièces d’or ? Pour risquer notre vie contre un monstre comme lui ? Il vaut mieux que le risque en vaille la chandelle » « Pah ! Je connais cent de vos pareils qui risqueraient leur vie pour cinq fois moins » « Ah, mais la différence, c’est que nous n’échouerons pas. Maintenant, si vous vouliez bien retirer cette lame de mon cou, elle me rend nerveux » « J’aime te voir nerveux » grinça Semos, mais il recula néanmoins son épée de quelques centimètres « Bien » fit Eleon, satisfait. « Maintenant que nous avons passé le cap des présentations, parlons affaire. Combien de pièces d’or nous offrez-vous pour la tête de Rekk ? » « Aucune » répondit Semos, haussant les épaules. « C’est bien trop tard maintenant pour tenter quoi que ce soit » « Trop tard ? Comment ça ? » Eleon haussa un sourcil, perplexe. « Il est dans la ville, maintenant. Et il est hébergé au palais. Tu as raté ta chance, chasseur de primes. Tu aurais pu gagner tes dix pièces d’or, mais maintenant il est trop tard » Eleon ne se laissa pas démonter. Son sourire s’élargit même. « J’ai peine à voir où est le problème. Comme je vous l’ai dit, pour une somme convenable, nous le tuerons. Le reste n’est que discussion et marchandage » Il hocha la tête. « S’il est hébergé au palais, alors cela veut dire qu’il a des relations haut placées. Intéressant. Cela va faire monter le prix » Semos regarda l’homme d’un œil nouveau. « Tu penses vraiment pouvoir le tuer ? Discrètement ? » « Plus discrètement que vos tentatives précédentes ? Certainement » La voix d’Eleon était teintée de moqueries. « Mais la discrétion a un prix, elle aussi » Semos rengaina son arme d’un geste décidé. « Combien ? » « Cent pièces d’or » annonça le chasseur de primes, tranquillement. Semos s’étrangla. « Cent pièces d’or ? Tu es fou, chasseur ! Une telle somme pourrait t’acheter une belle maison avec un grand jardin ! » « Mon rêve » confirma Eleon, sans que son sourire ne vacille. « Avec des saules pleureurs, j’adore les saules pleureurs. Ils me donnent une idée de l’éternité » « Je ne te donnerai pas cent pièces d’or ! » hurla Semos, hors de lui. « Alors vous mourrez » La menace était à moitié voilée. Le Maître de l’Académie hésita, puis montra la chaise vide devant lui. « Discutons » fit-il. L’autre s’assit. |
15/04/2003, 21h21 |
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Grenouillebleue |
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