Chapitre VIII: Un cadeau pour le week-end !

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J'ai mal au crâne à cause d'hier, je suis crevé, enrhumé, pas envie de sortir aujourd'hui, donc autant en profiter.

Mesdames et messieurs, le 8eme chapitre.
Enjoy... or not

Chapitres précédents :


Introduction
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII



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Rekk prit la tête de la petite troupe alors qu’ils quittaient le village, plus rapidement qu’ils ne l’avaient prévu. Il rangea machinalement dans sa sacoche de selle les provisions qu’ils venaient d’acheter aux habitants terrorisés. Il aurait pu s’en emparer sans payer, tant la frayeur des villageois était grande ; ils le regardaient comme si les légendes avaient pris corps devant eux, comme si l’épouvantail de citrouille et de potiron de leur enfance s’était animé et leur avait parlé. Mais Malek avait une autre conception de la chose. Il avait fouillé dans la bourse à sa ceinture, s’était emparé d’une poignée de pièces d’argent, et les avait distribuées à la ronde en échange de plusieurs miches de bon pain, d’un peu de jambon, de plusieurs saucissons entiers et fumés, d’une dizaine de lanières de viande séchée, de viande salée, et de quelques fruits frais. Assez pour tenir durant tout le voyage, sans même avoir à se rationner. Le Banni esquissa un demi-sourire. Les licornéens avec une conception de l’honneur parfois assez étrange, mais ils avaient surtout assez d’argent pour pouvoir vivre en accord avec leurs principes. Rekk aurait bien aimé voir ce que Malek aurait fait si sa bourse avait été plate. Cependant, ce n’était pas le plus important, pour l’instant. Son esprit revint à l’attaque qu’ils venaient d’essuyer, et aux conséquences probables.

« On dirait que quelqu’un nous en veut particulièrement » fit-il lentement, alors que le village disparaissait derrière eux. « C’est assez fâcheux »
Malek avait un air boudeur qui ne lui allait guère. Il talonna sa monture pour remonter au niveau du Banni.
« J’aurais pu me battre, moi aussi. J’aurais pu aider »
« Tu n’aurais fait que me gêner. Peut-être, un jour, pourras-tu bien te battre mais, pour l’instant, tu ne m’es d’aucune aide »
« Je suis une des premières lames de l’Académie de Musheim ! » protesta Malek, tout haut.
« C’est bien ce que je dis. Tu n’as pas le niveau, petit » Rekk haussa la voix. « Shareen, j’ai quelques questions à te poser. C’est ta description qui figurait sur ce papier, tu peux me dire ce que ça signifie ? »
La jeune fille sursauta.
« Pardon ? »
« Je te disais » répéta patiemment Rekk, « que quelqu’un sait visiblement que tu es allée me prévenir de la mort de ma fille, et que ce quelqu’un n’est pas vraiment d’accord. Il faudrait que tu te secoues un peu, petite, si tu veux rester avec nous. Nous ne sommes pas dans un monde de paix et d’amour, et il y a des assassins à notre recherche. Tout ce que tu vas me dire maintenant peut nous aider à nous en sortir » Il eut un sourire tranquille. « Je n’ai pas beaucoup de doutes sur ma propre survie, mais je n’en dirai pas autant de la vôtre. Alors ? Que peux-tu me dire ? »
« Pas grand chose, malheureusement. Je n’ai vraiment aucune idée de qui pourrait me vouloir du mal. Je n’avais aucun ennemi, aucune ennemie… »
« Que ce soit un de tes amis ou un de tes ennemis importe peu, petite. C’est à moi qu’on en veut. Tu n’es qu’un moyen de parvenir à m’identifier. Donc réponds à ma question : qui sait que tu es partie, et qui pouvait imaginer que tu me préviendrais ? »
« Il faut que ce soit quelqu’un qui soit à la fois au courant de ma désertion et de la mort de Deria » fit Malek, les sourcils froncés. « Mais cela pourrait être n’importe qui de l’Académie. Ca ne nous avance pas à grand chose »
Rekk secoua la tête.
« Non, ca ne peut pas être n’importe qui. Tu oublies que très peu de monde sait que je suis le père de Deria. Même vous, vous ne le saviez pas. C’était un secret bien gardé, pour sa sécurité – et pour la mienne ». Il se rembrunit.
« Alors ce n’est pas à moi de vous renseigner, mais à vous. Qui savait que Deria était votre fille ? »
« Deux personnes, en fait, pas plus. Semos, le maître de l’Académie – et l’Empereur »
« L’Empereur ? » firent les deux jeunes gens, presque en même temps.
« Lui-même. Nous entretenions une certaine… correspondance, pendant un temps. C’est lui qui a levé mon bannissement, deux ans auparavant. Mais… si l’Empereur me voulait mort, il pourrait utiliser des méthodes bien plus efficaces que simplement envoyer quelques bandes de chasseurs de primes à mes trousses »
« Alors, Semos ? »
« Semos, ou bien quelqu’un à qui il a parlé. Maudit soit l’homme et sa langue trop bien pendue. Lorsque je le trouverai, je lui ferai cracher les réponses dont j’ai besoin, et je lui fermerai sa foutue gueule avec un peu de fil et une aiguille »
« Semos est le Champion de l’Empereur. Il a vaincu Gundron Un-Œil l’année dernière. Et il n’est pas seul, il commande l’Académie, il est entouré de gardes… ce ne sera pas aussi facile de le battre que vous semblez croire » protesta Malek.
Rekk se contenta de sourire, un sourire sans humour qui n’atteignit jamais ses yeux. Mais il ne répondit pas.

Le voyage se passa sans incidents majeurs. Malgré son désir d’augmenter l’allure, Rekk n’osait pas suivre la Route Royale plus avant. Si des chasseurs de primes les attendaient dans le village précédent, alors il devait y en avoir dans toutes les bourgades du coin, et le chemin le plus direct vers Musheim devait être truffé d’ambuscades et de chausse-trappes. Si Rekk avait été seul, il n’aurait certainement pas hésité, mais il semblait s’être résigné à traîner les deux jeunes gens avec lui.
Ils voyagèrent donc majoritairement à travers les champs, suivant un chemin plus ou moins parallèle à la route, mais s’écartant le plus possible dès lors que quelques habitations venaient à surgir à l’horizon. C’était un chemin long, mais agréable. Plus ils descendaient vers le sud, plus la végétation renaissait, et le soleil se montrait généreux. Finalement, Shareen et Malek durent desserrer leurs manteaux pour se rafraîchir un peu. Rekk ne se changea pas. Shareen avait dans l’idée que, dans la toundra comme dans les jungles luxuriantes de Koush, le Banni ne ferait aucune concession à son manteau de peau de loup et son armure de cuir bouilli.

« S’il y a vraiment une récompense pour notre tête » protesta Shareen, alors qu’ils se fondaient une nouvelle fois dans les broussailles, «est-ce que c’est vraiment une bonne idée de nous rendre à Musheim ? Je suppose que beaucoup doivent nous attendre là-bas, surtout s’ils savent que c’est notre destination finale »
« Ma vengeance se trouve à Musheim, j’irai donc à Musheim » répondit Rekk, sans même la regarder. « Nous verrons ce qui nous attend la-bas lorsque nous y arriverons. »
« Et vous tuerez tous ceux qui chercheront à vous arrêter ? »
« Quelque chose comme ça, oui »

Lorsque la nuit tombait, ils cherchaient un endroit éloigné, si possible en plein cœur de la végétation, pour s’installer. Ils allumaient rarement un feu pour ne donner aucun signe de leur position, et ils mangeaient leur nourriture froide et crue. Puis, ils allaient dormir. Rekk semblait leur faire assez confiance pour s’endormir avant eux, mais jamais Malek ni Shareen ne doutèrent qu’il se réveillerait au moindre signe de danger, l’épée au poing, prêt à tuer toute personne qui lui barrerait la route.

« Tu crois qu’il est vraiment humain ? » chuchota un jour Shareen, mal à l’aise. « Je me demande pourquoi les gens l’ont appelé le Démon Cornu. Démon, je comprends, mais pourquoi cornu ? »
« La corne, c’est son épée, non ? Comme pour les licornéens ? »
« Peut-être » fit Shareen, dubitative. « Et peut-être pas »
« Demande-lui, si ça te tracasse tellement. Il a beau être cruel parfois, il ne nous veut pas de mal. Sinon, cela fait longtemps qu’il aurait pu se débarasser de nous… d’une manière ou d’une autre. Non, je ne pense pas que c’est un démon. Juste un homme qui a fait un mauvais choix »
« Tu parles comme un vrai Licornéen » grommela Shareen.
« Tu trouves ? »
« Ce n’était pas un compliment »
« Oh »
« Dormons, maintenant. »

Il avait fallu douze jours à Shareen pour atteindre les landes désertes de la toundra. En suivant le rythme de Rekk, en s’arrêtant lorsqu’il le faisait pour faire paître les montures, les laisser se reposer, et tirer le meilleur d’elles, ils atteignirent les portes de Musheim au matin du onzième jour, rejoignant enfin la Route du Roi sur la dernière lieue.

Si proche de Musheim, la Route était large de plusieurs dizaines de coudées, et une foule immense se pressait aux portes de la ville. Il y avait de lourds chariots à bœufs, avançant péniblement, pleins de maïs et de blé et d’orge issus des précédentes récoltes, destinés à alimenter les nombreux marchés de la ville. Il y avait des colporteurs, poussant leur cariole devant eux, emplie à ras bord de bijoux de pacotille et de babioles sans intérêt. Il y avait des rebouteux, des sages de campagne, appelés par quelque habitant de la ville et tiré de leurs cavernes. Ils agitaient des gri-gris et des talismans en chantant des mélodies sans paroles. Il y avait des éleveurs qui tiraient une douzaine de cochons derrière eux, et des fermiers qui venaient avec leur unique poule. Il y avait des pélerins et des moines, nus tête pour exhiber leur tonsure, venus pour visiter les douze temples sacrés des dieux. Il y avait des voyageurs vêtus d’habits poussiéreux, s’appuyant sur une branche d’arbre noueuse pour avancer et se frayer un chemin dans la foule. Il y avait des nobles et des riches bourgeois en litière, entourés de gardes du corps, qui faisaient donner du bâton pour faire s’écarter la foule.
Et il y avait les gardes, les gardes de l’Empire, qui allaient et venaient des deux côtés de la route, lance dans une main, bouclier dans l’autre. Leurs cottes de mailles brillaient sous le pâle soleil hivernal alors qu’ils canalisaient violemment le flot de personnes, poussant les resquilleurs de côté et empêchant quiconque de quitter la route. Ils étaient là pour éviter que la bousculade ne dégénère, bien sûr. Ils étaient aussi là, le cas échéant, pour aider lors des accidents inévitables, aider à remettre les essieux des chariots droits et les roues sur les dalles. Mais, la plupart du temps, ils regardaient ailleurs avec affectation pour ne pas salir leurs armures par cette tâche dégradante.
Le tout formait une masse grouillante, affolante, vibrillonnante, tourbillonnante, un gigantesque serpent humain, une rivière alimentée par de nombreux affluents, qui venait s’écraser en grondant contre les portes de la ville.

« Musheim est bien telle que je me la rappelais » fit Rekk, vaguement amusé. « Nous n’aurons aucun problème à nous fondre dans cette foule et à passer inaperçus. Shareen, garde bien ta capuche baissée. Il ne devrait y avoir aucun problème, mais il vaut mieux ne pas tenter les Dieux. »

La jeune fille acquiesca, remontant encore plus son capuchon sur son visage. Rekk avait l’air confiant, mais elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver une anxiété croissante alors qu’ils s’approchaient des gardes. Si sa tête était vraiment mise à prix, et que quelqu’un la reconnaissait, qu’allait-il se passer ? Savoir que Rekk la protégeait n’était qu’un réconfort partiel. Elle avait déjà vu bien trop de sang couler.
Comme s’il avait compris ce qu’elle ressentait, Malek lui tapota doucement l’épaule, et lui fit un sourire encourageant. Sur les conseils de Rekk, il avait enlevé son pourpoint brodé et frappé de la licorne pour revêtir un bliaut de couleur unie, qui ne trahirait pas son rang. Etre noble pouvait leur permettre de dépasser tous les paysans, bien sûr, et d’entrer rapidement, mais cela attirerait beaucoup trop l’attention.

Ils se fondirent sans aucun problème dans la foule. A peine une heure plus tard, après s’être fait emporter par la marée humaine, ils arrivaient enfin devant les portes de la ville. Les gardes leur lancèrent un regard, mais ils étaient visiblement plus intéressés par les marchands. Pour faire entrer des marchandises dans la ville, il fallait payer une taxe, et le produit terminait le plus souvent dans des poches anonymes. Mais trois voyageurs en habits poussiéreux, sans rien à vendre, cela ne méritait pas qu’ils perdent leur temps. D’une main nonchalente, le sergent leur fit signe de passer.

« Ca y est » murmura Malek, dissimulant nerveusement son visage.
« Nous sommes dans Musheim » renchérit Shareen. « Je croyais qu’on n’y arriverait jamais »
« Ca ne se serait pas passé aussi facilement quand j’étais Maître de la Garde » gronda Rekk, l’air furieux. « C’est absolument intolérable de voir une telle corrup… » Il s’interrompit. Trois soldats venaient de sortir d’une des tourelles de la ville, accompagnant un homme de haute taille en robe noire et cape noire. Ils venaient droit sur eux. « Ta foutue Déesse n’est pas avec nous aujourd’hui, Malek… »
Shareen sentit le Banni se tendre devant elle, et sa main s’approcher négligemment de son épée. Il ne compte tout de même pas… Mais l’homme parla, alors.

« Bienvenue, Baron de Bertholdton. Bienvenue à Musheim. Puissiez-vous trouver ici plaisir et repos. Que l’Empereur illumine votre séjour »
Rekk haussa un sourcil, surpris.
« Auprès de l’Empereur, tout homme trouve plaisir et repos » répondit-il formellement, touchant brièvement son front de son index gauche. Sa main droite caressa doucement le pommeau de son arme.
« N’est-ce pas ? » fit l’homme en noir, une touche d’amusement dans la voix. Il abaissa le capuchon de son manteau. « Il est bon de te revoir, Baron »
C’était un vieil homme, probablement plus agé que Rekk, qui devait avoir dépassé les quarante ans depuis longtemps. Ses cheveux blancs étaient tenus longs, soigneusement peignés, et entrelacés en une longue tresse à la manière courtisane. Il avait un visage agréable, aux traits marqués, ornementé d’un bouc soigneusement entretenu, tout aussi blanc que ses cheveux. Il avait des yeux d’un bleu profond, qui s’arrêtèrent longuement sur chacun des membres du petit groupe, semblant les détailler jusqu’aux tréfonds de son âme. Son regard était calme et tranquille ; on ne pouvait rien déceler de la violence contenue qui couvait dans ceux du Banni. Pourtant, Shareen frissonna. C’étaient des yeux qui avaient déjà beaucoup vu, qui avaient déjà trop vu, qui semblaient déjà tout savoir et s’amuser de cette connaissance.

« Mandonius ! » souffla Rekk. Pour la première fois depuis que Shareen le connaissait, il avait l’air réellement surpris.
« Lui-même » fit l’homme. Son sourire fit ressortir ses dents blanches. « Cela fait bien longtemps, mais tu n’as pas tellement changé… Baron. »
« Toi non plus… Général. Tu avais des cheveux bruns, la dernière fois que je t’ai vu, mais à part ça, tu m’as l’air en forme » Le ton était badin, mais sa main ne s’éloigna pas pour autant de son épée. En fait, elle s’y posa même franchement.
« Je ne suis plus général » corrigea tranquillement Mandonius. « Son Excellence semble penser que mes talents martiaux sont plus utiles pour élever son gamin que pour étendre nos frontières. »
« Comment puis-je t’appeler, alors ? Nourrice ? »
« Gouverneur, si tu veux… même si c’est plus un titre honorifique qu’autre chose. Mais j’aimerais vraiment que tu m’appelles Mandonius »

Malek recula doucement son cheval, tentant de se cacher dans l’ombre de la grande porte. Il connaissait très bien l’homme, qui était un ami intime de son père. C’était une raison de plus pour ne pas se faire remarquer, pas avant de savoir réellement ce qui se tramait et quelles étaient les relations entre les deux hommes. Il remonta son manteau sur son visage, dissimulant ses traits du mieux qu’il pouvait. Ce n’était pas un déguisement très efficace mais, de toute façon, l’attention du gouverneur n’était pas sur lui.
« Mandonius, alors. Es-tu ici par hasard ? Cela me fait plaisir de te voir, mais j’ai beaucoup à faire, et j’aimerais passer »
Le gouverneur eut un sourire tranquille.
« Oui, ça fait plaisir de se revoir. Te souviens-tu de la campagne de Koush ? Ca, c’était un véritable plan militaire, ambitieux et agressif ! Les combats violents dans la jungle, les formations serrées, les renforts au dernier moments… »
« Nous pourrons peut-être en discuter autour d’un verre, Mandonius… qu’en penses-tu ? Il faut vraiment que je passe, maintenant »
L’homme soutint le regard du Banni sans sourciller.
« Aaah… quant à cela, je crains malheureusement que cela ne soit pas possible »
« Comment ? »
« Je suis mandaté par l’Empereur pour vous amener au palais directement. Son Excellence est désireuse de vous voir et de discuter avec vous de… certains détails »
« Des détails ? Comme, par exemple ? »
« Ce n’est pas à moi de vous en parler. Je ne suis qu’un humble émissaire » Il sourit. « Mais ca ne saurait être désagréable, d’autant plus que nous pourrons ainsi discuter plus à notre aise et nous remémorer le bon vieux temps. J’ai plusieures amphores d’un délicieux vin rouge des coteaux de Gort qui pourront faire l’affaire, je pense »
« Et si je refuse ? » s’enquit Rekk, les yeux sombre.
« Tu refuserais de boire avec moi ? » s’enquit Mandonius, un air de surprise feint sur le visage.
« Tu sais très bien ce que je veux dire… gouverneur »
« Ah, ça… Les ordres de Son Excellence sont très clairs. Tu noteras que les tours de garde des deux côtés de la porte sont remplies d’arbalétriers qui pointent en ce moment leurs flèches vers toi. Mais je suis convaincu que ce ne sera pas utile, bien entendu » Rekk se tendit. « Ai-je mentionné, également, les régiments de la garde du palais, qui sont spécialement descendus dans ce quartier pour bloquer les rues adjacentes ? A tout hasard, bien entendu »

Rekk lança un regard pensif à Shareen et Malek. Ce coup d’œil ne dura pas plus d’une seconde, mais la jeune fille sentit comme un bloc de glace enserrer son cœur. Le Banni considérait-il vraiment l’option de tirer son épée et de se frayer un chemin de force ?
Si tel était le cas, être encombré des deux jeunes gens le décida. Avec un soupir, il leva sa main droite et la posa sur l’encolure de son cheval, loin de son épée.
« Les désirs de Son Excellence sont des ordres » fit-il, de mauvaise grâce.
« En effet, ils le sont » acquiesca Mandonius, un sourire poli sur le visage. « Partons-nous ? » Il fit un signe de la main, et une vingtaine de cavaliers sortirent des rues environnantes. Ils portaient tous une armure de plates complète frappée du sceau de l’Empereur, et leur visage était dissimulé par un heaume au cimier de plumes rouges. Malek les connaissait de réputation. C’étaient des Aigles de Feu, les chevaliers les plus émérites du royaume, la garde rapprochée de l’Empereur. « Le voyage devrait être rapide et agréable » ajouta Mandonius. « L’Empereur a cru bon de nous adjoindre quelques hommes, dans le simple but de déblayer les rues des manants qui pourraient nous gêner »
Rekk n’était pas dupe. Il garda sa main loin de son épée, et son air était sombre.

« Je ne suis pas seul » fit-il finalement. « Deux écuyers sont avec moi, sous ma protection. Ils viendront au palais avec moi »
Mandonius n’eut pas l’air particulièrement surpris. D’un autre côté, rien ne semblait capable de déranger ce calme impavide qu’il affichait en toutes circonstances.

« Deux écuyers ? Bien sûr, bien sûr. L’un d’entre eux ne serait-il pas justement une écuyère ? Une certaine… » Il parut chercher «… Shareen, je crois ? Une jeune fille charmante, et pleine de vie ! » Shareen tenta de reculer dans l’ombre comme Malek l’avait fait, mais elle ne pouvait échapper au regard amusé du gouverneur. « Quant à l’autre… de qui pourrait-il bien s’agir ? » Il prit un air peiné. « C’est mal, savez-vous, Dame Shareen, de quitter ainsi l’Académie sans donner de vos nouvelles. Très mal. Savez-vous que vous n’êtes pas la seule, par ailleurs ? Un certain Malek semble être parti, lui aussi. Son père m’a plusieurs fois… oh, que voilà une agréable coïncidence ! Seigneur Malek, si je m’attendais ! »

Le jeune homme enleva la capuche de son manteau avec un soupir. Il avait toujours eu l’impression qu’il était impossible de cacher quoi que ce soit à Mandonius. Lorsqu’il était enfant, et qu’il jouait parfois dans le palais, le vieil homme avait toujours semblé deviner de quelle bêtise il s’était rendu coupable.
« Pour ce qui me concerne » fit Rekk, qui semblait avoir retrouvé son aplomb, « ce sont mes écuyers. Ils viennent donc avec moi »
« Baron, je crois que le duc de Licorne aimerait réellement revoir son fils, et que… »
« Ils viennent avec moi » trancha le Banni. Mandonius sembla hésiter un instant, et Rekk poussa son avantage « Ne surestimes pas la protection que ces vingt pantins te donne, gouverneur »
« Dieux Bénéfiques, c’est le duc qui ne va pas être content ! Mais je suppose qu’il s’en accomodera, après tout. C’est un homme charmant, et tellement raffiné » Le gouverneur s’avança vers les deux jeunes gens. « Et vous, qu’en pensez-vous ? Vous voulez vraiment accompagner R…le Baron au palais ? »
« Nous sommes ses écuyers » fit Malek, haussant les épaules. « C’est notre devoir de l’accompagner »
« Oui » fit Shareen, qui ne parvint pas à rajouter quoi que ce soit d’autre et resta les bras ballants.
« C’est donc ainsi. Je vois. Des écuyers. Parfait. Mais dépêchons-nous. L’Empereur n’aime pas attendre »
Il semblait difficile de faire confiance à Mandonius, pourtant il n’avait pas menti sur un point au moins : les Aigles de Feu se déployèrent dans les rues, avec une habileté consommée, dégageant les rues à coups de hampe de lance. Les artères menant au palais étaient habituellement encombrées d’une foule immense et compacte cherchant à se rendre d’un endroit à l’autre de la ville, mais le petit groupe trouva ces chemins déserts lorsqu’il les emprunta. Il ne leur suffit que d’une dizaine de minutes pour arriver aux portes du palais. Les Aigles démontèrent, alors. Il était visible qu’ils escorteraient Rekk dans le palais, également.

« Est-ce qu’on a véritablement besoin de ces pantins dans les jambes ? » grommela le Banni, mettant pied à terre. Quelques Aigles remuèrent nerveusement, tiraillés entre les ordres qui leur avaient été donnés et leur orgueil.
« Besoin ? Non, mais il faut bien leur faire faire un peu d’exercice, de temps en temps » fit Mandonius, baissant la voix et souriant largement. « On ne les sort que pour les cérémonies officielles. Sinon, ils rouillent dans les salles d’armes »
Shareen et Malek s’engagèrent dans le palais à la suite des deux hommes. A la différence de Rekk, qui semblait surveillé avec attention, personne ne semblait leur porter le même intérêt. Malek avait de nouveau relevé son capuchon sur son visage, dans l’inquiétude de croiser un courtisan qu’il connaissait. Avec un temps de retard, Shareen fit de même.

Elle n’était jamais encore allée dans le palais, à part lors de la cérémonie d’intronisation en tant que fille de l’Académie. Mais, à la différence de Malek qui semblait bien connaître les couloirs et ne semblait pas plus impressionné que cela, elle avait l’impression de pénétrer dans un lieu saint. L’intérieur du palais était riche, aussi riche que Château Bertholdton avait paru dépouillé. Des centaines d’objets précieux, venant des différentes provinces de l’Empire, en butin ou en tribut, étaient amassés dans les différents couloirs, pour offrir une décoration étonnante d’originalité. L’Empereur Marcus était féru de culture, croyait-elle se rappeler. Il avait souhaité satisfaire tous ses vassaux en organisant ainsi son palais. Les tentures en soie de Veeral côtoyait les statues d’ébène de Koush, qui elles-même étaient posées sur des meubles incrustés de pierres précieuses venant des mines de Sharnel, à l’extrême-ouest de l’Empire, contre les Montagnes Sans Limites. On pouvait voir des lourds tapis venus de l’Orient mystérieux, de multiples tableaux issus des nombreux artistes officiels de l’Empereur, et encore des coffres, et des sculptures, et des armures accrochées au mur, et des boucliers frappées aux blasons des différentes maisons. Tant de richesse donnait le tournis à Shareen, et elle ne pouvait s’empêcher de regarder de tous les côtés. Il lui fallut courir pour rejoindre le groupe, lorsqu’elle se rendit compte qu’elle était restée en arrière. Pas un seul garde n’avait fait attention à elle.

« Reste près de moi » murmura Malek, posant une main protectrice sur son épaule. « Je ne sais pas dans quoi nous nous sommes engagés, mais ça ne sent pas bon. Pourquoi est-ce qu’il a fallu que tu voyages dans le nord ? »
« Et qui t’a demandé de me suivre, crétin dégénéré ? Je n’ai jamais voulu que tu viennes ! » siffla Shareen en retour. Mais elle n’écarta pas la main qu’il avait posée. Lorsque la porte de l’antichambre s’ouvrit devant Rekk, elle la serra même très fort.

« Votre épée, s’il vous plaît » demanda cordialement Mandonius.
« Je n’aime pas ça » grommela Rekk.
« Votre épée, s’il vous plaît ? »
Soupirant, le Banni dégrafa son ceinturon et le tendit au gouverneur. Ce dernier eut un sourire satisfait et s’effaça pour le laisser passer.

« L’Empereur du Ponant, le Prince des Nations sous le Soleil, le Seigneur des Trois Mers, le Grand Commandeur du Peuple ! » annonça-t-il d’une voix forte. « Gloire et honneur ! »
« Gloire et honneur » répéta Rekk, avançant dans la pièce. Les deux jeunes gens lui emboîtèrent le pas.

Shareen baissa les yeux instinctivement, hésitante sur le protocole à suivre. Mandonius n’avait pas paru faire plus qu’un hochement de tête, mais Malek posait un genou en terre. Rekk restait debout, les bras croisés, dans une attitude de défi. Celui-ci ne changera jamais. Ils vont le décapiter, et ce ne sera peut-être pas un mal…
Honteuse de cette pensée, elle se lança dans sa meilleure révérence, avant de se rendre compte qu’elle était en pantalon. Rougissante, elle finit par imiter Malek et s’agenouilla.

Elle aurait pu s’épargner tous ces efforts. Le regard de l’Empereur ne quittait pas Rekk. Elle fut surprise de constater à quel point l’homme semblait vieux et usé. Elle avait vu des portraits de lui dans l’Académie, bien sûr, mais toujours on le représentait chevauchant fièrement un destrier fougueux, l’épée au poing et le regard chargé d’orage. L’homme qui leur faisait face avait certes des yeux pénétrants, mais elle n’arrivait pas à l’imaginer monté sur un cheval. Il avait la peau parcheminée, le visage fatigué. La peau pendait sur son visage, et il semblait affaibli par la maladie ou, tout simplement, la vieillesse. Et c’est cet homme qui commande l’Empire ? Il n’a pas l’air si terrifiant…

Au prix d’un effort manifeste, l’Empereur se leva et descendit quelques marches pour arriver au niveau de Rekk.
« Baron Rekk » fit-il, grimaçant un sourire. « C’est un plaisir de vous voir parmi nous »
« Le plaisir est partagé » murmura Rekk du bout des lèvres. Il eut un instant d’hésitation, puis finit par s’agenouiller, rejoignant Malek et Shareen au sol.
« Relevez-vous, tous. Je pense que le protocole a déjà été brisé plus de fois que nécessaire. » Il haussa les épaules. « Tu te fais vieux, Baron. Je m’en veux de te faire plier le genou »
« Je me sens suffisamment jeune, Votre Excellence »
« Oh ? Assez jeune pour pouvoir encore être habité par la colère et la vengeance, sans nul doute »
Rekk haussa un sourcil.
« Vous êtes au courant, alors ? »
« Qui ne l’est pas ? Samos est venu me prévenir le jour même où votre fille est morte, voici près de deux mois. Il était inquiet. Il pensait que vous lui en voudriez »
« Ce n’est pas exclu » fit Rekk, sombrement.
« Ca l’est depuis maintenant. C’est une chose de vous voir revenir dans la capitale, c’en est une autre de vous voir la mettre à feu et à sang »
« Votre Excellence… »
« Je n’aime pas les débordements, Baron. Je n’aime pas ce que je ne peux pas contrôler. Et vous êtes incontrôlable. Donc, je ne vous aime pas »

L’Empereur vrilla son regard dans celui de Rekk. Pour la première fois, Shareen se prit à admettre que cet homme pouvait, finalement, être le véritable empereur et non un quelconque fantoche qu’on leur présentait pour quelque obscure raison. Il était peut-être vieux, fatigué, usé, mais sa voix était habituée au commandement.
« Votre Excellence… »
« Un homme » interrompit de nouveau l’Empereur, « ne saurait se substituer à la justice impériale. Je crois me rappeler que vous avez déjà eu de nombreux problèmes pour cette raison, exactement. N’est-ce pas vous qui étiez un temps le Champion de Justice de mon estimé père… jusqu’à ce que vous outrepassiez vos fonctions ? » Rekk ne répondit rien. Shareen releva la tête, alarmée. Champion de justice ?Et il disait tout à l’heure qu’il était aussi Maître de la Garde ? Combien de fonctions a-t-il occupées ?
« Je comprends, Votre Excellence » fit Rekk, le visage pâle de colère contenue. « Cependant… »
« Cependant… je peux comprendre ce que vous ressentez, Baron. Je me demande comment je réagirais moi-même si mon fils venait à se faire tuer. Je souhaite ne jamais le savoir. » Il haussa les épaules en un geste très peu impérial, puis retourna à pas lents vers son trône et s’assit lourdement. « Ce que je ne sais pas, Baron, je ne peux le sanctionner. S’il se trouvait que par hasard, un ruffian quelconque du Centre Ville était retrouvé mort dans les eaux du ports, la Garde ne pousserait pas loin ses investigations »
« Elle ne les a pas poussées très loin pour ma fille, d’après ce que je sais » fit Rekk, incapable de se contenir plus avant.
« Nous avons fait tout notre possible » fit Marcus sans s’offusquer. « Peut-être pourrez-vous découvrir des choses qui nous ont échappées. » Il sourit. « Mais vous logerez au palais, et vous n’en bougerez pas. Vous prendrez un nom d’emprunt. Personne ne doit savoir que Rekk… comment vous appelle-t-on, ailleurs ? Le banni ? Le démon cornu ? Ah oui, le faiseur de veuves… Personne ne doit savoir que ce Rekk là existe réellement, et qu’il est dans la ville. Vous m’avez bien compris ? Je ne veux pas de troubles »
« Dorénavant » fit Mandonius, qui s’était glissé silencieusement dans la pièce, « vous répondrez au nom de Baron Gaffick. C’était le précédent Seigneur de Bertholdton, personne ne devrait trouver cela suspect. »
« Je vois » fit sourdement Rekk.
« Vous m’avez donc bien compris ? Je vous donne toute latitude pour exercer vos stupides représailles, si c’est ce que vous désirez. Mais agissez discrètement. Je sais que ce n’est pas dans votre caractère, mais vous devriez faire un effort. Si je vois que vous me causez plus d’ennuis que vous n’en valez la peine, je ne serai pas aussi clément »
Rekk lança un coup d’œil pénétrant à l’Empereur.
« En échange de quoi ? »

Marcus partagea un sourire avec Mandonius.
« Vous voyez, gouverneur, je savais qu’il comprendrait tout seul ! » Il se pencha en avant. « J’ai besoin de vous, Rekk. J’ai besoin de vous. En échange de ma neutralité, je veux votre épée. »
Message hors-roleplay



mais comment fais tu pour être toujours inspiré ? en tout cas c'est comme à l'accoutumée génial







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"La Barbarie n'est pas la préhistoire de l'Humanité mais l'ombre fidèle qui accompagne chacun de ses pas."

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a mon avis ...
y'en a un qui se fait des idees
y'en a un qui se fait ...dessus tout court
y'en a un qui va prendre du poids a plus ou moins long terme (genre 1 kg d'acier trempé dans le bide ..)

pour le reste .... la suite !! la suite !!
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7 Days to Die

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