|
Et voilà !
Avec un jour de retard, indépendant de ma volonté et nécessaire au bon maintien des relations diplomatiques Quebec-France, voici le chapitre VII ! Chapitres précédents : Introduction Chapitre I Chapitre II Chapitre III Chapitre IV Chapitre V Chapitre VI ----------------------------------------------------------- Shareen se réveilla avec une délicieuse odeur d’œufs grillés dans les narines. Elle sourit rêveusement, cillant alors qu’un rayon de soleil venait lui chatouiller l’œil gauche. Puis elle se redressa, et son sourire disparut alors que les souvenirs lui revenaient. Le Démon Cornu ! Malek ! Déesse Vierge, je me suis endormie ? Malek lui accorda à peine un regard, occupé qu’il était à faire frire des œufs sur une plaque de bois mouillée qui reposait sur les braises. Il s’était débarassé de son épée pour être plus libre de ses mouvements. Elle reposait sur le sol, assez proche pour qu’il pût s’en emparer si un danger survenait. Il avait l’air aussi frais et dispos que s’il avait eu une bonne nuit de sommeil. Pourtant, le soleil n’était pas très haut dans le ciel. Les nuages le cachaient partiellement, et il était difficile de deviner où il se situait exactement mais, à vue de nez, il devait être neuf heures du matin. Elle avait dormi cinq heures, peut-être six ; certainement pas plus. Elle se sentait aussi fatiguée qu’avant. Ses muscles lui faisaient mal de partout, ses épaules souffraient d’avoir dû porter aussi longtemps les courroies de sa cotte de mailles, ses cuisses étaient perclues de courbature après un si long trajet à cheval. Elle se sentait misérable. Son estomac gronda, se rappelant à elle brusquement. J’ai faim, aussi. « Tu es réveillée ? » sourit enfin Malek, relevant la tête. « Tu ronfles, tu sais » « Ce n’est pas vrai » protesta-t-elle. Shareen embrassa leur petit camp du regard. Les couvertures dont s’était enveloppé gisaient dans un coin, auprès de ses paquetages et d’une gourde d’eau à moitié vidée sur le sol. Le cheval du Banni était sanglé près des autres, broutant paisiblement l’herbe entre les mottes de terre. Son armure de cuir, visiblement lavée à la rivière, séchait sur un tronc voisin. Ses vêtements étaient pliés avec soin et posés sur le tas de couverture.. Mais de l’homme en lui-même, il n’y avait aucune trace. « Où est Rekk ? » « Parti nager dans la rivière. Pour chasser la fatigue, il a dit. Il doit être fou. Je suis frigorifié, rien que d’y penser. Tu as faim ? » Malek attrapa habilement un des œufs qu’il faisait cuire avec son couteau, et tendit ce dernier à la jeune fille, accompagné d’un morceau de pain. L’œuf frémissait, et l’odeur était décidément très appétissante. Elle s’en empara, et mordit à belles dents dedans. « Merci ! » articula-t-elle entre deux bouchées. « Mais tu aurais dû me réveiller, tu sais ? Nous pourrions partir maintenant, pendant qu’il n’est pas là. Et bon débarras ! » Malek ne répondit pas, baissant la tête. « Qu’est-ce que tu as ? » Le jeune homme n’avait pas l’air très à l’aise, se frottant machinalement les mains sur son pourpoint comme s’il essayait de le défroisser. Il a le droit de se sentir mal à l’aise, après tout. Il y a le croque-mitaine de notre enfance qui se baigne tranquillement à quelques pas de nous…Raison de plus pour ne pas traîner. « C’est ce fou furieux qui t’inquiète ? Je ne pense pas qu’il nous fera de mal, maintenant. » Elle prit un ton rassurant. « Il ne veut que venger sa fille, et je peux arriver à le comprendre. Ramassons nos affaires, et retournons à l’Académie. Nous avons fait ce qu’il fallait » « Shareen… » murmura le jeune homme, visiblement torturé. « Eh bien, quoi ? Remue-toi ! » Ayant englouti son œuf, elle entreprit de rassembler les couvertures dans un coin. Elle attrapa sa cotte de mailles sur le sol, et commençait à l’enfiler, lorsqu’elle vit que l’autre n’avait pas bougé. Elle fronça les sourcils. « Qu’est-ce que tu as, enfin, Malek ? » Au prix d’un effort de volonté visible, Malek finit par lui faire face. Il ne parvenait toujours pas à la regarder dans les yeux, et ses mains tremblaient. « Je ne veux pas partir, Shareen. » Elle ouvrit des yeux grands comme des soucoupes, mais il continua comme s’il ne l’avait pas remarqué. « J’ai envie de venir avec lui, et de l’aider. J’ai envie de venger Deria » « Que… que… quoi ? » Elle resta un instant bouche bée, tentant de retrouver sa voix, tirant machinalement sur la manche de sa cotte de mailles à moitié enfilée. « Qu’est-ce que tu racontes ? Qu’est-ce que tu veux faire ? » « Tu m’as très bien entendue, Shareen. Je veux accompagner Rekk jusqu’à Musheim, et je veux l’aider à retrouver le coupable. Je dois cela à Deria. » En un éclair, la jeune fille était devant lui, plantant son index osseux dans les côtes du jeune homme, juste là où Rekk l’avait frappé la vieille. Il grimaça de douleur. « Maintenant écoute, Malek, je ne veux plus entendre tes sornettes ! Tu n’es pas Rekk, pour te prendre pour un démon de la vengeance. Tu es un gamin, et tu n’as rien à faire dans cette histoire ! » « Toi aussi, tu es une gamine » protesta Malek sans se démonter. « Justement ! » hurla-t-elle. « Justement, nous ne sommes pas comme lui, là, comme ce fou sanguinaire qui pense qu’il suffit de brûler une ville pour trouver la réponse à ses problèmes existenciels ! Arrête de croire comme cela que tu dois cela à Deria ! Elle ne voudrait certainement pas que tu risques ta vie dans des choses aussi stupides, elle. » Malek garda le silence un instant, et la jeune fille se prit à espérer. Je l’ai convaincu. Déesse Vierge, dites-moi que je l’ai convaincu ! Mais il releva la tête, et son regard était triste. « Personne ne s’est soucié de sa mort, Shareen. Personne. Lorsqu’on a retrouvé son corps, j’étais convaincu que la justice allait retrouver le coupable, que la garde de la ville allait fouiller les Quartiers Déchus, que le meurtrier serait retrouvé, et qu’il serait pendu. Mais ils n’ont fait aucun effort, Shareen. Ils n’ont même pas essayé. » Il hocha la tête tristement. « Je ne peux pas supporter ça. Deria méritait mieux que ça, et j’ai bien l’intention de le lui apporter, par delà la tombe » Déesse, mais il est morbide, ces derniers temps ! Shareen tremblait de colère et de rage impuissante. Parfois, les hommes pouvaient se montrer si ridicules et si incompréhensibles. Quand ce n’était pas leur bas-ventre qui pensait pour eux, c’étaient leurs muscles. « Et tu te vois voyager durant plusieurs jours avec ce… ce… ce monstre cruel, qui pourrait te tuer simplement parce que tu l’as regardé de travers ? » « Il n’est pas si méchant que ça, Shareen » « Si je ne l’avais pas arrêté hier, il t’aurait tué sans même une arrière-pensée, et tu trouves qu’il n’est pas méchant ? » « Impitoyable, certainement. Méchant ? Je ne sais pas. Je te rappelle que j’étais tout de même en train d’essayer de le tuer dans son sommeil. Tout bien réfléchi, j’aurais probablement fait la même chose que lui » « Déesse Vierge ! Tu es sûr que tu as toute ta raison, Malek ? » Le jeune homme hocha la tête, l’air sombre. « Je ne suis pas du tout d’accord avec cet homme sur bien des points, mais une chose est sûre : il a l’intention de venger sa fille coûte que coûte. Ca me plaît » « Tu ne m’en voudras pas si je te laisse seul, alors » cracha Shareen, terminant enfin d’enfiler son armure. « Parce que moi, je… je… » Elle s’arrêta brusquement de parler. Rekk revenait de la rivière en sifflotant joyeusement. Il était nu comme au premier jour, et l’eau ruisselait de ses cheveux et de l’ensemble de son corps alors qu’il avançait d’un pas souple, évitant avec un instinct sûr les pierres qui auraient pu blesser ses pieds nus. Il tenait son épée à la main. Telle que Shareen le connaissait, il avait dû la garder sur la berge pendant qu’il nageait. Sa peau était tendue sur ses muscles, sans un seul gramme de graisse. Ce n’étaient pas des beaux muscles, comme elle avait pu en voir sur ces esclaves enduits de graisse d’ours que l’on vendait parfois aux enchères à de hautes dames de la cour, mais des muscles noueux, que la pratique quotidienne de l’épée avait forgé au fil des années. Mais le plus étonnant, c’étaient les cicatrices. Il portait des dizaines, non, des centaines de cicatrices, qui lui couturaient le corps du cou jusqu’aux jambes. Seul son visage semblait avoir été épargné, mais le reste de sa peau brillait de ces lignes sanglantes qui s’entrecroisaient en mille endroits. Il y en avait des petites, de la largeur d’un pouce, et quelques grandes, qui auraient décemment dû entraîner la mort tant elles s’étendaient. On voyait parfois l’amorce d’un fil arraché, témoignant du savoir d’un guérisseur quelconque qui avait tenté de recoudre la plaie, mais la plupart avaient été suturées et cautérisées avec le feu, et la chair était brûlée à tout jamais en de nombreux endroits. « Eh bien, eh bien. Je ne pensais pas que les gamines de Musheim manquaient autant de pudeur » fit Rekk en s’approchant de ses habits. Shareen réalisa qu’elle le regardait depuis près d’une minute, la bouche ouverte. Le rouge envahit ses joues alors qu’elle se détournait. Malek eut un petit rire. Elle lui lança un regard furieux. Qu’est-ce qui t’amuse, face de cochon ? Pourquoi est-ce que je me sens honteuse, d’abord ? C’est lui qui est impudique, à se promener comme ça, pas moi ! Mais la rougeur ne disparut pas pour autant de ses joues. Elle entendait le froissement du tissu derrière elle alors que Rekk s’habillait. Tant de cicatrices… Toute une vie résumée par des lignes sur un corps… Elle se retourna lorsqu’elle fut vraiment certaine qu’il était habillé. Il avait changé de vêtements pour en mettre des propres, mais dont l’aspect froissé n’avait rien à envier à ceux qu’il venait de quitter. Il avait enfilé son armure de cuir, et était en train de boucler son ceinturon. « Si tu veux vraiment partir avec moi, Malek, il serait temps de te préparer » fit l’homme. « Je veux bien croire que ton aide me sera précieuse pour découvrir le meurtrier, mais ne t’avise pas de me mettre en retard pour autant » Il fit jouer son épée dans son fourreau plusieurs fois pour vérifier qu’elle glissait bien, puis parut enfin satisfait et croisa les bras. « Je ne vais pas t’attendre toute la matinée » « J’arrive, j’arrive. Vous ne voulez pas manger un morceau avant ? » Rekk lança un regard dubitatif aux œufs en train de se consumer et secoua la tête. « Non, nous partons tout de suite. Et la fille, qu’est-ce qu’elle fait ? » Shareen releva la tête. « Vous parlez de moi ? » « Je ne vois pas beaucoup d’autres filles dans les environs » grimaça Rekk. « Tu étais l’amie de Deriale, et tu m’as prévenu. C’est grâce à toi que je suis ici. Alors, je te propose de venir avec nous. Malek avait l’air de dire que ça te ferait plaisir et, tant que tu n’es pas dans mes jambes, ça ne me dérange pas particulièrement. » « C’est hors de question ! » hurla Shareen, furieuse. Elle lança un regard meurtrier à Malek. Les hommes ! Toujours convaincus d’avoir raison ! « Je n’ai aucunement l’intention de participer à la… la boucherie que vous préparez. C’est hors de question, je vous dis ! » Un regard passa entre Rekk et Malek, et Shareen frémit de colère. « C’est bon, c’est bon » tempéra l’homme, montant à cheval. « Nous allons de toute façon nous arrêter ce soir dans un village pour acheter quelques provisions et dormir dans un vrai lit. Accompagne-nous jusque là-bas. » Il haussa les épaules. « J’aimerais que tu me parles encore un peu de ma fille, pendant le voyage. Après, libre à toi de nous abandonner. Alors ? » Shareen resta un instant indécise, puis soupira en s’approchant de sa monture. « Vous savez toujours ce que vous devez dire pour inciter les gens à vous obéir, eh ? » « La plupart du temps » opina Rekk, avec un sourire en biais. « La plupart du temps. » Il fallut un moment à Shareen pour monter en selle, courbaturée comme elle l’était. C’était encore plus frustrant de voir les deux autres l’attendre patiemment, Malek avec un demi-sourire amusé, Rekk avec un agacement manifeste. Eux aussi avaient beaucoup chevauché, mais ils ne semblaient pas en subir les conséquences. La vie n’est pas juste. Le voyage se déroula sans anicroche. Shareen se sentait encore très fatiguée, mais la chevauchée était agréable, et le paysage devenait de moins en moins lugubre alors qu’ils avançaient. Comme la neige avait laissé la place à la boue, la boue s’effaça devant l’herbe. On quittait le Nord, inconnu, invaincu, indomptable, pour rejoindre les terres plus accueillantes de l’Empire. La piste s’élargit en un chemin de terre, et le chemin finit par se changer en une route cabossée. Ils s’arrêtèrent un instant pour manger, terminèrent les quelques provisions qui leur restait, et poussèrent plus avant. Durant le voyage, Shareen raconta les souvenirs qu’elle avait de Deria. Les fous rires qu’elles avaient eu ensemble, leurs discussions sur l’avenir, leurs projets et leurs rêves. Deria n’avait pas été très bavarde sur son passé et sa famille, mais elle avait eu les yeux qui brillaient à chaque fois qu’elle envisageait son futur. C’était une perpétuelle optimiste, et ses rêves avaient toujours été roses. Shareen mit du temps à se rendre compte qu’elle avait les yeux humides. « Je… suis désolée » balbutia-t-elle. « Tu n’as pas à t’excuser » fit Rekk, parlant plus gentiment qu’il ne l’avait jamais fait. Il soupira. « Je te remercie de m’avoir parlé de ça. Maintenant, c’est à moi d’agir. Nous nous séparerons au village. » Elle hocha la tête, moins farouchement qu’avant. Ils n’avaient pas poussé les chevaux trop fort ce jour-ci, les ménageant après le galop d’hier. Mais ils avaient bien avancé tout de même ; à la grande surprise de Shareen, le village était en vue alors que le ciel s’obscurcissait à peine. C’était un misérable petit village, qui ne devait pas dépasser les quarante habitants. Ce n’était rien que quelques cahutes serrées les unes contre les autres au milieu de quelques champs difficilement cultivés. Mais c’était surtout une des trois seules bourgades autour de la Route Royale, un des trois seuls endroits où ils pouvaient s’arrêter pour acheter à boire et à manger. « C’est ici que l’on va se quitter » murmura-t-elle. « Et vous allez partir accomplir votre vengeance, vous allez encore verser le sang. Vous croyez que Deria voudrait vous voir vous lancer dans une telle aventure ? » Malek lui rendit son regard. « Oui, je crois qu’elle le voudrait » « Silence, tous les deux » La voix de Rekk était impérieuse, coupant net la protestation que voulait formuler Shareen. Il tirasur les rènes et stoppa brutalement son cheval à quelques pas de l’entrée du village. « Qu’est-ce qu’il se passe ? » Rekk fronça les sourcils. Il avait semblé détendu, aussi détendu qu’un tel homme puisse paraître, durant le voyage. Mais, maintenant, il émettait un sourd grondement de gorge, comme un loup devant le danger. Il était tendu sur sa selle, et sa main glissa vers le pommeau de son épée. « Des ennuis » « Des ennuis ? » fit Malek, incrédule. « Dans ce village ? Mais on ne voit personne ? » Rekk ne tourna pas la tête. « Justement. Il n’y avait personne dans les champs, et il n’y a personne dans les rues non plus. Aucune lumière n’est allumée aux fenêtres. On dirait qu’il n’y a personne » « Les paysans vont se coucher tôt » observa Shareen. « Il le faut, s’ils veulent se lever avec les poules » « Peut-être » fit Rekk, dubitatif. « Mais je n’aime pas ça du tout. » Il haussa les épaules, mais ne lâcha pas la garde de son épée. « Avançons, nous verrons bien. » Maintenant que le Banni avait exprimé ces doutes, Shareen ne se sentait pas vraiment rassurée. Le soleil disparaissait à moitié derrière les montagnes à l’ouest, et les ombres dansaient de manière inquiétante sur les murs en bois des habitations. Elle sursauta en voyant une forme bouger, avant de réaliser qu’il ne s’agissait que d’un tour que jouait la lumière en se réverbérant sur le puits du village. Stupide. Tu es stupide, ma fille, prends-toi en main. Ce n’est pas parce que ce fou furieux voit le mal partout que tu dois faire pareil. Mais elle ne pouvait s’empêcher de trembler. La moindre pelle appuyée contre un mur prenait la forme d’un assassin dissimulé. Elle se sentait désespérément mal à l’aise. « On ne devrait pas rester ici » murmura-t-elle. « On devrait partir tout de suite » « Quoi ? Et les provisions ? » protesta Malek. « Nous n’avons plus de pain, plus d’œufs ni de viande, il ne reste plus que… » « Attention ! » hurla Rekk, basculant de son cheval. Et l’enfer se déchaîna. Shareen poussa un cri alors qu’un trait lui frôlait le visage et que sa jument s’emballait. Une grêle de flèches s’abattait sur eux, sifflant des toits environnants. Hurlant, elle talonna sa monture pour la lancer au galop dans les rues. Malek jura alors que son propre cheval henissait, une flèche plantée dans le flanc gauche. Rekk avait roulé sur le sol, au milieu d’un cercle de flèches. Il avait du sang sur l’avant-bras, mais il était difficile de savoir si la blessure était grave ou non. Il tira son épée « Encochez… » hurla une voix venue des toits, puis : « Lâchez ! » De nouveau, les flèches s’abattirent sur le petit groupe, mais Rekk n’était déjà plus là. Bondissant de côté, il donna un violent coup d’épaule à la porte la plus proche, et s’effondra dans la maison au milieu des débris de bois. Il y avait une famille à l’intérieur, un homme, une femme, et deux enfants, et ils poussèrent des cris d’épouvante en voyant son visage livide. « Par ici ! » hurla-t-il, se retournant une seconde pour faire signe à Shareen et Malek. « Par ici ! » Shareen sauta à bas de son cheval pour s’engouffrer dans l’ouverture, et Malek la suivit presque aussitôt. Le visage de Rekk était un masque de fureur, ses yeux deux gouffres vers la mort et le néant. « Qu’est-ce qu’il se passe ? » balbutia Shareen, choquée. « Vous restez ici et vous ne bougez pas » gronda Rekk. Il leva son épée, et attendit. Il n’accorda pas un regard aux villageois, terrés dans un coin sans oser dire un mot. L’ordre s’appliquait clairement à eux, égalemetn. Le silence avait remplacé le sifflement des flèches. Le village était de nouveau calme, à l’exception des hennissements des chevaux blessés. Le vent battait la rue principale du village, faisant doucement onduler l’empennage des flèches qui étaient plantées sur le sol. « Qui aurait cru cela ? Le Démon Cornu n’est qu’une souris, finalement, à se terrer dans son trou comme ça ! » La voix était railleuse. « Vie de rat, mort de rat comme on dit ! » Il y eut quelques bruits sur les toits, alors que les assaillants abandonnaient leurs arcs pour descendre dans la rue. Shareen risqua un coup d’œil au-dehors. Ils étaient dix, pas un de moins. C’étaient des hommes rudes, au visage brutal. Une bande de va-nu-pieds, de brigands dépenaillés, dans les yeux desquels brillait la fièvre de l’or. Ils portaient l’un une épée, l’autre une hache, l’autre encore une lance, et leurs armures étaient tout aussi dépareillées. C’étaient des prédateurs, de véritables loups au rictus sauvage. Leur chef, celui du moins qui semblait coordonner cette petite bande, semblait plus richement vêtu que les autres. Il avait le privilège de porter une cotte de mailles, un bouclier à la main, et une épée qui semblait de fort bon acier. Quelle importance ? Même une épée ébréchée peut se révéler mortelle… Bizarrement, Shareen n’avait pas peur. Les événements de ces derniers jours avaient été tellement surprenants que plus rien soudain ne semblait avoir de sens. Calmement, elle tira son épée. Les leçons d’escrime de Deria résonnaient dans sa tête alors qu’elle se préparait à vendre chèrement sa vie. Malek, à ses côtés, tira doucement son épée et lui lança un sourire contrit. « Je suis désolé » murmura-t-il. Qu’est-ce qu’il a à être désolé ? Comme si c’était sa faute ? Les hommes, toujours à vouloir se culpabiliser… « Je vous ai dit de rester ici, les gamins ! » gronda Rekk, poussant abruptement les deux jeunes gens vers le fond de la pièce de sa main gauche. Puis il sourit, un rictus où toute la méchanceté du monde aurait pu trouver sa place. Il leva son avant-bras à la hauteur de sa bouche, et lécha le sang qui en coulait. « Depuis le temps que je voulais me calmer les nerfs… » Il tira une dague dans sa main gauche, assura sa prise sur son épée de la droite, cracha sur le sol, et sortit de la maison pour faire face aux brigands. Leur chef avança d’un pas. « Rekk ! Maudit cafard, fils de catin ! Cette nuit, nous te couperons la tête, et la récompense sera à nous. Nous allons te… » « Sais-tu chanter ? » interrompit Rekk, un étrange sourire aux lèvres. « Chanter ? Qu’est-ce que tu racontes ? » « Chante avec moi, petit homme. Chante le sang et l’acier ! » Et il bondit en avant. L’homme leva son arme, bloquant la lame alors qu’elle cherchait sa gorge, mais la dague trouva son flanc avant qu’il puisse bouger, et perça les anneaux de la maille, entre la deuxième et la troisième côte. Le chef des brigands poussa un hurlement, la vie s’échappant de lui. Rekk ne lui accorda pas un regard. Avant même que la dague ait fini de fouiller la chair, il la lâchait pour prendre son épée à deux mains et bondir sur les autres brigands. Abattant sa lame en un violent arc de cercle, il la retint alors qu’elle allait heurter la hampe de la lance de son ennemi, et changea de trajectoire pour aller trancher la gorge d’un autre. Puis, se ramassant sur lui-même, il se détendit comme un chat et son épée s’enfonça de plusieurs pouces dans la poitrine du lancier. Les autres reculèrent. Les trois cadavres s’affaissèrent lentement sur le sol, comme des marionettes dont on aurait coupé les cordes. « Démon ! » cracha l’un des bandits. Rekk fouetta l'air de sa lame. « On ne vous a pas prévenus ? » Il eut un sourire mauvais. « Moi, je suis dangereux » |
11/04/2003, 13h19 |
|
Grenouillebleue |
Voir le profil public |
Trouver plus de messages par Grenouillebleue |