Le contexte de la musique
L'accessibilité d'une musique dépend aussi de la connaissance qu'il faut pour pouvoir l'apprécier au mieux. Dans tous les genres musicaux il y a du "easy listening" dont on se sert souvent pour faire découvrir le genre à ses amis, en espérant les entraîner dans les profondeurs de nos goûts comme ce cher Cthulhu qui fait rien qu'à f'taghner.
J'entends par connaissances de multiples choses qui font la richesse d'un genre musical. La complexité au la pureté de l'arrangement des notes et la capacité des instruments et des artistes a véhiculer les émotions voulues par le compositeur. Jusque là on est dans le domaine de l'intrinsèque et de l'universellement perceptible.
Mais la musique peut prendre appui sur bien d'autres élements.
- La musique du texte, son fond, sa symbiose avec les notes et son originalité. A ce niveau là les musiques à paroles dont on ne comprend rien perdent déjà de leur intérêt. Comment oser comprendre le rap en faisant abstraction des diatribes mitraillées, ou comment se repérer dans les dizaines de morceaux constituant un opéra en italien sans l'aide de l'histoire qui va avec ?
- Ensuite il y a tout un contexte à une oeuvre. Un contexte technique et historique. On touche là un point crucial opposant généralement ceux qui pensent qu'on doit se borner l'oeuvre pour l'apprécier à ceux qui pensent qu'elle est à replacer dans un contexte, dans un mouvement, et qui n'hésitent pas à considérer des élements complétement externes à l'oeuvre comme la vie de l'auteur ou les oeuvres équivalentes. C'est valable dans beaucoup de domaines.
Plus on connait un genre musical plus on va être exigeant, ne se satisfaisant plus d'une banale resucée du pionnier en la matière. A titre d'exemple, un amateur de métal peut un jour tomber sur du Oasis et trouver cette pop légère et reposante. Alors que quelqu'un qui sera tombé dans les Beatles quand il était petit aura du mal à y trouver quoique ce soit d'innovant. Dans un domaine il y a les pionniers (ils sont peu) et les imitateurs (c'est le gros du troupeau). Hors contexte on peut apprécier les imitateurs et même les prendre pour des pionniers, sauf qu'en terme de créativité un monde les sépare.
Le contexte personnel
Sortons un instant des considérations de contexte pour se recadrer sur la musique en elle même, après tout il s'agit juste de dire "j'aime ou j'aime pas" plutot que de juger de la qualité d'une oeuvre dans sa globalité. Si la qualité d'une oeuvre se juge aussi par son contexte, sa facilité d'écoute se juge aussi par son aptitude à toucher les gens selon leurs contextes propres, et on n'est pas égaux d'oreille (physiologiquement) ni d'éducation musicale.
On conçoit que l'être humain soit au naturel plus sensible à certaines notes ou combinaisons de notes. Tout ce qui est syncope ou dissonnance est plus rare, et donc plus difficile d'accès. Eduqué au classique je me souviens de la stupeur avec laquelle j'accueillis les compositions de Bartok ou Schoenberg.
D'une manière générale les musiques présentant des aspects excessifs (comme des harmoniques impossibles, une durée très courte ou longue, une structure asymétrique, de la techno à 500 bpm, du métal saturé de cris, des musiques lentes et monocordes qui reposent sur des nuances imperceptibles, des paroles excessivement violentes) sont plus difficiles d'accès et nécessitent un certain apprentissage. C'est d'ailleurs pour ça que la variété tape dans l'accessible au plus grand nombre: que du majeur, des instruments populaires (guitare batterie), des textes portant sur des sentiments universels (amour), pas de nuances, une structure à base de refrain faciles à retenir, une durée standard, et autant d'élements qui permettent de se retrouver en terrain connu.
Je vois un peu la musique comme une étoile avec autant de branches que de domaines. Plus on s'éloignerait du centre et plus les principes fondamentaux du genre seraient poussés dans leurs retranchements, et nécessiteraient à la fois une connaissance du genre (contexte musical) et une éducation particulière pour être apprécié (contexte personnel). Au centre bouillissent les bases de chaque branche, formant la variété par un mélange qui fait à la fois son succès et sa fadeur. Bien sur c'est une image un peu simple: les branches ont de nombreux contacts, et il n'est pas rare d'entendre de la musique classique dans du rap ou de voir un groupe comme Rondo Veniziano qui s'agrémente de batterie. Mais je ne peux m'empêcher de trouver que les mariages de genre constituent plus des concessions destinées à rapprocher une oeuvre du centre de l'étoile que de véritables créations.
La confusion des deux
Un des problèmes avec la musique (et l'art en général) c'est que les gens confondent leur perception d'une oeuvre avec ses qualités intrinsèques, qui elles peuvent être jugées par toute une série de critères objectifs pour qui connaît bien le genre auquel elle appartient. Sous prétexte de subjectivité (qui est la manière dont chacun perçoit une oeuvre, et là effectivement ce n'est pas discutable) on voit souvent s'opposer stérilement les genres qui pourtant sont placés sur des niveaux incomparables.
Donc pour répondre à ta question, à partir du moment ou on fait abstraction du contexte d'une oeuvre il n'y pas de notion d'accessibilité, c'est l'éducation musicale de chacun qui fait la différence. A ce titre par ex. une éducation musicale très développée peut rendre très élitiste, et je connaissais un gars doué de "l'oreille parfaite" (capacité à distinguer toutes les notes dans un son, quelque soit leur nombre joué simultanément) qui avait les pires difficultés à apprécier quasiment tout type de musique car il voyait les notes se placer directement sur la portée.
De la compensation vers la fusion
Par contre il est tout à fait possible (et là je rejoins Ulgrim à 100%) de compenser une éducation musicale incompatible avec un genre en expliquant le contexte d'une oeuvre (pour peu qu'elle soit bonne), son histoire, ce en quoi elle se distingue d'un mouvement conformiste, ou encore les prouesses techniques qu'elle nécessite. Quand le coeur dit non il n'est pas rare de le faire changer d'avis par la raison, et c'est ainsi qu'à mon corps défendant je me suis retrouvé à siffloter un refrain de métal symphonique pour me filer la pêche en allant au boulot, moi qui suis un adepte de la brit-pop intimiste
Au final, la variété nous le montre, il suffit ensuite d'écouter à merci une musique pour achever de convaincre le coeur.
Khronos