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Vie au monastère
Le moine l'interpella :
"Que faites-vous dehors en pleine nuit, Frère Baeandor ?"
Il semblait étonné de voir quelqu'un à cette heure tardive tandis que tout
le monde dormait dans le petit monastère.
"Je regarde les étoiles, mon Frère...
- Les étoiles ? mais qu'ont-elles de particulier ce soir ?
- Rien de plus qu'hier mais l'une d'entre elle me guide et me surveille
alors je la contemple tous les soirs...
- Voilà une idée étrange et proche de l'hérésie... Je vous conseille d'aller
vous coucher Frère, un repos vous ferait du bien...
- Vous avez raison..."
Après un dernier regard à RisWààq", le moine rentre dans ses quartiers et
s'allongea sur son lit, cherchant le repos. Tous autour de lui dormaient
depuis plusieurs heures... Après une éternité, la fatigue accumulée lors de
la journée le submergea et il s'endormit...
Le jour était à peine lever et déjà tout le monastère était en agitation. Un
moine courut vers les quartiers et ouvrant la porte, cria à la volée :
"Le Père Supérieur désire voir le Frère Baeandor !!!"
Baeandor se leva, extirpant son regard d'une amulette qu'il avait amené avec
lui dans son pèlerinage, représentant un loup majestueux. En passant près de
son coffre, il l'ouvrit et posa l'amulette, auprès d'objets hétéroclites
tels qu'une cape, une plume et quelques feuilles de papier ou bien deux
courtes épées.
Enfin, il traversa la cour tandis que le soleil pointait ses premiers rayons
sur le petit monastère. Il traversa les quelques couloirs obscurs et frais
de la demeure et entra dans le bureau du Père Supérieur. Celui-ci était en
train de compulser un parchemin jaunit par le temps, assis dans un siège
semblant horriblement inconfortable. Son visage était sévère, parsemé de
rides, mais on y sentait une sagesse peu commune.
"Ha, Frère Baeandor, te voilà...
- Bonjour Père...
- Bonjour mon Fils, bonjour... J'ai un tracas te concernant.
- Aurais-je eut une conduite reprochable mon Père ?
- Non, point du tout... Vois-tu nous ne questionnons pas ceux qui deviennent
moines et encore moins les raisons qui les poussent à devenir moines.
Pourtant tu es différents des autres. D'une part tu ne sembles pas être le
fils cadet d'un riche propriétaire qui à défaut d'héritage trouve sa voie
dans la prière, d'autre part tu ne sembles pas être non plus quelqu'un qui
tente de refaire sa vie dans les ordres... Me trompe-je ?
- Non, vous ne vous trompez pas mon Père...
- En fait tu sembles être un guerrier. Ne sois pas étonné : tu n'as pas une
carrure colossale mais tu n'as pas non plus la frêle apparence propre à tous
les autres religieux du monastère. Donc j'en ai conclu que tu étais un
guerrier. Et vu ton attitude pieuse qui ferait pâlir le plus dévot des
ecclésiastiques, j'en ai aussi déduit que tu n'as pas toujours eut une vie
facile et que tu as une raison précise d'être ici.
- C'est vrai mon Père... J'ai pêché par le passé et je tente de me faire
pardonner auprès des Dieux mes fautes commises. De plus, depuis le début de
mon existence je n'ai jamais put trouver la paix. Je cherche le repos
intérieur en priant les Dieux... Je suis en guerre perpétuelle, en guerre
avec moi-même, traquant mes démons jusqu'à ce qu'ils fuient ma personne...
- Je comprends... Mais quelques furent tes fautes, les Dieux t'ont pardonné
je pense. Voilà plus de deux ans que tu es parmi nous et tu n'as eut de
cesse de prier du matin jusqu'au soir dans la chapelle. N'importe quel Dieu
aurait pardonné n'importe quelle erreur face à une telle dévotion mon Fils.
- Mais pourtant je ne trouve pas le repos mon père...
- Alors c'est que tu ne le trouvera point ici... Ecoutes mon Fils : tu es un
guerrier et je suis un moine. Pourtant nous avons un but commun, nous
vénérons la lumière. Mais le mal ne peut être repoussé que par des prières,
il faut le combattre. En ceci je ne puis offrir mon aide mais toi tu le
peux.
- Vous me chassez mon Père ?
- Non, j'agis comme me l'indiquent les Dieux. Te garder ici serait ne pas
profiter des talents d'un guerrier de la Lumière. Je te conjure donc de
retourner au combat et d'apporter la lumière là où règne l'obscurité.
- Mais le salut de mon âme ?
- Peut-être chasseras-tu tes démons une fois que tu auras vaincu
l'obscurité... Tu auras plus de chance de trouver la paix interne au combat
qu'en te ressassant de noires pensées.
- Bien Père, je partirai donc sur l'heure.
- Que les Dieux te gardent mon Fils..."
Le moine redevenu guerrier se retourna... Il retraversa la cour du monastère
et une fois entré dans ses quartiers, ouvrit son coffre en grand. Alors,
lentement, il retira la robe de bure qui lui servait de vêtement depuis deux
longues années et enfila ses anciens vêtements. En enfilant un à un ses
habits, des images du passé ressurgissaient en lui... La cotte de maille le
ramena auprès des vils gnolls alors qu'il n'était qu'un adolescent seul et
perdu... Les jambière semblaient renfermer les esprits des milliers d'orcs
de Freeport qui avaient eut le malheur de croiser sa route. En enfilant son
casque, il vit les plaines de Karana s'étendre devant lui, à l'infini. En
ajustant les deux épées dans son dos, il se retrouva parmi une horde
d'iksars vociférant tandis que le bruit du métal contre le métal résonnait
dans ses oreilles. Enfin, en prenant son arc, il se retrouva dans le désert,
immense et colossale, pur et tueur, silencieux et pénétrant... Alors, en
regardant le fond du coffre il vit les bijoux qu'on lui avait offert
jadis... En les enfilant, il revit tous ses compagnons d'arme du temps
passé, tous les Seigneurs qui avaient croisé sa route et mélangé leur sang
au sien...
En sortant du monastère, il semblait à la fois vide et plein de vie, mort
mais ressuscité. Alors, d'un pas vif, il se dirigea en direction du soleil
qui montait lentement dans la fraîcheur du matin...
Cela faisait quelques jour qu'il avait quitté le monastère et lorsqu'elle
apparu devant lui, éblouissante sous le soleil au zénith, il ne put
s'empêcher d'avoir un pincement au coeur... Il n'avait pas vu la mer depuis
deux longues années et voilà qu'elle s'étalait face à lui, infini, bleu avec
des reflets jade, impétueuse et recelant une énergie colossale...
Après quelques minutes de contemplation, il se dirigea vers ce qui semblait
être un petit port à quelques lieues de là... Il marchait depuis des jours
mais il ne s'en rendait pas compte. De plus il avait marché tout sa vie
durant et la fatigue ne le gagnait jamais. D'ailleurs on l'appelé
Pied-Rapide, là-bas, de l'autre côté de l'océan...
Alors d'un pas allègre il entra dans le village... C'est un petit bourg
paisible, avec quelques habitation et au bout d'une rue étroite, on
débouchait sur un petit port où étaient accosté une ou deux barques...
Hélant un pêcheur occupé à aiguiser ses hameçons, il lui demanda quand
arriverai un bateau en direction du continent voisin...
"Un' bon' heure, j'dirions mon brav' maît'...
- Merci mon brave..."
Il s'assit donc sur le quai et, pour occuper au mieux cette heure à
attendre, il se mit à méditer... Ce ne fut que des cris qui le sortirent de
son état second, quelques temps plus tard... Un grand voilier était
maintenant amarré et il semblait que le capitaine l'attendait pour mettre le
cap sur le vieux continent... Le jeune guerrier se releva prestement et
sauta sur le pont, non sans avoir donné au passage une piécette au capitaine
du navire.
Le bateau n'avait que peu de personnes à bord... Un vieux druide hobbit,
deux jeunes paladines humaines et un mage érudit semblant très imbu de sa
personne. Le bateau, dans un grincement, se détacha du quai et s'éloigna de
la terre.
Les jours passaient inlassablement et le guerrier passait son tend soit à
méditer, soit à prier les Dieux, soit sur le pont à respirer les effluves
salées de la géante bleue s'étalant à l'infini, écoutant le bruit des vagues
s'écrasant sur la coque, inlassablement... Il prenait ses repas avec les
autres voyageurs, mis à part le mage qui semblait vouloir rester seul. Ses
compagnons étaient fort sympathique, le druide par son esprit jovial et
bon-vivant et les paladines pour leur dévotion à Mithaniel et leur désir de
découvrir le monde... Elles n'avaient de cesse de questionner le druide et
le ranger sur les contrées qu'ils avaient déjà vu. Le guerrier se portait
volontiers à raconter des histoires, ce qui le changeait de la méditation et
lui rappelait le temps ou on le disait barde...
Enfin, après plusieurs jours de voyage, le bateau accosta à une grande
ville. Les voyageurs se séparèrent, chacun partant dans une direction
différente, et le jeune ranger se retrouva seul. Alors, il traversa la ville
qu'il connaissait fort bien, il passa sous la porte Est et, après avoir
marché quelques minutes, il se retrouva là où son esprit venait toutes les
nuits depuis deux ans. Il s'assit en tailleur, insouciant des créatures
environnantes, admirant le désert s'étendant devant lui.
Il était revenu chez lui.
Vie au Monastère (suite)
La salle était vide. C'était une grande salle froide avec quatre piliers
soutenant la charpente et aucun meuble ne donnait un semblant de vie à cette
pièce.
Il n'y avait qu'une grande statue à l'un des bouts de la salle, représentant
une Déesse au bras écartés te portant dans ses mains une fleur et une arme.
Le travail était très précis et si ce n'est l'aspect gris foncé de la
pierre, on aurait pu croire à une véritable personne. Face à la statue se
trouvait une autre statue, plongée dans l'ombre. On reconnaissait vaguement
un être assis en tailleur, méditant face à la Déesse.
Non, ce n'était pas une statue mais bel et bien un prieur qui ne bougeait
pas d'un cil, plongé dans une méditation profonde. Il portait la robe des
moines que tous portaient dans le monastère et une courte barbe courait sur
son menton. Il n'était pas vieux, pourtant de fines rides striaient aux
coins de ses yeux clos.
Derrière le prieur, l'unique porte s'ouvrit, laissant entrer une grande
quantité de lumière qui vint irradier la statue maintenant nimbée d'un halo
lumineux.
Un moine traversa la salle sans faire de bruit et, se penchant au-dessus de
l'homme en méditation, dit :
"Le père supérieur désire vous voir, frère."
L'homme assis ne bougea pas, mais le moine reparti sans attendre de réponse,
replongeant la pièce dans son obscurité.
Après quelques secondes, les muscles des bras et des jambes de l'homme
frémirent sous l'effort après des heures de relâchement. Les paupières
s'ouvrirent, révélant de profonds yeux marrons. Le méditeur décroisa les
jambes et se releva, difficilement...
Il était grand, pour un moine, et avait une carrure impressionnante, du
moins pour un humain. Claudiquant, il se dirigea vers la porte et l'ouvrit
en grand.
La lumière le frappa d'estoc et il plissa les yeux pour éviter le coup
violent que lui portait le soleil.
Il resta là, sans bouger, pendant quelques minutes, laissant sa vision se
réhabituer à la lumière après cette éternité dans la nuit de la salle de
prières. La cour du monastère regorgeait de vie, entre les moinillons qui
faisaient une pause entre deux leçons, les moines discutant debout par
petits groupes ou assis sur des bancs de pierre et les animaux qui vivait en
liberté dans la cour et qui faisaient un raffut du diable...
Le moine vacilla sous l'afflux soudain de tant de bruit. Puis, une fois
accoutumé à la lumière et au vacarme, il se dirigea vers la petite chapelle
de l'autre côté de la cour. Les portes étaient ouvertes et illuminaient
l'intérieur, pourtant les cierges étaient encore allumés.
Passant entre les bancs de bois, le moine traversa la courte allée menant à
l'autel sur lequel étaient posés des statuettes de plusieurs Dieux. Après
avoir saluer ceux-ci, il se dirigea vers un porte basse dans un angle de la
chapelle et entra dans une petite pièce ou régnait un désordre composé de
parchemins et de livres. Un petit homme trônait sur une chaise de paille
derrière une pile recueils de prières.
"Ha, Frère Baeandor, vous voilà... Que vous avez l'air fatigué. Il faut
penser à manger et à dormir, prier les Dieux jours et nuits est une bonne
chose mais les Dieux n'apprécieraient pas de voir leurs créatures se laisser
mourir à prier...
- Bonjour Père Dafyd."
Le père supérieur était un petit homme au visage blafard qui bien qu'ayant
été un grand bâtisseur de temples et de chapelles dans sa jeunesse, était
maintenant un grand érudit qui connaissait une étonnante quantité de livres
saints.
"Mon Fils, que savez-vous du reste du monde ?
- Depuis que je suis parmi vous, je ne m'intéresse plus guerre au monde
extérieur et les seules nouvelles que j'ai sont celles que me portent les
vents.
- Et que vous disent les vents ?
- Les vents m'apportent des senteurs de sang et des bruits de batailles, mon
père.
- C'est tout ?
- Non... Je ne devrai pas l'avouer mais ils m'apportent aussi les visages de
mes anciens compagnons, les senteurs de contrées lointaines et de l'océan,
le cri des loups au loin et de multiples vieux souvenirs...
- Vieux ? Cela ne fait qu'un an que vous êtes parmi nous, mon Fils...
Quoiqu'il en soit, les vents vous ont bien parlé. Une guerre se prépare, une
grande guerre, qui pourrait plonger beaucoup de monde dans le noir et le
chaos.
- Alors je vais retourner prier pour éviter qu'il en soit ainsi.
- Non, répondit sèchement le père supérieur, vous n'allez pas retourner
prier, laissez cela à d'autres moines n'ayant jamais pris les armes. Vous
servirez mieux les Dieux en allant au combat qu'en priant ici...
- Vous me chassez une fois de plus, Père ?
- Je ne vous chasse pas, j'utilise au mieux les talents que m'envoient les
Dieux. Vous êtes un guerrier, frère Baeandor. Vous êtes un guerrier avant
d'être moine, si bien que je préfère savoir que des guerriers comme vous
défendent la lumière plutôt que prient dans une salle de prière mal
éclairée...
- Très bien, je laisse votre sagesse dicter ma conduite et partirai sur
l'heure.
- Merci, Frère Baeandor, puissiez-vous revenir sain et sauf.
- Merci, mon Père."
Le moine ressortit de la chapelle et se dirigea vers les quartiers des
moines. Comme la vie était répétitive... Toute sa vie n'était qu'une
répétition de faits. Mais après tout, le Père avait raison, il était
guerrier avant tout. Arrivé devant son lit, au pied duquel se trouvait un
coffre, il retira sa robe de bure. Ouvrant le coffre, il en tira sa vieille
tunique, qu'il n'avait pas porté depuis un an. Il l'enfila et prenant ses
armes, ressortit à la lumière du jour, dans la cour.
Sans savoir pourquoi, il écarta les mains et commença à les agiter, leur
faisant effectuer un ballet gracieux. Les moinillons qui jouaient dans la
cour arrêtèrent de chahuter et le regardèrent faire. Une lumière bleuté
jaillit des doigts du guerrier et le nimba d'un halo lumineux sans cesse
plus aveuglant. Les anciens réflexes lui revenaient et la magie se faisait
pratiquement d'elle même. Ses mains continuaient à danser tandis qu'au loin
un loup hurla. La lumière décrut enfin autour de lui et se retira, pourtant
il sentait une force colossale envahir ses jambes : l'esprit du loup était
sur lui. Rassemblant ses forces, il parti en courant, se dirigeant vers
l'ouest, sans même jeter un regard sur le monastère qui disparaissait petit
à petit derrière lui.
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