La rébellion glorieuse du système des 10% ! (info # 012102/3)
Par Ilan Tsadik © Metula News Agency
Vendredi dernier, je n’ai pas bien dormi. Vers cinq heures du mat, brouillé définitivement avec Morphée, j’ai décidé d’allumer mon poste de télévision. En transit de zapping vers Fashion TV, sur laquelle j’entendais tuer le temps en me rinçant l’œil sur les courbes des créatures de rêve, mon attention fut happée par un documentaire en voie de diffusion sur France 2.
C’était sur l’Irak. De vrais journalistes avaient introduit une caméra insidieuse dans l’enceinte du palais des expositions de Bagdad. Cela se passait à l’automne dernier, en plein débat sur l’à-propos d’entreprendre une action armée contre le régime de Saddam Hussein.
On y voyait, entre autres et sans complaisances, des commerciaux français en train de vendre leurs produits aux généraux de Bagdad. L’une des transactions tournait autour de la vente par la Régie Renault de 5.000 camions à la dictature en place.
Les entremetteurs tricolores, qui semblaient ignorer que l’Irak était soumise à un embargo par l’ONU, expliquaient qu’ils réservaient systématiquement une commission de 10%, sur chaque transaction, qui était directement virée sur le compte de Saddam. Ils expliquaient encore, que leur but consistait à faire marcher leurs usines et à coiffer les nombreux concurrents étrangers, à l’exception de toute autre espèce de considération.
Le reste du reportage était de la même veine – du genre devenu rare où le téléspectateur peut vraiment comprendre ce qui se passe au Bagdad bazar –, sobre et sans effets de foire. Pas étonnant que cette émission ait été programmée au petit matin, à l’heure où personne ne regarde la télé !
Vous imaginez l’effet dévastateur sur le moral des troupes, lorsqu’à peine quelques heures plus tard, de Villepin bassinait le Conseil de Sécurité avec la France des valeurs, avec l’éthique de la France. 10% pour le gazeur des bébés kurdes, pour le lanceur de Scudds, pour l’homme à la Winchester, sur les camions de la régie publique… elles n’auraient pas eu fière allure, les valeurs de la France !
Le service public avait bien fait son œuvre, au contraire, qui avait réuni pour commenter le discours de de Villepin des plateaux entiers de cireurs de pompes. On se serait cru revenus au bon temps du gaullisme, avec des figurants aux titres redondants, qui crachaient tour à tour sur les Ricains. A voir ces misérables mises en scènes, il semble bien que les médias français ont décidé de faire l’impasse sur une caractéristique habituelle des débats modernes : la contradiction !
Et à quoi pourrait-elle bien servir, la contradiction, puisque tous les partis politiques français, dans un élan unanime qui ne les étonne pas, pas plus qu’il ne les fait marrer, sont unis dans une même compréhension des choses. Non à la guerre contre l’Irak ! De Le Pen à Olivier Besancenot, en passant par Strauss-Kahn et Fabius, par la Maison bleue, les Verts, les autres Verts, les Bruns, les Rouges et les Arcs-en-ciel, tous derrière le visionnaire Chirac, convoient exactement le même message. Cette fois, ça n’est pas 80% des suffrages que Jacquot recueillerait, c’est 100%. Un nouveau grand pas vers la démocratie et la fraternité a été franchi sur cette vieille terre de France : l’unanimité ! Et dire qu’ils ne sont même pas forcés de suivre Chirac, comme les Irakiens durant les dernières élections présidentielles…
Ce qui m’inquiète, en plus du fait que je trouve un immense danger à vivre dans un pays où tout le monde et tous les médias font la même analyse baroque des choses, c’est que cette unanimité, en plus, a pour objet d’essayer de sauver la culotte de l’un des plus sanglants personnages de notre époque. Je ne vais pas me transmuer soudainement en moraliste, car je ne suis pas plus à l’aise dans cette discipline que dans mes chroniques spatiales, mais il me semble que la couche d’intellectualité qui enduit cette mobilisation nationale contre la guerre en Irak est superficielle et friable. Elle démontre que le tremblement de terre qui a secoué France durant ses dernières élections présidentielles n’était pas une sismique éphémère mais que cette mobilisation confirme, au contraire, l’existence d’une affection largement métastasée dans le fondement politique de la République. Merci à Chirac pour sa conduite égocentrique des affaires de l’Etat, merci au nombrilisme uniformisant et lobotomisant des acteurs politiques de l’hexagone et merci aux médias, qui ont lentement sombré dans une servilité intellectuelle, subjective et raciste, au service des présidents en place. Je n’avais pas tout pigé, lorsque Juffa avait tiré la sonnette d’alarme, il y a longtemps déjà, en s’inquiétant de ce que la profession toute entière avait contribué à cacher, des années durant, la double vie et la maladie du président Mitterrand. Une presse qui agit ainsi est capable, globalement, des plus extrêmes compromissions, écrivait-il, des cabales les plus épouvantables. J’avais pas pigé ! Je refusais d’imaginer que la pensée unique, aidée en cela par les barbouzes au service de l’Elysée, avait pu pousser l’écrivain anarchiste – mais pas plus idiot qu’enferré dans la Compromission nationale de l’esprit – Jean-Edern-Hallier à faire une chute mortelle… à bicyclette.
C’est parce que l’enduit minuscule d’intellectualité pacifiste qui sert de mouchoir à la rébellion nationale française est aussi dénué de moralité et même de réflexion authentique, qu’il n’y a d’attrait érotique dans la culotte de la reine d’Angleterre ! La levée de boucliers unanime à laquelle on assiste ces jours a pour objet de cacher aux Français le prurit qui ronge la République par les pieds. Elle a, par exemple et pour effet immédiat, de condamner la population irakienne à continuer de subir une dictature de oufs, dans laquelle on teste les armes chimiques et bactériologiques sur les prisonniers politiques et sur les débiles mentaux. L’idéologie chiraquienne – il s’agit encore d’un euphémisme cynique de ma part – procède en fait d’une application affairiste de la pire espèce. D’une compromission abyssale ! Elle s’appuie simplement sur le fait qu’il est plus aisé – et surtout plus économique - de fourguer 5.000 camions à un tyran, moyennant un bakchich servant à maltraiter son peuple, que de vendre cent voitures dans un système démocratique soumis à la concurrence du marché. Il n’y a encore que les couillons qui manifestent avec trois petits banderoles et les partisans du tout à l’Islam, unis dans une démarche infernale dont ils ignorent la portée, pour se plaindre de la malnutrition et du manque de soins hospitaliers dont souffre si durement la population irakienne. Il n’y a que lesdits couillons pour ignorer, ou pour feindre d’ignorer, qu’avec la dîme reversée à l’expo de Bagdad, tous les Irakiens mangeraient largement à leur faim et qu’aucun bébé de Mésopotamie ne décéderait par manque de soins. Et qu’est-ce Bush a-t-il à voir, je vous le demande bien, dans ce détournement de moyens, alimenté, entre autres, par le système chiraquien ?
Demandez ce qu’ils en pensent aux Libanais, victimes de la même martingale ? Hariri, avec le soutien instrumental des industriels français et de leur président, a tué le Liban. Ils l’ont endetté en le gavant d’infrastructures bien au-dessus de ses moyens et souvent, dont il n’a même pas l’utilité ! Le Liban est un canard au foie énorme, qui ne peut plus marcher et dont les habitants ont financé l’engraissage à leur corps défendant. Un canard rongé par toutes les vermines, qui n’a plus la force de veiller sur ses intérêts.
Le rendez-vous des présidents africains et de France, ouvrant sur une déclaration unanime de soutien à la rébellion chiraquienne, qu’est-elle, sinon l’extension méridionale du même système, de la même dynamique. Depuis le temps que dure la collaboration franco-africaine, a-t-on vu un seul Etat d’Afrique sortir du paupérisme endémique, de la corruption, du sous-développement et de l’autocratie ?
Le titre de la réunion est rigoureusement précis, pour une fois, s’agissant de la rencontre de ceux qui construisent leur fortune par la force, en pillant les Africains de toutes leurs ressources, avec la reconnaissance et le soutien de l’Elysée. Et qu’importe, si Robert Mugabe est un autre tyran, auquel on a interdit de fouler le sol européen ? Chirac lui garantit, lui, l’impunité et les honneurs, dans un geste de défiance public qui marque bien le sens de sa politique : Dans la tradition gaullienne, on traite avec les régimes en place !
Et dans cette dialectique, la France d’en haut, celle qui est toujours soumise aux interprétations d’un monarque, même s’il est élu démocratiquement tous les cinq ans, cette France, disais-je, marque son dédain pour le sort des peuples asservis par ses partenaires autocrates.
Tant pis pour l’humanisme, tant pis pour le droit du peuple irakien a vivre dans les mêmes conditions que celui de France ! On n’a que faire, à l’Elysée, de l’entrechoc des civilisations, de l’incompatibilité des valeurs entre le panarabisme et l’occident, ni même de la volonté affichée du premier à supplanter le second. Dans cette logique, le terrorisme est affaire de relativité, puisqu’on peut même se permettre de classer le Hezbollah parmi les composants sociaux importants de la communauté libanaise et convier son leader aux fêtes de la Francophonie…
Et pour servir ce système, on a besoin de médias serviles. Comment vendre des camions aux généraux de Bagdad, si vos journaux décrivent sans arrêt les crimes qu’ils commettent ? Comment construire une cité commerciale aussi gigantesque qu’inutile au cœur de Beyrouth, si vos télés montrent la répression quotidienne infligée aux Libanais et aux défenseurs des droits de l’homme par l’occupant syrien ?
Alors on leur a appris la bidouille, l’art des nuances, l’embrouille, le silence, la cécité et la désinformation. Alors, on a favorisé l’avènement d’une génération de plumitifs pas très fut-fut et surtout autocensurés, qui croient, sans réfléchir, que les soldats israéliens sont entraînés à tuer les petits Mohamed A-Dura – c’est vrai qu’on ne leur achètera jamais 5000 camions d’un coup ! - et qui font semblant d’être outrés lorsqu’on leur montre qu’ils ont tort. C’est à la place de montrer aux Français les vrais Mohamed A-Dura, qui meurent vraiment et par milliers, à Bassora, à Tripoli, à Sidon, aux Somalies, à Harare, à Braza, à Alger, à Abidjan ou à Bouja. On est même arrivé au point où ces déviances on généré l’enduit minuscule d’intellectualité dont je parlais plus haut et qui est un symptôme du naufrage corps et biens d’une élite entière ! Un naufrage dont l’entièreté est la réplique de son unanimité.
L’intelligence de la France est à vendre. Il y a même une remise de 10% pour ceux qui savent fermer leur gueule !