Il la regarde. Elle le regarde.
Il voit ses yeux, la lumière qui les habite, le maquillage autour, le rimmel sur ses long cils - ils battent -, le dessin de sa bouche, rouge et brillant, ses cheveux en cascade souple, le diamant qui perce la chair de son lobe gauche, la blancheur du cou, la vie honteusement devinée sous la soie claire du chemisier trop peu ouvert.
L'image, si belle et si nette qu'elle en devient incisive, traverse le vide qui la sépare de lui, à la vitesse de trois cent mille kilomètres par seconde, pour forcer la cornée, déjà déviée, s'engouffre sans frein à travers l'iris en un parcours oblique dans la rétine, focalisée, transmise par l'excitation neuronale le long d'une autoroute bio-chimique qui l'introduit dans son cerveau, mais inversée, la bouche rouge au milieu du front, à la place de la bouche son regard éclatant.
Ses yeux lui brûlent.
A l'envers ? Ce n'est pas dans le bon sens. C'est n'importe quoi ! N'importe comment ! Quelque chose ne va pas. Elle continue à entrer en lui, suivant le même chemin, dans le même ordre, ou désordre, le plus vite qu'elle peut, et lui fait le même voyage, inversement, vers elle, il ne peut se retenir, il est parti, il traverse sa pupille qui se verrouille sur lui, elle le capte, s'empare de lui, le garde, le regarde, il ne s'appartient plus, elle le vole et le retient.
Ses yeux le brûlent.
Mais l'oeil crevé d'Odin est éteint, empalé sur un poteau, en bordure du parking. Du haut du mirador, l'haruspice électronique le renverse à son tour, étale, tête en bas, ses entrailles exposées dans la chambre hermétique pour y fouiller vérité et augure, en vain, car il ne reste plus rien. Elle a tout pris, tout enfermé à l'intérieur de ses yeux où la lumière a disparu, ne lui laissant qu'une partie mutilée de son existence, restée derrière la porte, close pour lui.
Ce morceau d'âme arraché par elle, qu'elle confine en chambre froide dans l'obscurité de son être, le fait souffrir d'une manière intolérable. Elle veut le faire souffrir ainsi tout ce temps ? Ce n'est pas admissible ! Son regard s'est refermé sans égards sur ce qu'il avait de plus cher, plus précieux que tout, il veut reprendre ce qui est à lui d'un droit légitime, son oeil brûlant s'extrait de la tombe pour la saisir elle, sa soeur assassine, elle se détourne, s'échappe, ses mains la retiennent, ses doigts crispés au désespoir s'avancent vers son visage, s'enfoncent sous les paupières fardées, transpercent la sclérotique, pénètrent plus avant, fouillent à la recherche des débris qui lui manquent ses orbites dévastées, une bouillie sanglante, du khôl rouge, qui rejette des rivières de sang sur ses joues blanches comme le marbre, se répandent sur le bitume du parking.
Elle n'est pas vivante, comment peut-elle pleurer ? Pourquoi pleure-t-elle ? Elle pleure des larmes de sang pour le rachat de nos pêchés.
- M l'Aveugle.
Hum...
Comment ça, c'est trop long ? Comment ça je suis pas dans le ton ?
Je ? Quoi... Je sors ?...