Très vaste sujet qu'est celui de la mémoire ; tu fais bien d'enrichir ton sujet de questions précises.
Tout d'abord le fait d'avoir wikipedia à disposition a-t-il réellement modifié nos habitudes ? A-t-on tendance à moins retenir des connaissances encyclopédiques sous prétexte qu'on pourra les retrouver sur ce site ?
Wikipedia n'est à mon sens qu'un outil qui nous est contemporain, à la manière de la très ancestrale bibliothèque déjà à disposition de nos ancêtres. Avoir des ressources intellectuelles à notre portée et pouvoir facilement les consulter ne nous prive pas de notre jugeote : c'est la façon dont nous faisons usage de ces ressources, et l'habitude (bonne ou mauvaise) que nous développons auprès d'elle, qui catalysent les enjeux relatifs à la mémoire.
La connaissance encyclopédique gagne-t-elle de toute façon à être apprise dans son intégralité par chacun ? D'aucun pourrait arguer que les encyclopédies existent précisément pour nous éviter le devoir de mémorisation de toutes les strates de la connaissance disponible à l'Homme. Sommes-nous capables de retenir dans notre cerveau l'intégralité de cette connaissance encyclopédique ? À quoi bon, et fut-ce au moins le cas à une époque ? Le cerveau ne se donne pas vraiment de "prétexte" en fin de compte : si tu veux apprendre, tu dois accomplir
un travail de mémorisation (encodage et stockage), et qu'il s'agisse de Wikipedia ou du bon vieux manuel que nos doigts délicats contemplent du toucher, l'un et l'autre rendent à mon avis cette opération possible.
Le "déclin en société" se trouve plutôt de nos jours du côté de la concentration, devenue plus difficile en raison de l'hyperstimulation dont nous sommes quotidiennement sujets. C'est clairement une problématique connexe, le tout appartenant à la psychologie cognitive, mais je préfère ne pas dévier pour rester sur la mémoire.
Dans la même veine, supposons qu'on ait une information à retenir. On peut soit décider de la retenir de tête, soit de la noter. Est-ce que le fait de la noter va améliorer le souvenir de tête, parce qu'on l'a écrit de notre propre main, ou bien est-ce qu'on va avoir tendance à oublier plus facilement une fois écrit car on sait qu'il suffira de relire l'info ?
Ce que tu appelles le "souvenir de tête" est voué à disparaître après quelques secondes, le temps justement d'être traité. J'ai en tête le cas de la prise de note d'un numéro de téléphone : ce n'est pas l'écrire qui va te faire l'oublier, c'est plutôt le fonctionnement de la mémoire qui est tel que tu ne retiendras pas ce numéro si tu n'effectues pas un moindre effort de mémorisation.
Je vulgarise énormément les travaux de Baddeley et Hitch en la matière : il faudrait te parler de boucle phonologique, d'administrateur central, ou plus simplement de te schématiser l'idée de la mémoire de travail dans l'économie de la mémorisation. Baddeley (2002) a notamment développé un modèle considérant la mémoire de travail comme une phase de stockage
temporaire auprès de laquelle se greffent plusieurs systèmes.
Concrètement, tes deux questions rejoignent la problématique unique de la manipulation des informations par le cerveau au moment où il est question de leur traitement et/ou de leur mémorisation. Une fois la donnée notée, il n'y aura plus aucun intérêt de mobiliser la mémoire de travail à ce sujet : d'entrée de jeu, cette information n'était destinée qu'à être temporairement stockée, l'écriture n'est pas fautive. Le reste dépendra de l'allocation de ton attention (au moment où l'information vient à toi, principalement) et de ta concentration.
Y a-t-il des méthodes naturelles (genre des vitamines en particulier, le sommeil, ou toute autre solution naturelle) qui permettent d'améliorer sa mémoire ? Est-ce qu'on va faciliter en même temps le souvenir de vieilles idées déjà stockées et l'apprentissage de nouvelles idées ?
Je préfère ne pas m'aventurer dans le secteur de l'alimentation stimulant la mémoire, à la fois parce que je n'ai aucune conviction personnelle à ce sujet mais aussi parce que je ne possède pas assez de données pour en discuter. J'imagine que des études de la décennie précédente préconisent de bons apports en glucides.
D'emblée et parmi les éléments les plus à portée, je pense le plus simplement du monde à
la mnémotechnie : comme son nom l'indique, le travail de mémorisation ne doit pas systématiquement se montrer linéaire et tu peux tout à fait varier les plaisirs dans ton apprentissage. Associer des idées, mobiliser les notions déjà sues pour y greffer des données nouvelles, tout cela peut faciliter le travail de mémorisation.
"L'amélioration" de la mémoire est par contre un bien grand mot. Correctement dormir et respecter son cycle biologique aura-t-il un impact sur la qualité de la mémorisation ? Certainement ; ce sera en tout cas au moins d'une contribution indirecte au niveau de la concentration notamment. Jeu de lexique oblige, il faudra par contre prêter une attention particulière aux mots employés : dans notre cas, tu ne poses pas tant la question de l'amélioration de la mémoire que celle de l'amélioration de son
encodage. Il existe bien des stratégies pour faciliter ce dernier, la mnémotechnie évoquée plus tôt n'en étant qu'une parmi d'autres, et il faut bien sûr souligner la notion de préférence individuelle à ce sujet.
Comment vieillissent des données enregistrées ? Supposons qu'il y a 5 ans j'écoutais une chanson en boucle et je la connaissais pas coeur. Je l'écoute pas depuis 4-5 ans. Est-ce que si je la réécoute je me souviendrai des paroles entièrement ? Si non, est-ce que le réapprentissage sera juste un peu accéléré ou très largement accéléré ? Je dis des paroles de chanson mais c'est valable pour autre chose, genre langue qu'on pratiquait plus ou quoi.
Je voudrais faire montre de beaucoup de prétention si je pouvais répondre à cette question en un seul paragraphe. La façon la plus adroite de te l'expliquer serait de te dire qu'à ce sujet il ne faut pas parler de mémoire au singulier mais bien au pluriel : il existe différentes situations de mémoire et celles-ci vieillissent de façon très hétérogène, avec selon certaines études un degré de priorité. Et je ne parle là que du vieillissement normal : lésions cérébrales et autres accidents du cru peuvent bien évidemment affecter une mémoire plus qu'une autre. Dès lors, tu l'as compris, tout dépendra de ce qu'est concrètement "la donnée enregistrée" : appartient-elle à la mémoire sémantique peut-être, à la mémoire procédurale sinon ? L'apprentissage du vélo sera une automatisation (notamment motrice) s'ajoutant à la mémoire procédurale, l'apprentissage des paroles d'une chanson relèvera plutôt de la mémoire verbale.
Pour le cas particulier que tu donnes, tu vas solliciter dans tous les cas le processus de
récupération de ta mémoire. Il semble varier selon les types de mémoire. Il existe tellement de facteurs à prendre en compte que je me dois à ce stade de donner ma langue au chat, au risque sinon de dire des bêtises. D'aucun pourrait arguer qu'apprendre une poésie par obligation un beau jour et la restituer dix ans plus tard sera bien plus difficile que de récupérer dans sa mémoire les paroles d'une musique que l'on adore mais dont on n'a plus chanté les paroles depuis dix ans. Le contexte de l'encodage semble prévalent (qualité de l'attention, état émotionnel), les stratégies utilisées également (apprendre une musique sur le tas, par répétitions sur une même période
VS apprendre une musique en consultant ses paroles, en l'écoutant, et en consolidant plusieurs fois cet apprentissage sur plusieurs semaines d'écoute).
Il est encore assez largement admis aujourd'hui que la mémoire à long terme dispose d'une durée de vie illimitée mais qu'elle n'est pas à l'abri de la maladie ni de l'oubli, ce dernier étant généralement causé lorsque l'information mémorisée n'est pas traitée de façon optimale.
Quant à la qualité du "réapprentissage", je pourrais arguer que cela dépend là encore de la qualité de ton encodage puis de la consolidation de la donnée mise en mémoire : en d'autres termes, si tu avais déjà du mal à l'époque à restituer l'information, les années passées ne vont certainement pas t'aider. Par contre, avec de bonnes "bases" autrefois, renouer avec les éléments mémorisés sera facilité. Cela ne veut pas pour autant dire qu'il s'agira d'un jeu d'enfant : avec les années, tu auras appris beaucoup d'autres choses et les paroles de cette chanson particulière n'auront plus la prévalence d'autrefois. C'est là que se jouera un temps où tu devras progressivement renouer avec cette information.
Est-ce que notre mémoire va être plus performante suivant les domaines ? Par exemple on aurait plus de facilités à retenir les paroles d'une chanson qu'une compétence (genre faire du vélo), ou alors plus de facilité à retenir une chanson dans sa propre langue que l'anglais (même si on le comprend très bien) ou encore plus de facilités à retenir des savoir théoriques ou pratiques, ou bien est-ce que notre cerveau a tendance à être plutôt homogène là dedans ?
Je relèverai une fois de plus l'importance de la prise en compte des différentes cognitions : la mémoire, l'attention et l'apprentissage sont évidemment interdépendants. Ils interagissent copieusement et tout ne peut pas se limiter à "la qualité de la mémoire".
On dit de l'apprentissage du vélo qu'il ne s'oublie "jamais" ; je nuancerai en indiquant que la mémoire procédurale ici mise à l'épreuve est d'une meilleure fiabilité que la mémoire épisodique ou la mémoire sémantique. Pour la facilité initiale dans l'apprentissage de la langue natale, on part plutôt sur de la psychologie du développement avec l'enjeu de l'apprentissage des phonèmes durant l'enfance ; j'ai à cœur de me souvenir également de cette étude relevant que le nouveau-né pleure selon les intonations de la langue pratiquée par sa mère. Il n'y a donc pas à proprement parler d'homogénéité dès le départ, puisque rien ne concerne réellement "que" la mémoire.
J'ai un peu vulgarisé mon message en employant un burin, mais j'imagine qu'un professionnel pourra passer après pour nettoyer mes horreurs. J'espère néanmoins t'avoir un petit peu aidé en répondant dans l'ordre à chacune de tes questions !
Ninja-edit :
En gros... Après tes questions sont un peu fouillis, donc si t'as un truc précis réellement je veux bien essayer d'y répondre, mais sinon, ça va faire vraiment grosse pavasse infâme, et les cours/articles sur le net seront à même de t'expliquer les bases.
Je suis d'accord.
Plus sérieusement, n'hésite pas à appliquer des corrections auprès de mon message si certaines lacunes te sautent aux yeux, je n'ai vu apparaître ton message (d'ailleurs très pédagogique) qu'après avoir complété le mien. On a bien affaire à de la "pavasse infâme" et l'heure tardive ne doit pas aider à rendre les choses plus claires ou plus correctes. Je me suis efforcé de suivre de la documentation spécialisée du coin de l'œil et dont j'avais déjà connaissance, mais j'ai peut-être manqué une révolution scientifique ces dernières années - je ne plaisante même pas.