Dans les années 1980 les extrémistes de gauche et de droite confondus ont fait des dégâts considérables. Mais il s'agissait d'occidentaux qui se radicalisaient au nom d'idées occidentales. Il n'y avait pas du tout de phénomène de rejet de ces personnes en tant que telles.
Il n'en est pas de même pour les exactions commises par ces groupes qui se réclament de l'Islam dans les pays où ils sont actifs. Elles suscitent des réactions beaucoup plus fortes parce qu'elles sont le fruit d'une démarche politique fondée sur des idées qui ne viennent pas de chez nous.
En Afrique il y a eu des conflits beaucoup plus meurtriers. Et les exactions commises là-bas étaient tout-à-fait du même ordre que celles commises par l'EI ou d'autres groupes qui se réclament de l'Islam. On parle de 4 millions de morts au Congo entre 1998 et 2004, ce qui fait de ce conflit de loin le plus meurtrier de ces 20 dernières années. A l'époque on en parlait du bout des lèvres dans la presse et je ne serais pas étonné qu'il y ait des gens qui ne le savent même pas aujourd'hui.
L'indifférence vis-à-vis des tragédies africaines s'explique simplement par le racisme plus ou moins inconscient de la communauté internationale et de l'opinion publique : il est admis que l'Afrique est le continent des famines, des guerres civiles et des massacres, tout ce qui s'y passe d'atroce est donc normal, surtout si cela y reste confiné. C'est "loin" et ce sont des noirs qui se massacrent entre eux, on y comprend rien, et les Hutus n'ont jamais dit qu'une fois éliminés les Tutsis, ils iraient à la conquête du monde (idem pour tous les autres cas depuis l'indépendance des pays africains).
Le terrorisme d'extrême-gauche ou d'extrême-droite, à l'exception de l'Italie, n'a jamais pris les apparences d'un terrorisme de masse. C'étaient de grands patrons, des généraux qui étaient visés. Les organisations terroristes qui étaient derrière ces attaques étaient de très petite taille, isolées, sans soutien. Bref, un simple problème de police.
Al Queda, les Talibans, les Shebabs et maintenant l'EI, c'est différent : c'est une internationale terroriste, qui bénéficie de soutiens innombrables au sein du monde musulman (va falloir arrêter avec le coup de l'infime minorité... leurs sondages sont certes en baisse, mais reste terriblement élevés pour des groupements d'assassin), qui s'appuie sur une lecture historique (c'est à dire une manière de lire qui existe depuis des siècles) du Coran, sur une idéologie et des valeurs bien plus "hypnotisantes" que l'extrême-gauche (le matérialisme historique vs les vierges du paradis ; l'avant-garde du prolétariat vs les guerriers de dieu... quand on parle aux testicules et à la testostérone d'un jeune homme, on capte plus facilement son attention que quand on s'adresse à son néocortex). Enfin, ces mouvements affirment nécessairement une volonté de domination mondiale et de destruction de l'Occident.
Avec Daesh, on a la totale : hyper-violence, utilisation des médias modernes, pétrole, soutiens partout dans le monde, esclavage et viols des femmes issues des minorités religieuses, construction d'un Etat symbolique, répétition de la geste des conquête foudroyantes de l'islam des 7e et 8e siècles. Il est
évident que ce truc a toutes les caractéristiques requises pour provoquer une réaction hyperviolente des sociétés occidentales (et des autres aussi, en particulier en Inde...), surtout si son expansion au sein de la galaxie jihadiste se poursuit.
C'est presque dingue de dire ça, mais, comparé à Daesh, Al Queda est un facteur de paix. Si les Talibans ou les mouvements jihadistes en Asie du Sud et du Sud-Est changent de camps et se rallient aux idées et aux pratiques de Daesh (sans même parler d'allégeance), c'est un bain de sang qui menace.
En résumé : pour les sociétés occidentales, le danger réel est dix plus fort que dans le cas de l'extrême-gauche, et le danger "symbolique" ou "psychologique" est mille fois plus fort. L'esclavage sexuel des chrétiennes et des yazidis est un coup de génie de ce point de vue, si on considère que l'objectif de Daech est le déclenchement d'une confrontation avec "les infidèles".
Manquerait plus qu'un Sultan mégalomane s'installe à Istanbul et profite du désarroi économique de la Grèce et des Balkans pour pousser ses pions dans le Sud-Est de l'Europe...