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Avec la mort pour avenir
Outro
Une pale lueur bleutée émanait des nénuphars géants parsemant ci et là le lac. En son centre, un arbre millénaire trônait massif avec son large tronc et son feuillage bleu-violacé. Myria s'avançait lentement, prudemment tapie dans les hautes herbes vers son objectif. Arrivée au bord de l'étang, elle s'élançât soudain en courant en direction d'un groupe de grands oiseaux au plumage chatoyant. Ceux-ci, surpris par l'irruption de la jeune fille, s'envolèrent d'un même mouvement dans un bruit assourdissant de bruissement d'aile. L'adolescente, le visage dirigé vers le ciel de nuit éternelle d'Asmodea, regarda les oiseaux s'envoler en riant aux éclats. Elle tournait sur elle-même, les bras grands ouverts, en continuant à rire quand des larmes roulèrent sur la peau de ses joues blafardes :
- Le jour où tu pourras voler, jamais plus tu ne redescendras!
- Maman!!! Myria se retourna pour faire face à l'imposante stature de Lapramiz.
- Pourquoi ces larmes? Tu as bien le temps pour ça, tu es encore jeune.
- Les Daevas obtiennent leurs ailes après leur première résurrection et moi, depuis ma première mort, il s'est écoulé neuf ans!!! La voix de la jeune fille était à moitié étranglée par les sanglots. Pourquoi je ne peux toujours pas déployer mes ailes et m'envoler?
- Il ne suffit malheureusement pas de mourir puis de renaître pour que nos ailes apparaissent. Lapramiz soupira. Tu le sais, seule une épreuve particulièrement douloureuse et traumatisante peut nous révéler à nous-mêmes.
- Ha! Parce que jusque là, ma vie a baignée dans la joie et l'allégresse peut-être?! Elle fût coupée net par la réplique de sa mère.
- Justement! Tu peux comprendre que ton autre mère et moi, on ne soit pas vraiment pressées de te voir voler!!!
- ...
Une grande animation agitait la petite troupe dirigée par Sybille et sa compagne. Tôt le matin, une messagère s'était présentée au campement avec une missive portant le sceau de la Grande Matriarche elle-même, et depuis toutes les guerrières étaient en effervescence. Ici les archères taillaient de nouvelles flèches pour remplir leurs carreaux, là les guerrières passaient en revu leurs armures et armes :
- Myria? Locklann fendit la foule en direction de la jeune fille. Tu en pense quoi de cette mission? Tout le monde en parle mais personne ne sais exact...
- Dagues de lancé, OK! Venin de scorpion, OK! Extraits de belladone, OK! Aiguilles empoisonnées, OK!
- Heu... Myria? Tu me fais peur parfois!
- Hmmm? L'adolescente releva la tête de sa liste, un peu surprise de voir sa camarade. Ho, salut Locklann! Je t'ai pas entendu arriver!
- J'avais vu, merci ça fait toujours plaisir! Bref, je voulais te demander si tu savais quelque chose à propos de cette mission.
- Aucune idée! Mais on va pas cracher sur un petit bain de sang quand même! Les deux jeunes filles partirent d'un grand éclat de rire.
Toutes les femmes de l'escadron s'étaient rassemblées devant la porte du quartier de commandement. Lapramiz et Sybille se tenaient là, l'air grave et attendant que le calme se fasse autour d'elles :
- Comme vous le savez toutes, un ordre de mission d'une extrême importance vient de nous parvenir. Commença Sybille. Nous sommes mandées en renfort afin de prendre une troupe d'Elyséens à revers, tandis que nos sœurs visées tenteront une sortie...
- Et ce dans le but de prendre ces félons en tenaille! Cria Lapramiz. J'espère pour vous que vous êtes toutes prêtes car nous prenons la direction de notre forteresse dans les abysses!!!
Un hurlement de fureur salua cette mission mais, dans la foule, Myria accueillit cette nouvelle avec une grimace de rage. Elle allait devoir rester sur place pendant que, pour la première fois depuis sa confirmation, ses compagnes d'arme partiraient sans elle pour le champ de bataille.
- Hey toi! Lapramiz saisit sa fille par la taille et la jeta sur une de ses épaules. Tu viens aussi. Pas de déserteurs dans les rangs!
Elle déploya alors d'énormes ailes membraneuses noires et s'envola pour rejoindre le reste de la troupe au dessus de leur camp.
La terre d'Asmodea devenait de plus en plus petite au fur et à mesure que sa mère s'élevait à grande vitesse dans les airs. Myria ne pouvait décrocher son regard de son pays natal, elle ne l’avait encore jamais vu d'une telle hauteur et était véritablement fascinée par le magnifique spectacle qui s'étendait sous ses yeux! Le vent frais de l'altitude sifflait à ses oreilles et s'engouffrait dans sa chevelure émeraude, toute une foule d'émotions se bouscula dans sa tête, elle avait à la fois envie de rire et de pleurer, d'éclater en sanglots et de hurler de joie. Soudain, un bras puissant la tira en arrière et la fit valser haut dans les cieux!
- Allez, hop! C'est moins ennuyeux comme ça, non?
La jeune fille et sa mère éclatèrent de rire ensemble tandis que cette dernière faisait voler sa fille dans les airs :
- Arrêtez ça immédiatement! Hurla Sybille. Lapramiz, tu es inconsciente ou quoi?! Tu n'as pas remarqué l'altitude à laquelle nous étions? Et puis cessez de faire autant de bruit, on s'approche des Abysses!
Le ciel se teintait de rouge à mesure que la troupe se rapprochait du centre du monde, la tension était telle qu'elle en devenait presque palpable. Un silence de mort planait maintenant autour des femmes en rouges, toutes concentrées vers un seul et unique objectif : l'élimination de la faction Elyséenne qui menaçait leurs sœurs d'arme! La troupe se posât en silence à l’abri d'un immense rocher, Lapramiz lançât vers l'avant Myria qui fit une roulade et se relevât avec une agilité presque féline :
- Hum... Vous vous étiez entraînées toutes les deux dans mon dos je suppose!
- Mais non voyons, Sybille! Fit Lapramiz avec un sourire gêné. On n'était pas que toute les deux... Locklann aussi était là!
Avec de petits rires et sous le regard inquisiteur de Sybille, la troupe se regroupât autour des deux capitaines pour recevoir les instructions de déploiement. Avec ses capacités de se fondre dans le paysage qui l'entoure, Myria fût désignée pour s'infiltrer au plus près de l'ennemi et annihiler les veilleurs éventuels. Une poignée d'archères la suivrait à distance pour la couvrir et lancer le signal de début des hostilités.
L'adolescente avançait silencieusement en direction de sa cible, tapie dans l'ombre des rochers qui parsemaient l'énorme bloc flottant où se trouvait la forteresse. Un guetteur Elyséen se trouvait là, parcourant du regard la plaine désertique. Tout en surveillant, il se retournât et c'est ce moment que choisit Myria pour frapper. Avec rapidité, elle s'élançât droit vers lui et lui plantât une de ses dagues dans le dos. Surpris, l'Elyséen écarquillât de grands yeux mais au moment de pousser un dernier cri, un éclair d'argent lui tranchât net la gorge faisant jaillir une gerbe de sang frais sur le plastron immaculé du veilleur. Soudain, surgissant tel un diable de sa boite, un deuxième guetteur se dressât armé d'un arc, il visa Myria mais avant d'avoir put décocher sa flèche, une autre se fichât droit dans son cœur. Une des archères accompagnant la jeune fille avait réagi au quart de tour mais en tombant, l'Elyséen lâchât la corde de son arc et la flèche vint se ficher droit dans la cuisse gauche de Myria qui ne s'en rendit pas tout de suite compte. Au-dessus du groupe, une autre archère des Furies Ecarlates envoyât un trait de carreau enflammé, signalant leur position et le début du combat au reste de la troupe.
Bien évidement, le signal alerta également la troupe Elyséenne qui se mit en mouvement, fonçant droit vers les intruses. Un sorcier sortit son grimoire et commençât à incanter pour lancer un sort sur une des archères, Myria se tournât en lui envoyât droit entre les deux yeux un couteau de lancé. Elle s'écroulât en même temps que le magicien, c'est en tentant de se relever qu'elle prit conscience de la flèche plantée dans sa jambe, un halo dorée l'enveloppât alors :
- Ma fille, cria Sybille en la survolant, je sais que tu ne ressens pas de douleur depuis bien longtemps mais fait quand même attention, d'accord!
Myria se redressât tant bien que mal pour disparaître aux yeux de tous, la bataille venait de s'engager.
La jeune fille filait, rapide entre les guerriers, ses dagues se plantant ça et là dans le dos des Elyséens. Ceux pour qui le coup n'était pas mortel, s'effondraient à cause du poison qui imbibait la lame de ses armes. Le combat faisait rage quand Myria reçut un violent coup dans le dos, la propulsant par terre, quand elle se retournât un Elyséen se tenait près d'elle avec son épée levée au-dessus de sa tête. Il s'apprêtait quand il comprit que l'expression d'horreur, qui se lisait sur le visage de la jeune fille, n'était pas du à son attaque. Levant le doigt vers le ciel, Myria ne put que pousser un hurlement d'effroi, elle n'en avait jamais vu mais cette apparition ne faisait aucun doute :
- Ba... BALAURDS!!!
Et soudain la bataille changeât de visage, les anciens ennemis se retrouvèrent ramenés à un même rang, celui de proies. Tandis que l'Elyséen fixé avec épouvante le vaisseau qui les survolaient, une ombre noires immense fonçât sur lui, une énorme masse d'arme fit voler sa tête dans un ruisseau de sang :
- Pas touche à ma fille enfoiré de pigeon!!! De sa main gigantesque, Lapramiz saisit Myria par le col et la remis debout. Va te mettre à l’abri. Vu que tu peux pas voler, t'es une proie facile!
Elle fit un mouvement brusque et projeta sa fille un peu plus loin, à l'écart de la bataille.
De partout, les balaurds faisaient des ravages, avançant sans difficulté apparente au milieu des troupes des Furies Ecarlates et Elyséenne alliées temporairement devant la menace. Certains s'envolèrent en direction du vaisseau-mère pour cueillir les fantassins du peuple draconique dès leur sortie, mais cela ne fit qu'aggraver la situation. En réponse à cette tentative, les canons du vaisseau se mirent à tirer sur à peu près tout ce qui se trouvait sur le champ de bataille! Devant un tel carnage, même ceux qui pouvaient voler n'étaient plus à l'abris. Myria se décidât à sortir de son abri pour attaquer des balaurds, quitte à mourir autant emmener le plus de monde avec elle.
Un énorme Balaurd se dressât devant elle, rapide, Myria lançât un de ses poignards empoisonnés dans l'œil de son adversaire et évitât son attaque en roulant sur le côté. La bête, furieuse, s'apprêtait à frapper de nouveau quand une boule de feu d'une puissance incroyable vint le brûler vif. Se retournant, la jeune fille découvrit le visage de sa sauveuse, une Elyséenne aux longs cheveux roux. Tout d'un coup, un cri transperça le brouhaha assourdissant de la bataille :
- A terre! Vite!!!
Une paire d'ailes d'une blancheur immaculée fonçât droit sur elles et les enveloppât au moment même où un rayon vint frapper le sol à grand fracas! Myria fût plaquée à terre, soufflée par la déflagration et écrasée par le poids de la cuirasse de l'Elyséen. Elle sentit couler le long de sa tempe un liquide chaud et la dernière chose qu'elle perçut avant de sombrer dans les limbes fût les cris désespérés de la magicienne Elyséenne au-dessus du cadavre de son compagnon et une immense ombre noire et menaçante se dessinant derrière elle. Une éternité s'écoulât.
A son réveil, Myria errât l'air absente, au milieu d'un lac rouge. Une odeur écœurante, de charognes et de mort, flottait tout autour d'elle, pesante, entêtante, presque lourde et palpable. Myria avançât, sans but précis, au milieu de ce lac de sang, ça et là semblable à des îlots, les formes noires des cadavres se dissociaient de l'horizon écarlate qui baignait les Abysses, donnant véritablement l'impression que le monde tout entier qui l'entouré avait été souillé du sang des victimes de ce carnage.
Comment tout cela avait-il commencé? Elle était littéralement assaillie par un flot incessant d'images et de questions, qui s'entre-choquaient et explosaient dans sa tête sans trouver ni de sens ni de réponse. Pourquoi une mission, d'apparence si simple, avait-elle tournée au carnage? Pourquoi? Comment? Un liquide chaud ruisselait près de ses tempes mais cela faisait bien longtemps que Myria ne ressentait plus aucune douleur physique, ni sa blessure au crâne ni la plaie à sa jambe gauche ne l'atteignaient. Pourquoi tout ceci? Pourquoi elles? Et pourquoi était-elle encore en vie? Elle trébucha contre le corps inerte d'un cadavre et la dernière image qu'elle eut de ce champ de ruine fut une aile noire immense, percée d'un énorme trou béant, tordue par un ultime spasme de douleur. "Lapramiz...". Un tourbillon de souvenir l'emporta et elle perdit à nouveau conscience tandis qu'une douleur telle qu'elle n'en avait plus ressenti depuis des années lui déchira le dos.
Retrouvant connaissance pour la seconde fois, Myria se redressât tant bien que mal pour se retrouver de nouveau devant le cadavre d'une de ses mères. Comme si son esprit refusait en bloc cette image, la jeune fille tournât machinalement les yeux et, sans même s'en rendre compte, se remis en marche au milieu du silence de mort des restes du champ de bataille. Soudain son regard fût accroché par une silhouette fine et gracile empalée sur un pic rocheux, cette silhouette Myria ne la connaissait que trop bien. "Sybille...". Ses yeux s'ouvrirent en grand, mais aucune larme n'y coulât, comme si le choc du combat l'avait anesthésiée. Promenant de nouveau son regard parmi les cadavres, elle comprit l'horreur de cette attaque. Partout autour d'elle, Myria reconnaissait les corps de ses compagnes d'arme. Elle fit un pas en arrière quand elle sentit sous son pied comme des éclats de verres, baissant les yeux la jeune fille aperçut une orbe brisée tenue par une main gantée de pourpre... Une main mais pas de corps, une main portant les gants rouges brodés de Locklann!
L'esprit de Myria sembla vaciller, elle restait là, immobile et sans réaction. Elle n'entendit pas les battements d'ailes se rapprochant de plus en plus près d'elle, pas plus qu'elle n'entendit les cris des Daevas qui s'étaient posés non loin. Elle ne sentit pas leurs bras l'enlacer ni les embrassades de ses congénères heureuses de trouver quelqu'un de vivant au milieu de ce cimetière. Myria ne comprenais pas ces manifestations de joies, pour elle cette scène était totalement irréelle, elle se dégageât de leurs étreintes à la façon d'un automate mais elles la tirèrent en arrière et deux d'entre-elles la saisirent par les bras pour l'emmener dans les airs. Comme si son cerveau se réveillait soudain, Myria tentât de se dégager une nouvelle fois de leurs étreintes et tendit la main vers les corps sans vie de ses compagnes, elle voulut pousser un cri mais c'est un flot de sang qui jaillit de sa bouche tandis qu'une douleur indescriptible lui fendit le dos en deux. Pour la troisième fois, Myria perdit connaissance!
A son réveil, la jeune fille se trouvait étendue sur le ventre dans le lit d'une chambre qu'elle ne connaissait pas. Elle voulut se redresser mais la douleur de son dos se fit si intense qu'elle en perdit l'équilibre et tombât à plat ventre contre le dallage en pierre de la pièce. Elle voulut crier mais il lui était même impossible de respirer! Elle suffoquait et haletait, incapable de faire entrer de l'air dans ses poumons. S'appuyant sur un coude, elle aperçut un bandage qui lui couvrait toute la poitrine, Myria se mit à les déchirer avec ses griffes de façon hystérique. Elle rampât en direction d'une armoire dont la porte était recouverte par un énorme miroir, ses mains glissant contre la paroi lisse, la jeune fille réussit à se mettre à genou. Ses yeux se dirigèrent vers son reflet, une énorme masse noire se déployât alors derrière elle. Une masse noire et... Couverte de plume! "Le jour où tu pourras voler, jamais plus tu ne redescendras!". Un cri comme elle n'en avait jamais poussé s'échappât de sa gorge, alertant les gardes en faction dans le couloir.
Quand les femmes soldats entrèrent dans la chambre, affolées par le hurlement de Myria, elles se figèrent d'effroi et de dégoût devant les ailes de l'adolescente :
- Mais... Qu'est-ce que...
- C'est quoi ces horreurs! On dirait des ailes d'Elyséen ça!
Le visage de Myria se tournât, ruisselant de larme vers les deux femmes en rouges qui venaient d'entrer. "Le jour où tu pourras voler, jamais plus tu ne redescendras!". Elle se figeât d'horreur devant l'air écœuré des soldats, comme si tout son corps était pris dans la glace. "Le jour où tu pourras voler, jamais plus tu ne redescendras!". Elle aurait voulu disparaître sous terre, être foudroyée sur place, mourir dans l'instant, tout mais ne pas avoir à supporter ce regard-là! "Le jour où tu pourras voler, jamais plus tu ne redescendras!". La phrase de Lapramiz se répercutait, jusqu'à la rendre malade, en échos dans son crâne de façon douloureuse.
Dans un coin peu éclairé de la petite chambre, dans les ténèbres d'un angle, une ombre sembla se dessiner. D'abord floue puis de plus en plus distincte, une femme d'une élégance presque irréelle en sortit de la manière la plus naturelle qui soit. Sentant une présence dans leurs dos, les femmes se retournèrent pour se figer en instant sur place avant de tomber à genou devant la femme en noire qui se tenait devant elles. Celle-ci leur adressât à peine un regard et se dirigeât droit vers Myria, suivit de près par les volutes roses que son cigare laissait flotter derrière elle. A chacun de ses pas, elle semblait flotter sur une brume de ténèbres tant sa robe noire était longue. Un parfum sucré de rose s'échappait de chaque bouffée de fumées qu'elle tirait de son cigare :
- Tu as de bien jolies ailes, mon enfant. Dit-elle en se penchant vers Myria, elle passât ses longs doigts sur les plumes. Oui, de bien jolies ailes!
Elle déployât elle-même les siennes pour découvrir une paires d'ailes noires fines et... Duveteuses, couverte de longues plumes soyeuses et couleurs d'onyx. D'une manière presque maternelle et avec des gestes très calmes et gracieux, elle enlaçât l'adolescente qui fondit en larme sur son épaule. Les dernières larmes de Myria Ssorcam!
Fin.
And... That's all?
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