Moyocoya - Comment tout a commencé...

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[HRP] Bonjour à tous!
Je suis nouvelle dans le coin, c'est la première fois que je poste dans cette section.
J'ai arrêté Dofus depuis plus d'un an, mais me tenant quand même au courant des évènements IG que vivent mes anciens camarades, j'ai voulu rendre un dernier hommage public à un évènement qui me touche malgré le fait que ça ne me regarde plus : la mort de mon ancienne guilde.
Voici une histoire que j'avais commencée il y a un bon moment pour ma guilde, que je n'avais jamais terminée... Elle n'est toujours pas terminée, mais ça sera l'occasion de le faire. J'y ai ajouté quelques illustrations, plus tard dans l'histoire.
L'histoire est censée raconter la formation de la guilde, mais je crois que je me suis un peu égarée! ^^ Mais je retomberai bien sur mes pattes.
Enfin, pardonnez-moi les incohérences avec le BG officiel... J'ai un peu réinventé le monde selon ma fantaisie!
En espérant que vous accrocherez... N'hésitez pas à me faire part de vos impressions et vos conseils par mp! [/HRP]







INTRODUCTION


- Mesdemoiselles, nous avons reçu une nouvelle candida…
- Hiiiiiiiiiiiiiii !!!
Les deux secrétaires refermèrent en vitesse le dossier sur lequel elles étaient concentrées quelques secondes auparavant. MissMiches s’assit dessus d’une façon qui se voulait confortable et naturelle, tandis que Youffie prenait le premier document qui lui tombait sous la main.
- Votre Majesté ! V… vous ? Ici ?
La Sramette balaya son bureau du regard.
- Oui… Moi, ici… comme d’habitude… Que faisiez-vous avant que je n’arrive ?
- Mais rien du tout. On… discutait.
La dame contourna Missmiches pour regarder de plus près le document que Youffie tenait à la main, cette dernière faisait mine de s’y intéresser grandement, sourcils froncés, marmonnant des « mhh… ho… très intéressant… »
- Youffie… depuis quand t’intéresses-tu au cours de la Cawotte ?
- Ben… Justement, je m’y étais jamais intéressée, alors je me suis dit : Youffie, ma fille, c’est le moment ou jamais !
La Reine se pinça l’arrête du nez, poussa un profond soupir, prit le document des mains de Youffie et le lui rendit, à l’endroit.
- MythSetesh… peut-être pourrais-tu m’expliquer ce à quoi vous jouez ?
- …
- MythSetesh… Je sais que tu es là…
- …
Moyocoya leva les yeux au ciel, soupirant de nouveau.
- Tu es derrière la plante verte, je te vois !
- Aaahhh… eeeuuh… Votre Altesse, je… j’étais…
- Oui ?
- C’est… En fait c’est juste…
La jeune Sramette cherchait désespérément une excuse sur les murs de la pièce, le regard paniqué.
- Ce… C’est elles qui m’ont forcée ! Moi, je voulais pas, je leur ai dit non ! Mais…
- Traîtresse ! Majesté, c’est pas ce que vous croyez, c’est… C’est Youffie qui m’a dit de le faire
- Woh l’autre hé… Tu t’es faite prier p’têt ?
- C’était ton idée !
- C’était TON idée !
- C’est toi qui l’as trouvé !
- Mais j’ai pas fait exprès ! Majesté, je vous explique, commença Youffie : je rangeais, mais je savais plus où on rangeait les fiches sur les dragodindes. Alors, j’ai demandé à MissMiches…
- … mais elles ne m’ont pas écoutée ! continua MythSetesh. J’ai fait ce que j’ai pu, vous savez très bien que jamais je ne toucherais à vos affaires, d’ailleurs je n’ai même pas lu !
- Menteuse ! t’as écouté, je lisais à haute voix !
- … mais elle savait pas non plus ! Alors on a décidé de ranger un peu…
- Eh ben j’ai pas écouté ! Et t’avais qu’à lire dans ta tête !
- … mais y’avait plus de place sur l’étagère du milieu ! Alors on s’est dit : zut. On a alors décidé de tout ranger le placard du haut, et là y’avait un tas de feuilles en bord… en désordre…
- C’est parce que Youffie lit lentement, et pourquoi tu rougis si t’es pas coupable ?
- Je rougis parce que tu m’énerves !
- SILENCE !
- … rangé par ordre alphabétique.
Les trois jeunes filles s’étaient tues, surprises par le ton que leur souveraine venait d’employer, elle qui gardait habituellement son calme en toute circonstance…
- Bien. Youffie, je n’ai rien compris à tes explications. MissMiches… je te prie de descendre de mon bureau.
La Sadidette s’exécuta, et alla se cacher derrière MythSetesh qui fixait le sol, rouge de honte.
La Reine prit le lourd dossier dans ses mains, et le retourna pour en voir la couverture. Elle se figea quelques secondes, puis, comme si elle avait oublié la présence de ses secrétaires, elle s’assit lentement à son bureau, tout en feuilletant les pages.
- On va pas vous déranger plus longtemps hein…
- Oh… !
Moyocoya poussa un petit cri de surprise en ouvrant une enveloppe coincée entre deux documents. Elle en sortit quelques vieilles photos, et se mit à les regarder en poussant de petites exclamations à chaque fois.
- Madame… ?
La Reine leva les yeux vers MissMiches, comme si elle venait juste de s’apercevoir qu’elle n’était pas seule.
- Regardez, dit-elle en posant une photo sur le bureau vers les jeunes femmes. C’est moi quand j’avais votre âge !
La situation prenait une tournure tout à fait improbable. MythSetesh, MissMiches et Youffie étaient à la fois surprises et soulagées de s’en sortir à si bon compte. La curiosité étant plus forte que tout chez elles, elles se penchèrent pour examiner la photographie.
- Ho, que vous étiez belle ! s’écria Youffie. Enfin non, vous l’êtes toujours, je voulais juste dire que…
- Han, vous vous habilliez en noir avant ? demanda MissMiches
- Et là, c’est quelques jours avant que nous ne fondions la guilde, regardez.
- Hoooo… c’est qui à côté ? demanda MythSethesh
- Hé ! Le Iop, là… On dirait… On dirait mon père, mais en pas pareil…
- Oui Youffie, c’est Selcomad, ton oncle.
- Ah ben oui, j’suis bête, c’est tonton Selco.
- C’est les fondateurs de la guilde ? demanda MythSetesh, intéressée.
- Oui, les 12 fondateurs de Moyocoya. Et tous ces documents racontent notre rencontre, qui précède de peu la création de la guilde.
- Ho génial ! On peut lire ? demande MissMiches en sautillant sur place.
- Eh bien ? Vous n’avez pas déjà lu ? demanda le Reine d’un air malicieux.
- Ben non, vous êtes arrivée trop tôt, dit Youffie.
Moyocoya resta pensives quelques secondes, feuilletant les pages manuscrites.
- Mais je m’en fous, mon oncle m’a déjà raconté, continua la Iopette.
- Raconte ! s’exclama MissMiches en frappant dans ses mains.
- Ben en fait je m’en rappelle plus.
- En fait… commença la Reine, ces parchemins… vous voyez ? Ce sont des pages arrachées de différents carnets. Des années après la création de la guilde, nous avons décidé de raconter notre histoire, pour les générations futures. La plupart d’entre nous tenaient un journal à l’époque, et nous en avons tout simplement rassemblé des extraits, en les remaniant un peu pour avoir une continuité logique. Les 12 fondateurs sont donc les auteurs de cette histoire. J’avais oublié l’existence de ce dossier… Il a été égaré à une époque, je ne pensais plus le retrouver.
- C’est vrai que c’était un beau bord… un put… un sacré désordre, là dedans, dit pensivement Youffie.
Moyocoya s’adossa confortablement dans son fauteuil, et croisa les mains sur ses genoux.
- Alors comme ça vous ignorez tout de l’histoire de la création de la guilde dont j’ai pris le nom ?
- Ho, racontez-nous ! S’il vous plaît ! gémit MissMiches en trépignant.
- Hein ? Moyocoya n’est pas votre vrai nom ? demanda MythSetesh, les yeux ronds comme des billes.
- Moi-je-le-savais-heu ! Moi-je-le-savais-heu ! chantait Youffie en dansant.
- Bon, allez, dit brusquement la Reine en se levant, réunion de guilde immédiatement, je vais vous raconter votre histoire. Descendez le dossier dans la salle commune, et rassemblez tout le monde, vous avez dix minutes !
Youffie prit le lourd dossier sous le bras comme s’il s’était agi d’un rouleau de parchemin, et se dirigea tranquillement vers la salle commune, pendant que ses deux collègues couraient déjà dans les couloirs en tapant sur tout ce qui pouvait faire du bruit afin rameuter leurs camarades.

Debout au milieu de son bureau vide, Moyocoya rêvait. Ce passé qui lui semblait si loin, toutes ces aventures… Cela faisait si longtemps qu’elle n’y avait pas repensé. Elle se pencha pour ramasser une photographie que Youffie avait laissé tomber en partant. Elle la contempla longuement…
Le voile qui recouvrait la moitié de son visage ne permettait pas de lire ses pensées. L’œil unique que l'on distinguait derrière ses cheveux argentés semblait sourire à l'homme qu'elle regardait…
Une larme roula sur sa joue.
Elle rangea la photographie dans son sac, et prit lentement le chemin de la salle commune.

***

Tous les membres étaient là, plus ou moins étonnés de cette réunion dont ils n’avaient pas été prévenus. Il ne manquait que la Reine. Les trois secrétaires essayaient tant bien que mal de contenir l’impatience de leurs camarades. En effet, ils avaient été dérangés au milieu de leurs activités, et ce aussi bien dans le château qu’à l’extérieur. Toan avait été littéralement traîné par MythSethesh et MissMiches, alors qu’il était en pleine sieste. Les cheveux décoiffés et les yeux tout collés, il regardait autour de lui, se demandant comment il avait fait pour venir jusque là.
Valaraukar, Legis et Malishann avaient été ramenés de force alors que l’Abraknyde sombre qu’ils étaient en train de combattre était même pas mort. Mala et Gombie étaient en plein shopping à Astrub, Farkdalz et Lumi en pleine partie d’échecs, Tang-Tang en rendez-vous galant avec KomAKI, Korgan avait une vingtaine de clients qui faisait la queue à la porte du château, Fée avait laissé ses dindes au milieu d’un accouplement important, Crocker était occupé à demander aux autres ce qu’ils faisaient, Morguen et Han-Hibal avaient dû interrompre leur chasse au Dopeul, et Ecoloufe boudait parce que « vous me retardez dans mon ixpé ! »

Enfin, c’était un beau moyofoutoir.

Le silence se fit subitement, et les yeux se tournèrent vers le haut des marches de pierre : l’ombre de leur souveraine était apparue dans l’encadrement de la porte.
Crocker se précipita à sa rencontre et lui présenta galamment la patte pour l’aider à descendre. Les autres, désormais plus disciplinés, s’inclinèrent devant leur Reine, et s’assirent çà et là dans la salle en chuchotant entre eux.

Valaraukar avança le fauteuil le plus confortable à la Sramette, et Youffie déposa le dossier sur une table près d’elle.
Moyocoya s’installa confortablement, et pris quelques feuilles volantes entre ses mains.

- Bien… Les secrétaires vous ont expliqué pourquoi je vous ai rassemblés ici ?

Un brouhaha de « oui » et de « non » mélangés monta l’espace d’une seconde.

- Il se trouve que ces demoiselles ont par hasard retrouvé les documents qui relatent la genèse de notre guilde. Car je crois que peu d’entre vous connaissent l’origine de Moyocoya, et ceux qui savent quelque chose à ce propos en savent en réalité assez peu.
L’histoire se déroule il y a une vingtaine d’années de cela, j’étais jeune, et le monde était assez différent de celui que vous connaissez aujourd’hui, au niveau économique, social, et même géographique : certains territoires que vous arpentez régulièrement étaient soit inconnus, soit tout nouveaux à l’époque. D’autres ont aujourd’hui perdu de leur intérêt, et ont été oubliés.
J’ignore si certains d’entre vous le savent, mais je ne m’appelle pas réellement Moyocoya. C’est un titre que j’ai pris lorsque j’ai pris la tête de la guilde, mais c’est une autre histoire.

La Sramette fit une pause, observant ses fidèles qui la fixaient avec des yeux pleins de curiosité. Ils étaient assis, allongés, les couples enlacés, les enfants sur les genoux de leurs parents… Une grande, belle, et drôle de famille.

Moyocoya posa le paquet de feuilles sur ses genoux, et, empêchant au mieux son émotion de transparaître, commença sa lecture.
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• Chapitre premier : Extrait du journal de bord d’Ocicat


Mon nom est Ocicat, fils du chef Maneco-Ino, et disciple d’Ecaflip.
Mon Clan a reçu un appel à l’aide du peuple Eniripsa, nous demandant de leur envoyer le meilleur de nos combattants. D’après certaines rumeurs, un monstre de la taille d’un Orme faisait des ravages dans leurs contrées depuis quelques jours. Ce peuple de soigneurs n’ayant aucune aptitude de combat suffisante pour se débarrasser d’un ennemi plus gros qu’eux, leur meneur avait envoyé ce message de détresse aux chefs de chaque école, promettant une forte récompense si la bête était vaincue. Mon père organisa alors un tournoi pour nous départager.
Je savais que je gagnerais le tournoi avant même le début du premier combat.
J’éliminai mes adversaires un par un, et pris un bateau pour me rendre sur place.

Je n’étais jamais venu dans ce pays. Je débarquais au port, avec comme seul bagage une bourse de kamas, mon épée et mon jeu de cartes fétiche. Je suis assez grand et fort par rapport à mes congénères, mais jamais je ne m’étais senti aussi imposant : une foule de petits êtres ailés était venue voir mon arrivée, et je dépassais de la masse comme si j’avais marché dans un lac dont les eaux m’arrivaient à la taille. Ils me regardaient avec leurs yeux ronds et étonnés, chuchotaient entre eux en me regardant… j’étais sûrement le premier Ecaflip qu’ils voyaient de leurs propres yeux.
Une petite femme se fraya un chemin vers moi, et prit la parole en souriant:
- Sois le bienvenu sur le territoire d’Eniripsa étranger. Je suis celle qu’on a chargée de vous accueillir toi et les neuf autres guerriers, nous n’attendions plus que toi. Mon nom est Acinra, quel est le tien ?
- Ocicat, répondis-je.
- Au nom de mon peuple, je te remercie d’avoir répondu à notre appel.
Elle s’inclina, et la foule applaudit. Une fillette derrière elle lança une petite sphère au-dessus de moi, qui éclata en une gerbe d’étincelles multicolores. Un garçon l’imita, puis un autre…
Je levais la tête et regardais le ciel rempli de couleurs lumineuses, certaines sphères libéraient même des Tofus qui disparaissaient en un crépitement sonore. Voici donc ce qu’on appelle des fées d’artifice… c’est vrai que c’est assez joli.
- Viens, je vais t’emmener auprès de tes compagnons !
Je tressaillis. Trop occupé à regarder le ciel, je ne l’avais pas vue s’approcher de moi. Je déteste qu’un étranger me touche. Et cette femme venait de me prendre la main. Je la retirai aussitôt, passai devant elle et me dirigeai vers le village.
- Ça va, je trouverai.

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Ces êtres minuscules avaient bâti un village aussi minuscule qu’eux au cœur d’une forêt gigantesque. Des fontaines et des bancs étaient éparpillées au détour de chaque arbre, de chaque habitation. Je suivis le sentier pavé qui zigzaguait au hasard du terrain, et arrivai à une clairière qui avait été aménagée en place pavée, avec au milieu une grande fontaine dont la statue centrale représentait probablement leur déesse.
Je découvris alors mes « compagnons ». L’Osamodas était assise en tailleur au bord de la fontaine et regardait courir ses Tofus autour de l’eau. La Féca était sur un banc à l’écart, et écrivait dans un carnet. Assise à l’extrémité du banc, la Crâ semblait perdue dans ses pensées. Le Iop était debout devant ce qui semblait être l’auberge, en grande discussion avec un Enutrof relativement jeune, et un tout petit vieillard ailé. Le Xélor était assis sur un banc contre le mur de l’auberge, droit et impassible, les yeux cachés sous son énorme chapeau. A côté du banc, la Sacrieur était adossée au mur, et fixait l’eau qui coulait de la fontaine comme si elle y lisait quelque chose de profondément bouleversant. Je ne voyais aucune trace du Sram, ni du Sadida. J’espérais qu’ils seraient un peu plus intéressants…car là je n’avais vraiment pas l’impression de me trouver face à des guerriers ! Les plus valeureux de leur classe qui plus est. Mon âme avait bien eu raison de choisir le Dieu Ecaflip. Non seulement j’étais sorti vainqueur du tournoi qui m’opposait à mes semblables, mais en plus je montrerai la supériorité de mon Dieu face aux autres classes ! Le plus grand guerrier du Monde des Onze…

Je fus sorti de ma rêverie par la petite femme qui m’avait accueilli au port, qui arriva derrière moi d’un pas pressé. Elle avait dû essayer de suivre mon allure, car elle était essoufflée, mais je ne l’avais même pas remarquée pendant le chemin. Elle me dépassa sans même me jeter un regard, et se dirigea vers le vieillard, interrompant sa discussion. Le Iop et l’Enutrof se turent lorsqu’ils la virent arriver. Elle souffla un mot au vieillard, et disparu à l’intérieur de l’auberge. Ce dernier me regarda alors pour la première fois, me fit un grand sourire, et dit :
- Ah, le voilà ! Bonjour, bienvenue, approche ! Merci d’être venu ! Si ça ne te dérange pas, je vais vous expliquer en détails pourquoi vous êtes là maintenant que tout le monde est arrivé, tu pourras te reposer après. Par contre, tu peux aller poser tes affaires dans la chambre qui vous est réservée si tu veux.
- J’en ai pas.
- Parfait, parfait… dit-il en n’arrêtant pas de sourire. Dans ce cas, entrons.
Il joignit le geste à la parole. La Crâ se leva, sortie de sa torpeur, et marcha d’un pas rapide jusqu’à l’intérieur de l’auberge sans même poser ses yeux sur moi. La Féca, qui avait cessé d’écrire pour me regarder, ferma son carnet et le rangea dans sa besace. Elle me sourit lorsque je croisais son regard. L’Osamodas leva la main d’un coup sec, et tous ses Tofus, sauf un, disparurent dans un petit nuage de fumée. Elle prit ce dernier dans sa main gantée, et se leva. Je passais devant elle en marchant vers la porte de l’auberge. Elle était occupée à poser son animal en équilibre entre ses cornes et me lança un « salut ! » auquel je répondis d’un regard. La Sacrieur me fit un signe de tête en guise de salutations, et entra à la suite du vieillard. Le Xélor entra sans que je ne voie son visage toujours caché sous son chapeau, mais je pense avoir entendu un « bonsoir » lorsqu’il passa près de moi. Le Iop se posta devant moi, et me salua à son tour en s’inclinant. « Salut » lui dis-je, en hochant la tête. Je le regardai entrer dans l’auberge, en me disant que c’était le seul ici qui ressemblait à peu près à un guerrier.
- Salut jeune homme ! Moi c’est Dino, Dino Jasenain ! Enchanté !
L’Enutrof se tenait devant moi, la main tendue, un grand sourire jaunâtre fendant son visage. Je le contournai et entrai rapidement à l’intérieur, espérant qu’il abandonnerait vite cette idée de me serrer la main.
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• Chapitre deux : Extrait du journal intime de Prytwen

L’intérieur de l’auberge était bien plus grand que ce que l’on aurait pu croire en n’en voyant que l’extérieur. J’en étais surprise à chaque fois que j’y entrais, et pourtant j’étais arrivée la veille. Les Eniripsas étaient vraiment des être chaleureux et accueillants, proches de la Nature, et des créatures qu’elle engendre. L’épreuve qu’ils subissaient était terrible, et j’étais vraiment contente d’avoir été choisie par mon chef pour leur porter secours. J’étais bien décidée à faire de mon mieux pour les protéger, eux et leur village. Ce village m’avait d’ailleurs totalement charmée. Il était si bien intégré au paysage, tellement en harmonie avec le terrain sur lequel il avait été bâti, qu’on aurait pu croire que les maisons avaient poussé avec les arbres. C’était vraiment un des plus beaux endroits que j’aie visités, hormis mon pays natal évidemment. Ça manquait juste de prairies et de troupeaux de Bouftous à mon goût. Déformation professionnelle je suppose.

Nous nous disposâmes en demi-cercle autour du chef Eniripsa qui monta sur le bar pour mieux se faire entendre.
- Bien, je crois que tout le monde est là…
Il compta les personnes présentes à voix basse.
- Ah tiens non… Acinra, veux-tu bien aller chercher Catimuron qui doit encore dormir dans la chambre ? Merci ! Et il nous manque Feth-Fiada…
- Oui ?
Une voix avait surgi de derrière nous, interrompant l’Eniripsa, et faisant sursauter Dino Jasenain qui poussa un petit cri assez peu viril, et s’excusa en riant bruyamment.
- Elle est là ! dit le vieil homme avec un grand sourire. Venez, approchez-vous.
La Sram au visage voilé d’ombre et au teint diaphane sortit de l’obscurité du coin de la pièce où elle se tenait, et vint s’appuyer nonchalamment contre la table sur laquelle Dino était assis. Ce dernier semblait assez impressionné par la jeune femme, car il cessa immédiatement de rire et parler, et ce jusqu’à la fin de la réunion. Cela faisait depuis son arrivée au village qu’il n’avait cessé de me coller et de me draguer de la façon la moins discrète et la plus grossière que j’aie jamais vu. Feth-Fiada était la seule femme à ma connaissance qui tienne l’Enutrof en respect, et pourtant c’était une femme magnifique, aux formes plus que généreuses. En regardant les yeux de la Sram, qui étaient, à travers ses cheveux argentés, la seule partie visible de son visage, j’aurais pu jurer qu’elle souriait derrière son voile.
Les marches de l’escalier qui menait à la chambre craquèrent, et tous les regards se tournèrent vers Catimuron qui descendait, l’air plus endormi que jamais.
- Salut tout le monde… dit-il en faisant un vague signe de la main, avant de s’asseoir sur la table à côté du Iop, qui lui fit une remarque joyeusement stupide sur sa tête endormie, ce qui fit sourire le Sadida sous sa barbe.

- Parfait ! On peut commencer. Tout d’abord, je vais faire les présentations pour notre ami qui vient d’arriver… et dont j’ignore moi-même le nom d’ailleurs !
Il interrogea l’Ecaflip d’un regard souriant
- Ocicat, dit simplement celui-ci.
- Sois le bienvenu chez moi Ocicat, mon nom est Panakeia, je suis le chef des habitants de ce village. Comme je l’ai déjà dit aux autres, et je le répète, vous êtes tous nos invités, si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à le demander, nous vous l’offrirons, et pas d’histoires d’argent entre nous ! C’est nous qui nous vous devons tant d’avoir accepté de venir nous aider. Bien, je continue, donc voici Catimuron, qui est venu au nom du clan Sadida…
Les regards se tournèrent vers le géant au visage couvert de fourrure vert sombre. Celui-ci fut surpris au milieu d’un bâillement d’une ampleur impressionnante. Il le réprima du mieux qu’il put, et s’excusa.
- A côté de lui, voici Selco, le chevalier disciple de Iop…
Le jeune homme fit un signe de la main aux regards tournés vers lui, un grand sourire franc sur le visage.
- Latigo, l’Osamodas, et son fidèle compagnon qui ne quitte jamais le sommet de son crâne à ce que je vois… !
En effet, un Tofu était constamment niché entre ses cornes. Latigo était plus jeune que moi, une très belle fille, bien qu’un peu trop maquillée à mon sens. Ses grands yeux sombres étaient cerclés de noir, ainsi que ses lèvres, et ses oreilles pointues portaient de nombreux piercings.
- Son nom c’est Hotou ! dit la jeune femme d’un air enjoué. Mon garde du corps, ajouta-t-elle en riant. Je ris également en regardant le minuscule animal jaune endormi dans ses cheveux. Elle se retourna vivement et me fit un clin d’œil.
- Feth-Fiada, la mystérieuse disciple Sram…
Celle-ci inclina lentement la tête lorsque Panakeia prononça son nom.
- Dino Jasenain, l’Enutrof, chasseur de trésor comme le veut sa religion…
L’homme d’un âge indéfinissable salua l’assemblée d’un coup de chapeau, découvrant un début de calvitie au milieu d’une tignasse poivre et sel.
-C’est moi ! Ravi d’être parmi vous, je ferai de mon mieux pour accomplir ma mission, je suis certain que nous nous entendrons bien !
Il me regarda en terminant sa phrase. L’assemblée poussa un profond soupir en chœur. Le vieil homme me fit un clin d’œil plein de sous-entendus… Je détournai le regard, gênée, et croisai celui de Selco qui essayait d’étouffer un fou rire.
- Ret’Syo, le Xélor…
- Enchanté, dit froidement mais poliment celui-ci.
- Prytwen, la bergère Féca…
Je m’inclinai respectueusement.
- Je protégerai votre village et ses habitants comme le désire ma Déesse. Comme je protège toutes les créatures, du Boufton qui vient d’ouvrir les yeux, au Bouftou Royal.
Latigo se tourna vers moi une nouvelle fois, et me fit un grand sourire, l’intérêt pour ce que je venais de dire se lisait dans ses yeux. Je sentais que nous nous entendrions bien.
- Ahulane, l’archère, qui sert l'Etendue de Crâ…
La jeune femme ne dit pas un mot, ne leva même pas la tête. Je ne saurais dire si elle avait entendu qu’on parlait d’elle. Je ne l’avais pas entendu dire un mot depuis son arrivée, elle semblait toujours perdue dans ses songes, le regard dans le vague. Soit elle avait réellement quelque chose qui la préoccupait profondément, soit elle s’ennuyait à mourir.
- Obside, disciple de la déesse Sacrieur…
Elle sourit faiblement, avec un regard tel qu’on aurait dit que ce sourire la faisait souffrir. Cela expliquerait pourquoi elle ne souriait jamais.
Le vieil Eniripsa se racla la gorge.

- Donc voilà… Les présentations sont faites, maintenant je vais vous raconter le but de votre venue plus en détails…
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Son air jovial, qui n’avait pas quitté son visage ni sa voix depuis le début, s’était un peu évaporé. Son ton était devenu grave, comme celle de Grand-Père lorsqu’il nous racontait la tragique histoire des Chevaliers de l’Ordre du Cœur Vaillant.
- Nous n’avons pas pour habitude de mêler des étrangers aux affaires de notre village. Mais c’était la seule solution. Comme vous le savez, une créature venue d’on ne sait où a pris notre forêt comme refuge. Rien d’alarmant au début, seuls ses cris nocturnes nous avaient prévenus de sa présence. Le premier incident survint le mois dernier : Un petit garçon qui allait souvent cueillir des Champas dans la forêt n’est pas revenu. Une petite troupe fut rassemblée pour partir à sa recherche… un seul nous revint, vidé de toute énergie, incapable de parler… il est mort le lendemain. Mort de frayeur… cet homme était mon ami, et comptait parmi les plus braves de notre peuple.

Il fit une pause. Son sourire avait maintenant totalement disparu.

- Le surlendemain, nos plus fiers guerriers marchaient en direction des cris de la bête, car c’était elle, c’était devenu une certitude, qui était la cause de nos malheurs. Autant les hommes qui étaient partis à la recherche du garçon ne s’attendaient à rien, pensant qu’il s’était égaré, autant la deuxième troupe était équipée pour le combat. Nous n’eûmes plus de nouvelles d’eux jusqu’au lendemain, deux des huit guerriers étaient revenus, l’un gravement blessé, tous deux profondément choqués. Ils avaient découvert l’antre du monstre, et avaient progressé à l’intérieur, combattu les créatures inconnues qu’ils avaient rencontrées sur leur chemin, jusqu’à arriver à un groupe trop fort pour eux. Hélas, comme vous le savez, notre Déesse nous a donné le pouvoir de soigner, mais notre capacité à nous battre et à frapper est assez limitée… Ils ont été décimés. La moitié des hommes valides soignait les blessés, tandis que l’autre moitié frappait les monstres, mais le combat durait, durait… et les blessures étaient plus importantes que les soins.
Les deux rescapés se sont enfuis du combat, l’un portant l’autre blessé. Les autres ont refusé de les suivre, et ce malgré les supplications. Nous n’avons pas de nouvelles d’eux depuis. »

Il fit une pause, cherchant ses mots.
Ocicat avait poussé un sifflement de mépris au mot « enfuis ». Je ne sais si Panakeia l’avait ignoré, ou s’il ne l’avait pas entendu… Cet Ecaflip ne me plaisait décidément pas.

- Le récit des malheurs qui accablent mon peuple par la faute de cette créature ne s’arrête malheureusement pas là. Depuis ces mésaventures, les animaux semblent déserter notre forêt. Les plantes se dessèchent. C’est comme si la Terre elle-même se vidait de son énergie… Nos réserves de nourriture s’épuisent… Vu la progression du mal, si nous ne faisons rien, nous devrons quitter le village dans quelques mois… quelques semaines, peut-être…

Sa voix tremblait, il fit une nouvelle pause. Un silence impressionnant pesait dans l’auberge. Le vieil Eniripsa fixait le sol, il semblait avoir oublié notre présence… Personne n’osait rien dire… Je détournai le regard, mal à l'aise. Le Iop fixait le sol, l’air gêné, et le Sadida semblait hésiter à prendre la parole.

Il ferma les yeux, grommela quelque chose pour lui-même, inspira et cria :
- Orpin ! Callune !
- Ouais ! lui répondit une voix de jeune garçon provenant d’une pièce annexe.
- Tu peux venir ?

Deux jeunes Eniripsas, une fille et un garçon, sortirent de la petite pièce, et approchèrent du bar.

- Voici mes petits enfants, Orpin et Callune. Les enfants, voici nos invités. Ces deux jeunes gens seront vos guides demain, jusqu’à l’antre de la bête.
Ils inclinèrent la tête en souriant, je leur souris en retour.
- Ils viendront avec vous à l’intérieur de l’antre et vous soigneront pendant le combat.

Les sourires se figèrent. Catimuron prit timidement la parole, en pesant chacun de ses mots :
- Pardon, nous avons besoin de guides, ça je dis pas, mais ils ne sont pas assez costauds pour venir avec nous. Vous le dites vous-même, votre race est incapable de vaincre ce monstre, alors laissez-nous faire, ça serait risquer leurs vies pour rien.
- Je suis d’accord, répondis-je, nous devrons les protéger, cela nuirait au combat, je pense que leur présence serait inutile.
- Pareil. Ils nous gêneraient plus qu’autre chose, pas besoin de boulets, dit froidement Ocicat. On en a déjà suffisamment parmi nous.

Nous nous regardâmes les uns les autres, se demandant de qui il pouvait parler.

Le petit Orpin regardait l’Ecaflip d’un regard noir, les poings serrés. Callune avait détourné le regard, l'air triste. Ocicat ne mâchait pas ses mots, et les avait vexés sans que cela ne lui pose le moindre remords. Panakeia semblait un peu désemparé, et ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais Orpin lui coupa la parole.

- Tu as raison, le chat, nous ne sommes pas faits pour nous battre. Nous sommes un peuple de soigneurs, et si nous venons avec vous, ça n’est pas pour se mettre dans vos invincibles pattes, mais pour vous apporter les soins nécessaires pour que vous terminiez le combat vivants ! On s’en tape de vos prouesses de combattants, on vous a pas appelés pour que vous nous montriez votre supériorité, mais pour tuer le monstre, si vous y restez ça ne servira à rien !
- Hé, te vexe pas comme ça, lui dit Obside, la Sacrieur, il ne voulait pas t’offenser… Tu sais, on est venu parce qu’on a été jugé les meilleurs de notre race, je ne pense pas qu’on ait besoin d’un médecin en combat, nous avons toute la vitalité nécessaire pour terminer ce combat en un seul morceau. C’est à la sortie de l’antre que nous aurons besoin de vous. C’est très gentil de vouloir nous aider, mais c’est nous qui vous aidons, pas l’inverse.
- Nous sommes également les meilleurs de notre classe, et dans ce combat, aucun atout ne doit être écarté ! On ne sait pas à quoi s’attendre, et surtout vous. Si vous n’avez pas besoin de nous, tant mieux, nous ne vous gênerons pas, mais je doute que notre présence vous soit inutile. Vous n’aurez pas à vous préoccuper de nous.
- Ecoute petit… dit doucement Selco, le Iop. Pour tuer quelqu’un, il faut être plus fort que lui. Frapper avant, frapper plus fort, être plus résistant. Tout se joue dans la puissance des combattants ! Aie confiance, on y arrivera. Nous sommes les meilleurs ! C’est pour ça qu’on nous a appelés ! Les pansements, c’est après le combat… D’accord ?
- Attends qu’est-ce que tu veux dire par…
- Ce qu’il veut dire, coupa sèchement Ocicat, c’est qu’une équipe composée uniquement de Iops ou d’Ecaflips aurait été bien plus efficace que ce que nous avons là. L’important c’est la force de frappe, comme dit Selco. Nous avons besoins de guerriers, pas d’accessoires.
- Heu non, ce n’est pas tout à fait ce que je…
- Accessoire ! s’indigna Latigo. Tu parles de moi, là ?
- C’est ton Tofu qui va le one-shooter peut-être ? »

Elle se leva, le regarda droit dans les yeux, la bouche ouverte dans un cri d’indignation silencieux, ne sachant que répondre devant cette offense… Puis elle fit un geste vif en l’air avec sa main, et un Dragonnet rouge se matérialisa devant Ocicat, un sourire en lame de rasoir découpant sa gueule entrouverte, d’où s’échappaient des volutes de fumée qui laissaient deviner un brasier dans la poitrine de l’animal.
- Non ! Calmez-vous s’il vous plaît, pas de ça ici ! cria Panakeia en agitant les bras, ne sachant plus que faire.
Latigo, sans détourner son regard du visage inquiet d’Ocicat, qui avait porté sa main à son jeu de cartes, prit vivement son fouet, et le fit tournoyer au-dessus de sa tête.
- Non, ne… !
Le fouet frôla le visage de l’Ecaflip et claqua sur le Dragonnet, qui disparut dans un nuage de fumée.
- Mon Tofu il t’emmerde, pauvre con.

Panakeia poussa un soupir de soulagement.

- Ça suffit ! Orpin et Callune viendront avec vous demain, je vous assure que des soins en combat ne seront pas superflus. Ce sont, comme vous l’avez entendu, nos meilleurs soigneurs. Vous n’aurez pas à les protéger, ils connaissent leur métier, et vous seront d’une aide précieuse. Croyez-moi.
Je souhaite de tout cœur que tout se passe bien demain, mais il faut que tout le monde y mette du sien. Contrairement à ce que vous semblez croire, la puissance seule ne suffit pas, surtout en groupe. Il va vous falloir coopérer pour arriver au but. Et une parfaite coopération n’est possible que dans le respect de l’autre.

Il regarda Ocicat en prononçant cette phrase.

- Vous partez demain matin, à l’aube. Acinra viendra vous réveiller. Des questions ? »
- Euh, en ce qui concerne la récompense… ? demanda Dino.
- Ah oui, c’est vrai. Il s’agit d’une bourse d’un million de kamas…
- Mh, oui, ça fait 100 000k chacun, c’est toujours ça de pris.
- …chacun.
Le visage de Dino s’éclaircit d’un large sourire.
- Plus quelques pierres précieuses que vous vous partagerez.
Le visage de Dino était coupé en deux d’une oreille à l’autre tellement son sourire était grand, et ses yeux n’étaient plus que deux petites fentes. Le regard de Feth-Fiada était perdu dans le vague, ses yeux étaient écarquillés et brillants.

Un million ! Jamais je n’avais eu tant d’argent. Les temps étaient durs en ce moment en Amakna, cette fortune me permettrait d’acheter de quoi faire le plus beau troupeau qu’aucun Féca n’ait jamais possédé !

- Je vais vous laisser maintenant, un repas vous sera servi dans un instant. Pour ceux qui sont arrivés aujourd’hui, la chambre se trouve juste là-haut, par cet escalier.
Ocicat quitta la pièce pour monter dans le dortoir, Latigo le regarda passer, les yeux pleins de haine. Je vins près d’elle pour essayer de lui parler.
- C’est un gros prétentieux. Je connais bien ce genre de personnes, ne te préoccupe pas de lui. Aucune parole ne peut l’atteindre, il se croira supérieur quoi qu’il arrive. Mais il va falloir faire avec…
- Je me suis fait traiter d’accessoire, et de boulet. J’aurais pas dû répondre à sa provocation, avec mon Dragonnet, mais j’ai pas résisté, je suis entrée dans son petit jeu de rapports de force. Il est insupportable… Accessoire…
- J’ai été insultée également, tu sais. C’est pas mon bouclier qui va le one-shooter ! Ni Ocicat, d’ailleurs. Il s’est mis pas mal de monde à dos en même pas une heure celui-là.
- Il y a Obside, Selco, Catimuron et compagnie qui l’aiment bien. Les bourrins quoi.
- Je sais pas, c’est pas parce que leur technique de combat se base sur la puissance également qu’ils approuvent sa façon de traiter les gens. On peut être fort et intelligent, quand même.
Elle se tourna vers moi avec un grand sourire.
- Ah oui, comme un Iop tu veux dire ?
J’éclatais de rire.
• Chapitre 3 : extrait du carnet de voyage de Feth-Fiada

Un million de kamas… Je n’étais vraiment pas venue pour rien. Un combat, à manger, et de l’argent. Beaucoup d’argent… A cette époque, posséder un million de kamas était un privilège que seuls les dirigeants de Brâkmar et Bonta possédaient. Et encore…
C’est en pensant à ma fortune si proche que je m’installai à la table sur laquelle j’étais appuyée. J’entendais déjà les pièces sonner, je voyais déjà les pierres briller…
- Ah mais moi, un million, ça ne ferait qu’augmenter un peu ma fortune, haha ! Un Enutrof pauvre est un Enutrof maudit, et moi, je suis plutôt de genre béni, si vous voyez ce que je veux dire !
Dino Jasenain, ce vieux libidineux était encore en train de raconter sa vie à la jeune Prytwen, qui essayait de l’ignorer en vain. En face d’elle, Latigo ne retenait pas ses éclats de rire devant ce spectacle. Je décidais de m’amuser un peu, moi aussi.
- Puis-je m’asseoir ici ?
- Avec plaisir ! me répondit la Féca avec un sourire qui en disait long sur son soulagement.
Le vieux cessa immédiatement de causer, et s’intéressa soudainement à son assiette comme si son compte en banque y avait disparu. Prytwen m’adressa un « merci » articulé silencieusement.
- Alors, Dino, que vas-tu faire de ton argent ? demandais-je en détachant mon voile, et lui adressant mon sourire le plus mielleux.
- Eh bien, comme je disais à Prytwen, je vais le garder. Pour le moment. Après, je ne sais pas, on verra.
- Je vois, tu économises. Pour acheter quelque chose d’important, je suppose. Peut-être pour fonder et élever une future famille ? Tu es marié, Dino… ? demandais-je en me penchant un peu en avant.
Il posa ses yeux sur mon décolleté sans le vouloir, rougit jusqu’aux oreilles.
- Dans les yeux, Dino… dis-je en me penchant un peu plus.
Il me regarda dans les yeux, tout paniqué et rouge comme une tomate, bafouilla des paroles incompréhensibles, et se replongea dans son assiette, avalant sa soupe à une vitesse folle.
Prytwen se mordait les lèvres pour ne pas rire, et laissait échapper des petits cris du fou rire qu’elle essayait de contenir. Latigo, elle, avait abandonné tout combat, et se tenait le ventre en pleurant de rire, le front posé sur la table.
- Allez, mangez, ça va refroidir.
- Qui veut de l’eau ? demanda Prytwen en servant Latigo, les joues rosies et les yeux brillants.
Je lui tendais mon verre en la remerciant.
- Et vous, qu’allez-vous faire de votre argent ? me demanda-t-elle.
- Je ne sais pas encore. C’est une belle somme.
Selco et Catimuron s’approchèrent de notre table.
- Ça rigole bien ici, on peut venir ?
Ils s’installèrent devant le sourire accueillant de Prytwen.
- Je pense faire comme Dino. Garder en attendant de trouver une utilité à mes kamas, si un jour j’en trouve une suffisante pour débourser un million entier.
- Ah, vous faites des projets avec la récompense ! Pour moi, ça sera une nouvelle épée. Il faut que je me documente sur la question, je ne sais pas encore ce que je vais choisir.
- Moi c’est tout vu, dit Catimuron. Un Gelano.
- Attends, tu vas dépenser un million pour un anneau ? demanda Latigo.
- Un anneau, oui, mais un Gelano. C’est le prix. Et toi ? Tu vas faire quoi ?
- Moi je vis encore avec mes parents, je vais le leur donner, ils en ont plus besoin que moi. Je ne suis pas venue pour m’enrichir. Ça devrait être un devoir d’aider les gens, pas un travail rémunéré.
- Et voilà, dit Selco. On a l’air tout cons avec nos épées et nos anneaux, maintenant.
- Surtout qu’avant de faire des projets, il faut être sûr de mériter la récompense…
Je me retournai. C’était Orpin qui avait dit cette phrase en passant derrière nous. Il nous toisait du haut de ses trois pommes avec du mépris pour au moins vingt pommes.
- Bon appétit, ajouta-t-il en s’éloignant.
- Hep ! Attends un peu toi, dit Catimuron en lui attrapant le bras. T’en vas pas comme ça.
- Qu’est-ce que tu veux ? J’en ai assez entendu pour ce soir, merci. Lâche-moi.
Orpin s’en alla s’asseoir à l’écart du groupe, à côté de Callune. Tout le monde à table se remit à manger en silence, tête baissée.
- Ça va être joyeux, demain, dis-je en mangeant.
- J’ai un peu honte… dit Catimuron. C’est moi qui ai commencé le débat sur la nécessité des Eniripsas en combat. J’aurais mieux fait de me taire, sur ce coup-là.
- Moi aussi j’ai participé, dit Selco, mais ce n’est ni toi, ni moi, qui avons manqué de respect à qui que ce soit. C’est Ocicat. Il a l’air si sûr de lui qu’on croirait qu’il est capable de se faire le monstre à lui tout seul. Si nous coopérons comme il faut, alors les forces de chacun sont utiles. Même la sienne, ajouta-t-il en montrant du doigt le Tofu qui picorait les miettes de pain sur la table. J’ai en effet pour habitude de combattre seul et de ne compter que sur la force de mon bras, et la qualité de mon épée. Mais nous ne connaissons pas cet ennemi, nous devons nous préparer au pire, et nous organiser au mieux. Il va falloir apprendre à connaître les techniques de chacun, les habitudes, etc.
- Depuis quand les Iops pensent ? demanda Latigo en riant.
- Depuis que les Osamodas mangent du Tofu, répondit celui-ci.
- Euh… Quoi ?
Selco montra l’assiette de Latigo, dans laquelle Hotou le Tofu barbotait en picorant les bouts de pain trempés dedans.
- Oh non… Hotou…
Elle le sortit de là en prenant une aile entre deux doigts, et le trempa dans son verre d’eau pour le laver, avant de continuer à manger sa soupe comme si de rien n’était, sous nos regards dégoûtés.
- Tiens, à propos, où est Ocicat ? demandais-je..
- Je ne l’ai pas vu redescendre, dit Selco. Il doit encore y être. Vous croyez qu’il a honte, quelque chose comme ça ?
- Ça, ça m’étonnerait beaucoup ! dit Latigo. Il ne doit simplement pas avoir envie de se mélanger à nous. On est pas assez bien. Pas assez Ecaflip.
- D’ailleurs, il n’est pas le seul à ne pas se mélanger aux autres. Le Xélor, la Crâ et la Sacrieur restent à l’écart également, remarqua Prytwen. C’est de la timidité ? Du mépris ?
- Peut-être l’envie d’être seuls, répondit Dino. Ce sont un peu les bizarres silencieux et mystérieux du groupe.
- Remarquez, dis-je alors, je suis moi-même silencieuse, mystérieuse, et je vous méprise pas mal.
Tous les regards se tournèrent vers moi, étonnés.
- Mais je ne peux résister à la présence de mon cher Dino, dis-je en posant ma main sur la sienne, et lui faisant un clin d’œil.
Hélas pour moi, il était en train de boire. Et je me pris tout dans la figure.
- Oh mon Dieu, je suis désolé mademoiselle ! s’écria-t-il en toussant.
- Oh non, ce n’est rien, dis-je en m’essuyant le visage. Je l’ai mérité. Ça m’apprendra, je vais essayer d’arrêter de t’embêter, promis.
Il grommela une phrase d’excuse et de remerciement, en riant et toussant à la fois.
Bien entendu, Prytwen et Latigo étaient mortes de rire. Selco et Catimuron les accompagnaient joyeusement.
Heureusement que ça n’était pas de la soupe.

Après le repas, nous montâmes nous coucher. Ocicat était effectivement là.
- Tu n’as pas faim Ocicat ?
- Non, répondit-il sèchement, occupé à faire une réussite.
Le dortoir s’était naturellement séparé en deux parties : les filles, et les garçons. Etant arrivée la veille, j’avais déjà choisi mon lit, contre le mur, loin de la fenêtre. Je me sens mieux dans l’obscurité.
Latigo était en train d’essayer de négocier le lit d’Ahulane pour être à côté de sa nouvelle amie. L’archère, surprise qu’on vienne lui adresser la parole, prit ses affaires et changea de place sans faire d’histoire.
Drôle de fille, celle là… Je penchais plus pour de la timidité que de la méprise, dans son cas. On dirait qu’elle a peur des autres, qu’elle essaie de se faire toute petite. Elle a l’air complètement perdue. C’est peut-être la première fois qu’elle voyage seule ? En tout cas, je doute qu’elle ne soit venue d’elle-même. On a dû la forcer.
- Et toi, Ahulane ? dis-je en m’asseyant sur mon lit.
Elle sursauta, et me jeta un regard inquiet.
- Tu sais ce que tu vas faire de la récompense ?
Elle baissa les yeux, la perspective de devoir répondre à cette question semblait la faire paniquer.
- J’y ai pas réfléchi.
- Vraiment ? Aucune idée ? Aucune envie particulière ?
Elle regarda autour d’elle, semblant chercher une réponse suffisamment convaincante pour que je la laisse tranquille.
- Euh… je sais pas, c’est beaucoup un million… Une maison, peut-être ? Euh non, en fait je sais pas.
Ok, c’est de la timidité.
- Une maison ? Où ça ?
- Ben… j’ai dit ça comme ça en fait… mais si j’en achetais une, ça serait sûrement à Sufokia.
Je m’allongeais sur le dos.
- Tu viens de Sufokia ?
- Euh… non, Amakna, mais Sufokia c’est joli.
Allez, je la laisse tranquille. Inutile de la forcer à parler si elle n’en a pas envie.
- …et vous ? demanda-t-elle alors.
- Mh ? Oh, moi, je ne viens de nulle part en particulier. De partout, aussi. Je voyage.
- Et vous savez déjà comment vous allez dépenser votre argent ?
- Eh bien, pas vraiment. Pas encore. On verra bien, il n’est pas encore gagné.
- Oui, c’est vrai. Ne pas vendre la peau du Ours avant de l’avoir tué. C’est pour ça que j’évite de faire des projets.
- Bien dit jeune fille. On verra quand on aura la bourse en poche.
- Bon… bah bonne nuit…
- Bonne nuit Ahulane.
Elle mit les draps sur elle, et se retourna. Bien, elle sait parler. C’est un bon début.
En face de moi, Obside s’était couchée également. Prytwen et Latigo discutaient à voix basse. De l’autre côté, Catimuron et Dino ronflaient déjà, Ocicat jouait toujours aux cartes, Selco nettoyait son épée, et Retsyo n’était pas encore monté.
Je me mis à regarder le plafond en réfléchissant.
A Brâkmar, il y en a des biens, de maisons. Pourquoi pas…
•Chapitre 4 : Extrait du journal intime de Ahulane


Acinra est venue nous réveiller comme prévu ce matin-là. Je m’habillai sous les draps pour ne pas que les autres ne me voient en sous vêtement, préparai mes affaires, vérifiai mon équipement. Pendant ce temps, les autres riaient, comme si c’était un jour normal. Comme si nous n’allions pas à la rencontre d’un monstre terrible qui terrifiait un village entier au point de les obliger à appeler d’autres villages au secours. Moi, j’avais peur. Mon père avait décidé que c’est moi qui irai là bas, que j’étais assez forte, que j’étais la meilleure Crâ. Je suis la meilleure archère, c’est vrai. Je ne manque jamais ma cible. Ma cible en bois qui ne mord pas. Celle qui n’a tué personne, qui ne représente aucun danger. Je chaussais mes bottes. Le Iop et le Sadida plaisantaient sur leurs têtes-du-matin mutuelles. Tout le monde – excepté l’Ecaflip, le Xélor, la Sacrieur et moi-même – bavardait en se préparant, était de bonne humeur. Ils avaient l’air de bien s’entendre. Moi j’avais hâte de rentrer. Je pris mon arc et fourrai le reste de mon équipement dans mon sac à dos, et descendis dans la salle à manger.

Il y avait du lait chaud, du pain et de la confiture sur les tables. Je m’installai au fond, et me mis à manger. Il faut prendre plein de forces avant un combat.
La Sram descendit à son tour, mais se dirigea vers ma table, et s’installa.
- Alors ? bien dormi ?
Elle était gentille, elle m’avait déjà parlé la veille.
- Oui, ça va.
- D’attaque pour un gros combat ?
- Pas vraiment…
- Mange bien surtout, c’est important.
- Oui oui, je sais.

Tous les autres descendirent à leur tour, et vinrent s’asseoir avec nous. Ils discutaient et plaisantaient encore. Moi, je mangeais en silence.
- Je vous présente Ahulane, ma voisine de lit.
Ils me dirent tout « bonjour », je leur répondis pareil. Je terminai vite de manger et sorti.
Le soleil se levait, le ciel était clair… l’heure du départ n’allait pas tarder, je m’assis sur un banc, contre un arbre, en attendant.
- Je peux m’asseoir ?
C’était le Xélor qui avait parlé. Il m’avait fait sursauter, je ne l’avais pas vu arriver. Il était sorti de derrière l’arbre.
- Oui oui.
- Merci.
Il grimpa sur le banc, et s’assit en tailleur.
- La perspective du combat n’a pas l’air de te réjouir.
Je ne voyais pas son visage, il était toujours caché sous son chapeau. Mais sa voix était gentille. Froide, mais gentille.
- Non, pas trop.
- Tu as peur ?
- Oui.
- C’est normal d’avoir peur.
- Les autres n’ont pas peur.
- A quoi vois-tu cela ?
- Ils ont l’air de s’amuser.
- Et tu n’as pas envie de t’amuser avec eux ?
- …
- Tu ne devrais pas rester seule, si tu as peur.
- Et vous ? Pourquoi vous restez seul ? Vous n’avez pas peur ?
- J’ai trop vécu pour avoir peur. Et j’aime être seul.
- Vous avez quel âge ?
- 92 ans.
- Ah. Moi j’en ai 12. C’est vieux 92 ans pour un Xélor ?
- C’est respectable. Mais je ne suis pas si vieux. Le plus vieux Xélor que le Monde des Onze ait connu a vécu 180 ans. Mais c’est très rare, en général c’est 150 ans.
- Vous avez peur de la mort ?
A ce moment là, il a levé la tête vers moi, et j’ai vu son visage. Il était entièrement recouvert de bandages jaunis par le temps. A travers deux petits trous, ses petits yeux me regardaient. Il avait un aspect effrayant. Et pourtant, il me rassurait.
- Je serais fou de ne pas en avoir peur. Tu ne crois pas ?
- Si. C’est vrai.
- On a peur de ce qu’on ne connaît pas, ou mal. Même en vivant 300 ans, la mort est une inconnue. Tous les êtres vivants en ont peur.
- Je demande ça parce que c’est de ça que j’ai peur, aujourd’hui. Peut-être que le monstre va nous tuer ? Mais vous dites que vous n’avez pas peur du monstre.
- Le monstre n’est pas la mort. L’issue du combat dépend de nous. Du moment que je peux agir sur ce qui m’arrive, ça va.

Je trouvais que ça faisait peur quand même. Mais j’étais un peu rassurée.
- Je peux rester avec vous ?
Il leva la tête une seconde fois pour me regarder. Je crois qu’il était un peu étonné.
- Si tu veux.

La place du village commençait à se remplir de monde. Les gens venaient voir notre départ. Certaines femmes avaient préparé des paquets avec de la nourriture, et les distribuaient. Les autres sortirent de l’auberge avec leurs affaires, prêts à partir. Le vieux chef Eniripsa était avec eux, il discutait avec l’Enutrof. Tout les gens se réunirent autour d’eux, le Xélor se leva, et m’invita à le suivre. Alors je le suivis.
Le vieil Eniripsa fit un discours disant que nous allions tenter de les sauver du monstre, que tout le monde prierait pour nous, qu’il était sûr que nous sortirions vainqueurs, que blablabla.
Je reçus deux paquets de nourriture, et nous nous mîmes en route sous les encouragements des villageois. Les deux Eniripsas marchaient devant, et avaient l’air de bouder toujours, à cause de ce que l’Ecaflip avait dit la veille.
Moi j’étais contente qu’ils viennent.

Nous marchâmes plus ou moins en silence pendant un moment (à part le Iop et l’Enutrof qui faisaient que de parler), quand la Sram vint à côté de moi.
- Alors, ça va ?
- Oui oui.
- Tu es partie bien vite au petit-déjeuner…
- J’avais plus faim.
- Je vois… Sacrément timide, hein ?
J’ai pas répondu. Oui, je suis timide, j’y peux rien. Elle a qu’à me laisser tranquille si ça lui plaît pas. Je me suis rapprochée du Xélor, et j’ai ignoré la Sram.
- Oh-oh…
Le Sadida s’était accroupi près d’un arbre.
- Elle est bizarre cette plante… Elle ne pousse pas près du village. J’en avais jamais vu.
- Oui, lui répondit la fille Eniripsa, il n’y en avait pas avant. Elle est apparue avec le monstre.
- Ça, c’est bizarre.
- Oui, et plus on s’approche de l’antre, plus les plantes « normales » se fanent.
- Et les animaux sont bien rares… Comme l’avait dit Panakéia… dit la Féca.
- Oui, j’avais remarqué. Pareil, les plantes sont bien moins vigoureuses lorsqu’on s’éloigne du village. Je suppose que le phénomène à tendance à s’étendre ?
- Oui, ça se rapproche du village.
- Vous avez étudié les plantes ?
- Nous n’avons pas pu, ceux qui en ont cueilli sont morts empoisonnés. Nous n’avons pas cherché plus loin…
- Je vois…
Il se releva.
- Bon, on continue.


On a marché en silence encore longtemps. Jusqu’à ce qu’on l’entende… Un long cri grave et profond, un cri inhumain, un cri qui glace les os et qui retourne les tripes…
Le groupe s’arrêta net de marcher, et il y eut un long moment de silence, tous les regards fixés vers notre destination.
- Ah, oui, carrément… dit faiblement l’Osamodas, après quelques secondes.
- Et encore, il fait jour, répondit le garçon Eniripsa. La nuit, quand tu te lèves pour aller aux toilettes, c’est une autre paire de manches…
- Ceci dit, ici le décor est autrement lugubre… Moi je dis, même si il fait jour, ça fout les boules.
- Si tu as peur, fais demi-tour, personne ne te retient.
- Ocicat, ta gueule…
- Il ne reste plus rien de la forêt, ici. A part les troncs des arbres morts… la rare végétation encore présente est empoisonnée, et est apparue avec le monstre. Dites vous qu’avant, c’était encore plus touffu qu’au alentours du village, et que c’était le coin des sangliers : on venait les chasser ici pour les banquets, parce qu’ils étaient encore plus gros qu’ailleurs. Maintenant, la seule forme de vie… bah c’est nous.
- On se croirait à Sidimote… dit la Sram.
L’Enutrof se retourna vers elle.
- Et encore, à Sidimote, il y a des bêtes. Allez, avançons… à partir de ce soir, les Eniripsas pourront aller pisser au milieu de la nuit comme avant…
Les deux Eniripsas sourirent malgré leur peur apparente, et la marche reprit.

Je restais le plus près possible du Xélor, qui ne semblait avoir peur de rien. Mais ça devenait insuffisant pour me rassurer.
- Je peux vous tenir la main… ?
Il sursauta.
- Eh bien… A vrai dire, j’aimerais mieux pas… Tu y tiens vraiment ?
J’osais rien répondre. A ce moment là, le Sadida, qui avait tout entendu, se retourna, et me tendit sa main ouverte. Je la pris sans un mot, ou plutôt je noyais ma main dedans : elle était énorme et velue, et très douce aussi. On aurait dit que j’avais mis ma main dans une peluche Bouftou géante! Ça allait beaucoup mieux, déjà.



Finalement, on est arrivés à l’entrée de l’antre du monstre.
C’était un énorme trou dans le sol. Une odeur de je ne sais quoi en sortait. C’était brûlant, ça puait… L’odeur de la mort.
- Si vous n’êtes pas équipés, faites-le maintenant » dit le garçon Eniripsa en enfonçant sa tête dans une Goyave. À partir d’ici, je ne suis plus votre guide, puisque je découvrirai en même temps que vous !
Moi j’étais déjà prête depuis le départ. Le Sadida lâcha ma main pour s’habiller. Tout le monde s’équipa dans le plus grand des silences puis la Feca se pencha au dessus du trou.
- C’est tout noir… quelqu’un a du feu ?
Je sortis une flèche de mon carquois, et la tirais au fond du trou. Elle s’enflamma en quittant mon arc, et se planta dans la paroi rocheuse.
- Ok, on peut sauter, la paroi commence à l’horizontale et finit en pente douce, dit la Sacrieur. Il suffit de se laisser glisser. Je passe la première, dit-elle en passant la première. Tout le monde sauta chacun son tour, en glissant comme sur un toboggan. Nous étions dans un tunnel noir comme une nuit sans lune. Je tirais une seconde flèche enflammée qui se planta sur le premier obstacle devant nous, et qui s’avéra être une porte.
- UNE PORTE ??!!
- Ah ouais, une porte… Paf, comme ça, dans un trou… Normal… dit le Iop.
- Oui, les rescapés nous avaient parlé de ça. De dehors, on dirait un terrier, mais à l’intérieur, c’est aménagé en salles, avec des portes et tout. Apparemment, chaque salle est gardée par des monstres. Je suppose que le vrai monstre est caché au bout. Mais personne ne sait à quoi il ressemble…
La Sacrieur avança jusqu’à la porte.
- J’ouvre ?
- Ok.
- Prête !
- Prêt.
- Go !
- Oui !
- Pareil.
- Prêt…
- Radis !
- Attendez, j’ai oublié de mettre mes bottes !
- Dino, grouille…
- Ok c’est bon !

La porte s’ouvrit dans un grincement, et nous entrâmes, le cœur battant…
• Chapitre 5 : extrait des lettres de Catimuron

Je me glissai à l’intérieur sans bruit, à la suite d’Obside. J’entendis les pas précipités de mes compagnons entrer à ma suite, puis le silence… je me figeais, serrant mon bâton, l’obscurité nous entourait. Un léger bruit grouillant quelque part devant indiquait que nous n’étions pas seuls.
- Attention j’allume !
Ahulane tira une série de flèches enflammées qui vinrent se ficher dans le mur d’en face, et la lumière envahit la pièce. A peine nous découvrions-nous le visage de l’ennemi que celui-ci se précipitait sur nous ! Je jetais alors calmement quelques graines devant moi, et les huit petits monstres tombèrent sur le sol, déchirés par les ronces.
- Joli ! dit Selco.
- Merci !
- Venez voir…
Feth-Fiada était agenouillée près du cadavre d’une des choses. Nous nous groupâmes autour d’elle pour regarder.
- Nom d’un Chienchien… Qu’est-ce que c’est que ce truc ? s’écria le vieux Dino.
- On dirait des plantes… mais avec des griffes et des dents » répondit Prytwen.
- J’avais jamais vu un truc pareil… dit Latigo.
- On ne leur a pas laissé le temps d’attaquer, mais je pense qu’elles nous auraient empoisonnés, entre autre chose, dit Callune.
- A quoi vois-tu ça ? lui demanda Selco.
- Tout simplement parce que les feuilles qui sont sur sa tête sont les mêmes que la plante de tout à l’heure, celle qui tue quand on la touche.
- J’ajouterais qu’en plus de nous empoisonner, elles nous auraient mordus et griffés… dis-je.
- A quoi vois-tu ça ? me demanda-t-il alors.
- Heu… parce qu’ils ont des dents et des griffes peut-être ?
- Ah oui…
- Andouille.
- Stoi l’andouille.
Ocicat attendait près de la porte, visiblement exaspéré.
- C’est bon ? On peut y aller ?
- Oui, une minute ! cria Dino, tout en ramassant ce que les monstres avaient laissé tomber en mourant. Ce qui se résumait à quelques racines et fleurs.
- Allez, c’est bon, j’ouvre.
Et il ouvrit, nous entrâmes à sa suite, Ahulane illumina la salle de ses flèches, je tuais les monstres avec la même facilité que précédemment.
- Joli !
- Merci !
Dino ramassa les bouts de monstres tombés au sol, Ocicat ouvrit la porte suivante, nous entrâmes à sa suite, Ahulane illumina la salle de ses flèches, je tuais les monstres avec la même facilité que précédemment.
- Joli !
- Merci !
Dino ramassa les bouts de monstres tombés au sol, Ocicat ouvrit la porte suivante, nous entrâmes à sa suite, Ahulane illumina la salle de ses flèches, je tuais les monstres avec la même facilité que précédemment.
- Joli !
- Merci !
- C’est pas comme si je me sentais inutile, mais quand même un peu… se plaignit Latigo.
- Patience, jeune fille… Tu combattras bien assez tôt, lui répondit Ret’Syo
- Les Eniripsas du deuxième groupe avaient passé ces salles là. Ça doit se corser après, dit Orpin.
Et en effet, ça se corsa. A la salle suivante, lorsque je jetais mes graines au sol, il ne se passa rien.
- Et m… !
Je n’eus pas le temps de finir ma phrase, un des petits monstres végétaux poussa un cri strident, et une rangés d’épines gigantesques poussa sous nos pieds, transperçant nos chairs, et nous arrachant des cris de douleur… Aussitôt, la petite Callune joignit ses mains devant elle, prononça des paroles dans sa langue, et effectua un petit saut tout à fait charmant. Les blessures cessèrent de saigner, les chairs se refermèrent, et la douleur disparut. Selco s’avança alors vers les monstres, leva son épée vers le plafond, et la foudre s’abattit sur les trois qui se trouvaient devant lui. Ocicat jeta avec force ses cartes mortelles sur celui qui se trouvait à sa portée, jusqu’à ce qu’il tombe sur le sol, en poussant son petit gargouillis horrible. Obside attira un autre monstre jusqu’à elle, et lui décrocha la tête à coup de pieds. Ret’Syo ralentissait tout ce qui passait à sa portée, Latigo faisait tomber son poing du Craqueleur sur ce qui s’approchait d’elle, Prytwen donnait des coups de bâton à tout va, Dino des coups de pelle, Ahulane transperçait de ses flèches, et Callune et Orpin nous redonnaient la vie que le poison infligé par les épines nous enlevait... De temps à autre, un monstre tombait mort sur le sol sans raison apparente, puis Fiada réapparaissait, de la sève sur la lame de sa dague. Tous les monstres furent terrassés un à un, jusqu’au dernier.
- Je suis vraiment désolé… dit-je à la fin du combat. Ça arrive toujours au moment où il faut pas…
- T’inquiète mon grand, ça arrive à tout le monde, me rassura Dino.
- Et puis comme ça, Latigo ne râle plus ! se moqua Selco.
- Ouais, ça défoule ! répondit celle-ci en s’étirant.
- Bon, Dino ramasse ses trucs, et on continue. On a vu que ça pouvait vite mal tourner, alors on se concentre et on avance, ordonna Fiada.

Par la suite, je ne ratai plus mon attaque de ronces multiples, mais cela devint rapidement insuffisant pour tous les anéantir du premier coup. Plus nous traversions de salles, et plus les monstres devenaient résistants et dangereux. De nouvelles espèces apparaissaient, avec des attaques différentes, toujours plus puissantes. Certaines d’entres elles en invoquaient de nouvelles, nous étions submergés de plantes monstrueuses et mortelles. Latigo faisait claquer son fouet pour maintenir les invocations loin de nous, tandis que nous nous efforcions de tuer la plante mère. Dino nous était également d’une grande aide, son âge respectable et ses nombreux voyages lui avaient conféré une expérience des plus précieuses. Ses attaquent étaient utiles, mais pas indispensables, et il se rattrapait plus que nécessaire par ses conseils avisés, qui nous empêchait bien des erreurs de tactique dû à nos méconnaissances des techniques de combat mutuelles. Plus nous avancions, et plus il faisait chaud… Impossible de dire depuis combien de temps nous étions dans ces galeries souterraines, ni combien de salles nous avions traversé. Dino était obligé de laisser ses trouvailles derrière lui, tant son sac était plein. Après un combat qui nous donna particulièrement de fil à retordre, Prytwen proposa de faire une pause, proposition que tous acceptèrent avec joie. Ahulane illumina la galerie de ses flèches comme à son habitude, et nous nous assîmes en cercle.
Les villageois nous avaient distribués plein de petits baluchons, et je me réjouissais d’en avoir pris plusieurs, parce que les baluchons étaient aussi petits que les Eniripsas, et j’avais vraiment faim !
- Oh non… s’écria Ahulane en déballant son paquet.
- Bah quoi ? demanda Orpin, la bouche pleine de cawottes râpées.
- J’aime pas le Scarafeuille…
- Je t’échange tes sandwiches au Scarafeuille contre mes tartines de pâté de Piou ! lui proposais-je.
Comment peut-on ne pas aimer le Scarafeuille ? Ça croque sous la dent, tout en libérant un petit jus légèrement amer, qui rappelle un peu la chair de larve fraîchement chassée. Je croquais dans le sandwich à pleines dents : il y avait même des petits bouts de fromage de Bouftou… Il y en a vraiment qui ne savent pas ce qui est bon.
Tout le monde mangeait de bon cœur, on n’entendait plus que les bruits de mastication, tout le monde était bien trop affamé pour parler. Latigo laissa sortir son compagnon à plume de sa poche, et émietta un peu de pain Gre pour lui. Ret’Syo était assis avec nous, mais ne mangeait pas. Apparemment, cette rumeur comme quoi les Xelors n’avaient pas besoin de manger était vraie… Je ne l’avais pas vu dormir non plus. Feth-Fiada avait enlevé son voile pour manger, je me demande bien pourquoi elle porte ce truc, ça lui cache tout le visage… c’est un gâchis incommensurable ! Je me demande si elle dort avec, tiens. C’est quand même une drôle d’idée de montrer ainsi ses cuisses, son ventre et son décolleté, mais cacher son visage. Ocicat était assis avec nous, et mangeait ses larves croq’sel en silence, en avalant une gorgée de lait-lait de temps en temps. La petite Callune, à côté de moi, grignotait à petites bouchées sa part de gâteau. Elle s’aperçut que je l’observais, et sortit vivement une seconde part de son baluchon.
- Oh pardon… je ne vous en ai pas proposé, quelqu’un veut du gâteau à la Rose Démoniaque ?
- Ah bah écoute, c’est pas pour ça que je te regardais, mais si t’en veux pas, j’en veux bien !
Elle me donna sa part de gâteau.
- Tu as un bout d’aile de Scarafeuille là, dit-elle en montrant le coin de sa bouche.
Je reçus un bout de gelée en pleine figure.
- T’as un peu de gelée, là, dit Selco en me montrant sa joue.
- Tututu, on ne joue pas avec la nourriture ! dit Dino en secouant son index vers Selco.
- C’est pas de la nourriture, c’est Catimuron !
- De la gelée fraise, en plus ! s’indigna Fiada. Si vous en voulez pas, donnez la-moi !
- Voyons, Fiada, et votre ligne ? dit Latigo en s’emparant du pot de gelée.
- Quoi ma ligne ??? s’écria Fiada, vexée. Elle va très bien, ma ligne…
Dino acquiesça silencieusement en lorgnant sur le décolleté de la dame.
- Bon… je propose une expédition-pipi dans la salle d’à côté, mesdemoiselles. dit Obside en essuyant les miettes de pain sur son pantalon.
- D’accord, bonne idée, dit le Iop en se levant.
- Selco… t’es con, ou tu le fais exprès ?
- Qui ne tente rien n’a rien… dit-il en se rasseyant.
- Moi aussi j’aimerais pisser, alors on se grouille ! dit-je.
Elles disparurent derrière la porte que nous venions de franchir. Ocicat entreprit de mélanger ses cartes, avec une dextérité impressionnante.
- Je vous fais un tour de magie ? demanda-t-il au bout de quelques minutes.
C’est la première phrase presque aimable que j’entendais sortir de sa bouche. Je n’étais pas le seul étonné par cette proposition, nous nous regardâmes tous les yeux écarquillés. Même Orpin avait l’air curieux de voir la suite, oubliant sa rancune. Ocicat continua de mélanger ses cartes sans rien sembler remarquer.
- Euh, oui, ok… dit Dino.
Il mis ses cartes en éventail, et les tendit vers Orpin.
- Pioche une carte, sans me la montrer
Orpin s’exécuta.
- Montre-la aux autres, et mémorisez-la bien.
Nous nous penchâmes sur lui pour voir sa carte. C’était un quatre de carreau.
- C’est bon.
- Remets la dans le paquet, n’importe où.
Il tendit à nouveau son jeu, en tournant la tête et en fermant les yeux pour ne pas voir où Orpin la remettait.
- Voilà.
Ocicat réunit son jeu en petit tas, et le plaça sur le sol.
- Coupe.
Orpin coupa le jeu, puis Ocicat le pris dans une main, le lança dans son autre main en faisant voler les cartes, dans un sens, puis dans l’autre, et même horizontalement. Puis il refit un paquet, le tint fermement dans sa main gauche, et donna une pichenette sur le côté avec sa main droite. Une carte sortit à moitié du jeu, et il fit signe à Orpin de la prendre. Orpin tira la carte : c’était un quatre de carreau…
- Attends… Tu peux refaire ?
La porte se rouvrit, et les filles sortirent des toilettes improvisées en caquetant comme des Poolays.
- Alors, c’était bien ? leur demandais-je.
- Super, vous auriez dû venir ! me répondit Latigo.
- Mais je VOULAIS venir ! s’indigna Selco.
- Désolé mon pote, c’est avec nous que tu pisseras ! dit-je en entourant son cou de mon bras, le traînant à travers la porte.
Nous nous alignâmes face au mur, et l’arrosâmes généreusement.
- Je sais pas pourquoi, mais ça m’excite beaucoup moins…
Nous étions tous les 5 alignés face à un mur de terre, 5 personnes de race différente, de l’Eniripsa de la taille de trois Tofus empilés à moi-même, qui dépassais Selco de deux têtes… Tous les 5 alignés, en train d’uriner sur le même mur. C’était beau et complètement ridicule à la fois.
- Il pisse pas le Xelor ? demanda Ocicat.
- Non, et il ne mange pas non plus, ni ne dort. Enfin si, mais pas aussi souvent que nous : leur horloge interne est complètement différente de la nôtre, leur cycle est plus long, et ils vivent deux fois plus longtemps, expliqua Dino.
- Ah c’est pratique ça… dit-je en remontant mon slip.
- Dis donc, t’en sais des choses, papi ! dit Selco.
- Ah non ! Ne m’appelle pas « papi » !! J’ai à peine 50 ans !
- C’est ce que je dis.
Nous ressortîmes de la salle, et trouvâmes les filles en train de bavarder plus que jamais. Même Ahulane-la-timide s’y mettait : c’est dingue comme pisser ensemble peut créer des liens…
- Rapides les gars ! dit Prytwen.
- Oui hein ? Pas eu le temps de faire un tour de magie ? lança Ocicat.
- Heu… quoi ?
- Non, rien… répondit-il avec un sourire en coin.
Ça y est, Ocicat se met à faire de l’humour, c’est le début de la fin des cawottes sont cuites.
Nous ramassâmes les reste de notre pique-nique, Prytwen fit l’inventaire de ce qui n’avait pas été mangé, et rassembla le tout dans un baluchon.
- Il reste un paquet de chips goût Tofu grillé, un paquet de Shingelax multicolores, un fond de gelée fraise, quelques cuisses de Bouftou rôti, plein de briochettes et une gourde pleine de bière. On va garder tout ça pour la suite, on ne sait pas combien de temps il nous reste avant de voir le bout du tunnel…
- Je veux bien encore de la bière… dit Dino avec un air gourmand.
- Dino, je trouve que ça n’est pas très prudent avant un combat… le prévint Prytwen.
L’Enutrof prit une rasade de bière, puis s’essuya la moustache du revers de la main.
- Et pourquoi ? Il y a des guerriers qui se saoulent exprès avant les combats, voire pendant, ça leur confère courage et force !
- N’importe quoi…
- Mais bien sûr que si, ma jolie, sur une île loin à l’est d’Astrub vit un peuple adorant la Déesse de la boisson et de la fête…
- Non mais N’IMPORTE QUOI…
- Mais SI ! Puisque j’y suis allé !
- Et pourquoi personne à part toi n’en a jamais entendu parler ?
- Mais parce que c’est loin, et parce que vous ne connaissez rien, et parce que j’ai voyagé, moi !
- Et t’as rien trouvé de mieux pour pouvoir boire tranquille ?
- Mais… mais PAS DU TOUT ! Je vous jure que c’est VRAI ! Une île recouverte de forêts, et avec des monstres terribles ! Et un village dont les habitants boivent pour vénérer leur Déesse ! Même les femmes boivent et… Ha les femmes, elles sont superbe, ces courbes, ce pelage, rhaaahhh…
- Bon, Dino…
- JE JURE QUE C’EST LA VERITE !!!
- Dino, mon pote, je te crois moi, je te crois… lui dis-je en le prenant par les épaules. Quand tout ça sera terminé, tu m’y emmèneras, et on boira tout ce qu’on pourra, entre hommes, c’est trop beau pour ne pas être vrai ce que tu dis !
- OUAIS CATIMURON MON POTE ! ET ON LEUR EN LAISSERA PAS UNE GOUTTE !!
- Eh nan moi je veux venir eh…
- OUAIS, SELCO AVEC NOUS !!
Tout à coup, le sol trembla sous nos pieds, nous arrachant à nos délires, nous rappelant à la dure réalité…
Un silence de mort était retombé dans la salle… Nous nous regardâmes les uns les autres, l’oreille tendue, à l’affût du moindre bruit. J’avais machinalement porté ma main à mon bâton…
- C’était lui… chuchota Orpin.
En guise de réponse, un cri terrible retentit, le même cri que celui que nous avions entendu dehors, mais d’une puissance telle que les murs en tremblèrent. Callune se boucha les oreilles et hurla de frayeur, mais je l’entendis à peine. J’étais tétanisé, les yeux exorbités fixant la porte, incapable de bouger le moindre muscle. Cet instant me parût durer une éternité…
Le cri s’éteignit brusquement, répété en écho pendant quelques secondes encore. Nous étions figés comme des statues, seuls les sanglots de Callune venaient troubler le silence de mort qui était retombé sur nous. Je me retournais lentement vers mes camarades. Callune était dans les bras d’Orpin, qui lui disait des paroles réconfortantes en bégayant. Ahulane serrait mon bras comme une poupée. Selco, derrière ses allures de fier chevalier sans peur, n’en menait pas bien large non plus… Ret’Syo n’avait pas bougé, et regardait la porte fixement, ses bandages masquant toute trace d’émotion. Il mit cependant un long moment avant de réaliser que son chapeau était tombé. Ocicat avait fait un bond impressionnant en arrière, et avait sorti son épée de son fourreau, toutes griffes dehors, les poils de la queue hérissés.
Moi-même, je crois bien que si je n’avais pas été aux toilettes juste avant, je me serais fait dessus…
Feth-Fiada fut la première à recouvrer ses esprits. Ses yeux écarquillés quittèrent enfin la porte, elle se tourna vers nous et pris la parole d’une voix qui se voulait ferme et rassurante, mais qui tremblait cependant un peu.
- Bon, au moins on sait où on est dans notre avancée. On a bien fait de s’arrêter à cet endroit… On ne se laisse pas impressionner, d’accord ? Il crie plus fort que nous, c’est un fait, mais ça n’est pas un concours de cris ici, on est venus lui défoncer la tronche, et on va le faire. Alors c’est parti.
- Non attendez, c’est pas parti : on va en profiter pour mieux se préparer, et élaborer un plan de combat, clama Dino en se plaçant au milieu du groupe.
- Pour commencer, une chose importante : il faut tout d’abord qu’Orpin et Callune lancent un sort de stimulation, qui nous sera plus qu’utile. Il faudra vous placer comme ils vous l’indiqueront.
- En fait c’est assez simple, dit Orpin, qui serrait toujours Callune dans ses bras. Au début du combat, restez près de nous, bien alignés. On s’occupe du reste. Veillez à ne pas trop vous éloigner de nous au cours du combat, qu’on puisse intervenir à tout moment en cas de besoin.
- Je connais également un sort utile en début de combat, dit Ret’Syo. Un sort de dévouement, qui vous accélérera. De même que pour Orpin et Callune, essayez de rester alignés.
- Ok, Orpin, Callune et Ret’Syo se placent au milieu de la ligne, reprit Dino.
Il s’accroupit, et dessina des symboles au sol en donnant des indications. J’avoue que je n’ai pas vraiment tout écouté, le décolleté de Feth-Fiada étant, ma foi, bien plus intéressant, mais on ne me demandait pas grand-chose de bien difficile pour ce combat.
- …et Selco, toi, tu tapes.
- OK CHEF !!
Je remarquais alors le regard de Latigo : elle regardait quelque chose derrière moi avec des yeux horrifiés. Je me retournais pour voir : Obside était adossée au mur de la galerie, sans expression, ses yeux sans pupille perdus dans le vague. Elle était en train de se lacérer consciencieusement l’avant-bras avec son canif… Elle le plantait dans ses chairs, faisait glisser la lame le long du bras, la tournait pour écarter la plaie et faire couler le sang, puis recommençait. Je me retournais vers Dino, espérant une explication sur cet étrange rituel. Il leva les yeux de son plan de bataille, et remarqua alors la scène à laquelle nous étions tous en train d’assister sans la comprendre.
- Oh… ça n’est rien, ne vous inquiétez pas, Obside va bien et elle sait très bien ce qu’elle fait, nous dit-il à voix basse. C’est un rituel Sacrieur destiné à canaliser la douleur, à la dominer, pour la transformer en force. Attendons qu’elle termine, rééquipez vous en attendant.
Nous nous mîmes à l’œuvre, en gardant néanmoins un œil inquiet sur elle. Le sang tombait à grosses gouttes sur ses pieds nus. Elle continua jusqu’à ce que son bras soit recouvert de rouge, de son coude au bout de ses doigts.
- Bon, ça suffit là, elle va arrêter quand même… murmura Latigo, pâle.
En effet, Obside laissa son bras gauche en paix. Elle changea sa lame de main, et la planta dans son bras droit avec le même calme et la même concentration. Latigo porta une main à sa bouche, et détourna les yeux.
Callune, elle, à mon grand étonnement, n’étais nullement dégoûtée. Elle l’observait tranquillement, l’air intéressé. Après tout, elle est médecin, elle doit en avoir vu des bobos… Je décidais d’examiner une dernière fois mon sac de graines, et d’en faire l’inventaire, pour détourner l’attention de mon envie de vomir. Le silence pesant qui régnait était impressionnant. Nous étions tous tendus, concentrés, et – il faut bien l’avouer – morts de trouille.
- Allons-y.
Obside quitta son mur, les bras plus rouges que si elle les avait plongés dans un pot de teinture, et se plaça devant la porte. Une étrange aura de puissance se dégageait d’elle.

obside.jpg

- Prêts ?
- Ouvre !
Elle fit voler la porte en éclat d’un puissant coup de pied. Nous nous précipitâmes dans l’ouverture à sa suite, nous plaçant en ligne comme Dino l’avait dit. Orpin et Callune prononcèrent leurs formules magiques à voix basse, Ret’Syo faisait des gestes que je devinais dans la pénombre, et je me sentis tout à coup prêt à l’impossible, la fatigue du chemin avait disparu, je me sentais plus en forme que jamais. Il faisait chaud comme dans un four, et quelque part devant moi, j’entendais une respiration sourde et profonde.
- Attention ! chuchota Ahulane, haletante. Prêts ?
Sans attendre de réponse, elle décocha une série de flèches enflammées qui allèrent se ficher dans les parois de l’immense grotte où nous nous trouvions. Nous découvrîmes alors le visage de notre adversaire.
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• Chapitre 6 : extrait des récits de voyages de Selco

Un immense lézard rouge sombre se dressait devant nous. Une épaisse armure d’écailles recouvrait son dos de la gueule à la queue, le tout parcouru de pointes hérissées en tous sens. Dès que la lumière se fit, il se dressa vivement, et nous toisa du regard. Nous restâmes immobiles à le regarder, à l’affût du moindre de ses mouvements. Ses yeux ocre qu’une pupille verticale fendait en leur milieu nous regardaient fixement. Il devait être assez surpris d’avoir de la visite… Apres quelques secondes d’un face à face silencieux, il se retourna vivement et donna un violent coup de queue sur le sol, creusant une large tranchée d’où surgirent plusieurs monstroplantes tels que nous en avions vaincus plus tôt.
- Ceux-là, j’en fais mon affaire !
Latigo libéra son fouet de sa ceinture, et le fit tournoyer autour d’elle dans un sifflement.
- Attaquez le gros, je m’occupe d’eux !
Je bondis au dessus de la barrière végétale que le dragon avait invoqué pour se protéger, et déchaînais une Tempête de Puissance sur lui. Celui-ci cilla à peine.... En guise de réponse, il brandit sa queue au dessus de ma tête. Je bondis à nouveau sur le côté, et le coup s’abattit dans le vide. Un trou profond s’était creusé là où je me trouvais une seconde plus tôt…
Je sentis alors une main se poser sur mon épaule, et j’entendis la voix de Fiada.
- Va Selco ! Frappe !
Je me retournai, mais ne vis personne…
- … Fiada ? C’est vous ?
- Tu es invisible imbécile ! Fonce !
Je courus alors en direction du monstre, me faufilai entre ses pattes, et lui plantai mon épée dans le flanc, là ou les écailles se faisant plus espacée et la chair plus vulnérable. Le dragon hurla de douleur, et se retourna pour m’attraper… mais j’étais déjà de l’autre côté, et lui infligeais une nouvelle blessure. Ocicat m’avait rejoint, et donnait des coups de lame en chœur avec moi. Le monstre ne savait plus où donner de la tête : il tournait en rond, en claquant férocement des dents, cherchant vainement à nous mordre. Il fut vite lassé de ce petit jeu : il se leva sur ses pattes arrière, et se laissa retomber lourdement pour nous écraser. Je bondis de justesse, et atterris derrière un rocher. Ahulane était là, en embuscade, et essayer de tirer ses flèches juste entre les écaille (et elle y arrivait en plus). Je cherchais Ocicat du regard : il s’en était également sorti, et s’était accroché au mur avec ses griffes. Il se mit à escalader la paroi jusqu’à une corniche, d’où il se mit à tirer ses cartes mortelles.
- Ah pas bête… je devrais peut-être me mettre en hauteur moi aussi ? demanda la Crâ.
- Je t’aide !
Je l’attrapai par la taille, grimpai sur le rocher, sautai le plus haut possible sur la paroi et m’accrochai d’une main à la corniche où Ocicat avait trouvé refuge. Ce dernier aida la fillette à grimper avec lui, et je me laissai retomber à terre. Je regardai où en était Latigo : elle donnait du fouet à tout va, et gardait à distance les trois créatures qu’elle n’avait pas encore tuées, tout en maintenant soigneusement leur attention sur elle. Je jetais un œil à mes pieds : ils étaient revenus, le sort d’invisibilité de Feth-Fiada avait cessé de faire effet sur moi sans que je ne m’en aperçoive.
La voix de Prywen retentit alors, répétée en écho par les parois de la grotte :
- Selco ! Essaie de le faire reculer si tu peux !
J’attendais que le dragon cesse de regarder dans ma direction, et fonçais sur lui à toute vitesse, enfonçant mon épaule dans son flanc de toutes mes forces. Déséquilibré, il fit quelques pas sur le côté, et il y eût une gerbe de flammes qui lui brûla les pattes et le ventre. La bête gémit : elle venait de marcher sur une glyphe enflammée ! J’en profitais pour entailler son ventre profondément à deux reprises, et courus me réfugier dans la tranchée d’où avaient émergé les monstres végétaux. Catimuron était assis là, très concentré sur l’objet qu’il tenait dans ses mains, qu’il manipulait avec délicatesse. Presque avec tendresse, je dirais.
- Allez, va petite !
Il déposa une petite poupée rafistolée sur le sol. Celle-ci se mit en marche, clopin-clopant, en direction du dragon. Elle se faufila sous lui sans qu’il ne la remarque, poussa un étrange petit cri, et explosa violemment, brûlant le flanc du reptile géant.
Latigo surgit précipitamment dans le trou, et se laissa tomber à côté de moi.
- C’est bon, j’ai nettoyé ce qu’il nous avait envoyé. Coriaces les bestioles…
Elle se tenait le ventre d’une main, son autre bras pendait sur son côté, ruisselant de sang.
- Tu devrais aller voir un Eni… lui conseillais-je.
- J’y allais…
- Je t’accompagne, dit Catimuron en empoignant son bâton. Accroche toi à mon cou…
Latigo grimpa sur le dos du Sadida, s’agrippant avec difficulté à ses longs cheveux verts. Catimuron sauta hors du trou, et courut vers un gros rocher, derrière lequel Dino, Ret’Syo et Callune étaient embusqués. Hélas, le dragon le remarqua immédiatement : il ouvrit grand la gueule et en sortit une langue monstrueuse, qui alla faucher les jambes de Catimuron au beau milieu de sa course. Il trébucha et tomba à plat ventre, faisant rouler Latigo blessée à quelques mètres de lui… Le monstre amorça sa marche vers les deux jeunes gens désarmés, qui ne pouvaient que le regarder avancer sur eux, les yeux brillants de gourmandise… Ocicat bondit de sa paroi rocheuse, s’agrippa à la peau écailleuse du reptile, et planta ses griffes dans son œil. Aveuglé, celui-ci cria en secouant violemment la tête, déséquilibrant l’Ecaflip qui se rattrapa de justesse à une épine dorsale. Je bondis alors de ma cachette, et plantais mon épée dans la patte du monstre, le clouant littéralement au sol. Obside vint me prêter main forte en labourant le ventre du monstre de coups de pieds, en en équilibre sur les mains, avec une telle force que la peau écailleuse se creva, faisant couler le sang à flots. Fou de douleur, le reptile se leva de nouveau sur ses pattes arrière. Je bondis immédiatement à l’abri derrière le gros rocher, avec Dino et compagnie. Le monstre retomba lourdement, faisant trembler la grotte toute entière.
- Besoin de soins, Selco ?
Callune était penchée sur Latigo, qui ne saignait déjà plus. Elle avait retrouvé des couleurs, et semblait prête à retourner au combat.
- Non c’est bon, pas une égratignure pour le moment. Désolé !
- Je vais l’immobiliser, dit Catimuron en sortant une poignée de graines de son sac. Nous aurons quelques minutes pour l’attaquer tous en même temps de toutes nos forces.
- Je vais le ralentir au maximum, dit Ret’Syo en relevant ses manches. Si tout se passe comme je le souhaite, il sera alors incapable du moindre mouvement, et deviendra aussi inoffensif que lorsqu’il était dans l’œuf d’où il n’aurait jamais dû sortir.
Le lézard géant était en train d’essayer d’attraper Ahulane, toujours perchée sur sa corniche. Elle était plaquée contre la paroi, figée par la peur, tandis que le monstre la regardait comme un enfant convoite une friandise en haut d’une étagère, le cou tendu, les yeux brillants, les mâchoires claquant à quelques centimètres d’elle. Ret’Syo prononça des paroles dans sa langue en dessinant des symboles lumineux devant lui, tandis que Catimuron semait ses mystérieuses graines à ses pieds. Des lianes sortirent de terre, ligotant les pattes de l’animal, qui se retourna furieusement, avant de se figer comme une statue.
- Tout le monde sur lui !! cria Fiada rageusement, bondissant de derrière le rocher, brandissant sa dague. Je lui emboîtais le pas, l’épée en avant, et tous ensemble nous rouâmes le dragon de coups. La bête ne pouvait que nous regarder faire, impuissante, la pupille dilatée par la douleur et la rage, incapable même de crier. Nous nous y donnions à cœur joie : le monstre n’était plus qu’une plaie sanguinolente, transpercé de flèches, roué de coups de bâton, lacéré par les lames de nos épées et nos dagues, les os brisés sous les coups des marteaux et des pelles. Même Orpin et Callune participaient à la boucherie, en lançant des petites boules de feu dans les yeux du dragon.
- Attention, reculez ! prévint Dino.
Le sort du Xelor avait cessé de faire effet. Dans un dernier effort, le monstre se débattit, déchirant les lianes qui le retenaient prisonnier. Nous reculâmes prudemment de quelques pas. Il nous jeta un regard plein de haine, fit un pas vers nous, tituba, et s’effondra. Ses pupilles dilatées ne nous lâchaient pas, et il laboura le sol de ses pattes pour essayer de se relever.
- On fait quoi ? On l’achève ? demanda Prytwen, que le spectacle de la bête agonisante révulsait.
Mais le monstre n’était pas de cet avis : il inspira profondément, et se mit à hurler à pleins poumons, si fort que tous mes os vibrèrent. Je me bouchais les oreilles, et cependant le cri me déchira les tympans. Lorsque je rouvris les yeux, je ne compris tout d’abord pas ce que je vis. C’était comme si une main invisible avec échangé notre dragon blessé à mort contre un dragon tout neuf…
- Par les doigts d’Enutrof… !
- Mais enfin qu’est-ce que… ?
- On est mal : il s’est régénéré…
Le vieux eût à peine le temps de finir sa phrase que le dragon, trop content de nous avoir à sa merci, profita de son effet de surprise. Il ouvrit sa gueule hérissée de crocs, et cracha un énorme jet de flammes. J’attrapai Callune sous le bras, et bondissais sur le côté. Je me retournais pour voir si il y avait eu des victimes : Prytwen et Obside n’avaient pas eu le temps de s’enfuir. Heureusement, dans un réflexe salvateur, Prytwen avait brandit son bouclier devant elles, et elles ne furent brûlées que légèrement. Le monstre ne nous accorda aucun répit : il était plus furieux que jamais, et devait s’être juré d’avoir notre peau. Il se retourna vivement, et abattit sa queue sur le sol, créant une crevasse d’où jaillirent une nuée de bestioles. Nous étions retournés au point de départ, mais en pire…
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