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Pour une fois, je suis assez content de ce que j'ai écrit. Je suppose que comme par hasard c'est celui que vous allez le moins aimer
Introduction Chapitre I Chapitre II Chapitre III Chapitre IV Chapitre V Chapitre VI Chapitre VII Chapitre VIII Chapitre IX Chapitre X Chapitre XI Chapitre XII Chapitre XIII --------------------------------------------------------------------------- Shareen porta sa main à sa bouche pour étouffer le cri incrédule qui montait en elle. Semos était mort et bien mort, il n’y avait aucun doute. Sa gorge n’était plus qu’une ruine ensanglantée alors qu’il gisait sur le sol, les yeux vitreux. Et elle l’avait senti venir. Elle avait vu les yeux de Rekk se plisser, sa bouche se tordre en un rictus amusé alors qu’il frappait. A bien y réfléchir, elle s’en était douté dès le clin d’œil qu’il lui avait fait ; sa façon à lui de lui dire qu’il y allait avoir du spectacle. Jamais le Démon Cornu n’avait épargné ses ennemis. Aujourd’hui, l’histoire se répétait. " Il est… mort " balbutia-t-elle. Elle avait envie de vomir. " Par les démons, qu’est-ce que ton ami vient de faire ? " murmura le garde à ses côtés, les yeux exorbités. Rekk jeta son arme au sol. Dans le silence absolu, le claquement du bois contre les dalles parut se réverbérer mille fois contre les murailles de l’Académie. On entendait dans le lointain des bruits de marmites agitées dans les cuisines et, étouffés par les hauts murs de brique, les bruits de la rue et les exclamations des camelots. A vrai dire, le seul qui ne parût pas affecté était Rekk lui-même. Pour toute l’agitation qu’il manifestait, il aurait pu être tranquillement en train de siroter son brandy dans la tour. Souriant paisiblement, il s’inclina devant les maîtres de l’Académie. " Le duel est terminé. Le premier sang a été versé. Mon honneur est satisfait " fit-il. Maître Heilban eut un sursaut, arrachant avec effort son regard du corps sur le sol. " Qu’est-ce que… vous avez fait ? " murmura-t-il, incrédule. " Un accident fâcheux. Je voulais le toucher à l’épaule, mais j’ai glissé " " Ne vous foutez pas de moi " hurla l’homme. Heilban s’était toujours montré inflexible sur la discipline et la courtoisie qui devaient régner au sein de l’académie. Jamais on ne l’avait vu élever la voix. Il avait déjà fouetté bien des élèves pour s’être montrés vulgaires ou insolents. Qu’il s’abaisse jusqu’à jurer ainsi montrait bien à quel point il était choqué. " Gardes ! Emparez-vous de cet assassin ! " " Non ! " cria Shareen. “ Désolé, petite… peut-être nous reverrons-nous ? " fit l’homme avec qui elle s’était entraînée, le regard plein de regrets. Pour tout dire, il paraissait moins affecté par la mort devant ses yeux et la tâche qui lui incombait qu’au fait de se séparer de la jeune fille. " Le devoir m’appelle " Les dix gardes de Semos se déployèrent autour de Rekk sans que celui-ci fît un seul mouvement pour les en empêcher. Plusieurs autres guerriers de l’académie, qui s’étaient fondus dans la foule pour observer le duel, tirèrent leur épée. Certains avaient des arbalètes, et les pointaient maintenant sur le Banni. " Eh bien, eh bien " tempéra celui-ci, levant une main ouverte vers Heilban. " Qu’est-ce que c’est que cette démonstration de force ? " Heilban tremblait de fureur. " Ta place est aux galères, assassin, ou écartelé sur la place publique. L’Empereur jugera de ton sort. Déboucle ton ceinturon ! " " Puisque je vous dis que c’est un accident… Je vous ferais remarquer que c’est votre maître Semos lui-même qui a demandé ce duel " " Nous verrons bien ce que pensera l’Empereur de cet accident " siffla Heilban. " Et déboucle ton ceinturon ! " Lentement, Rekk approcha sa main de sa poche, dans laquelle se trouvait la lettre qui cautionnait ses actes. Le cliquetis des arbalètes le fit s’arrêter. " J’ai ici, dans mon manteau… " " Ton ceinturon ! Tout de suite ! " cracha Heilban. Avec un soupir, le Banni laissa tomber son arme au sol. " Voilà. Vous êtes contents ? Maintenant, comme je vous le disais, j’ai une lettre de l’Empereur qui… " " Tu nous as déjà montré cette lettre. Gloire et Honneur à l’Empereur. Si ce que tu as fait était sa volonté, alors je m’inclinerai. Mais tu vas tout d’abord nous suivre au Palais. Je ne peux pas croire que la mort de Maître Semos soit de la volonté de l’Empereur " " Vous refusez d’obéir à un message expressivement signé de Sa Grâce ? Il risque d’être de mauvaise humeur, ne croyez-vous pas ? " Rekk haussa les épaules. " Mais si cela vous fait plaisir… " " Je pense que l’Empereur comprendra que dans de telles circonstances, j’aie besoin d’une confirmation. Si vraiment vous aviez raison… je vous prierai d’accepter mes excuses. Mais pour l’instant, j’ai bien peur qu’il vous faille nous suivre " " S’il faut vraiment en passer par là… " Rekk soupira théâtralement. " Mais dépêchons-nous " Maître Heilban lui lança un regard perçant. Neuf arbalètes étaient prêtes à tirer sur un simple geste de sa part, vingt lances pouvaient s’enfoncer dans la poitrine de l’homme qui leur faisait face, pourtant, celui-ci réagissait comme s’il n’éprouvait aucune crainte. C'était… perturbant. Il s'était déjà entraîné contre maître Semos à l'occasion, et il savait parfaitement le niveau qu'avait le seigneur de l'académie. Gundron aurait probablement pu le vaincre, certainement – Heilban était assez intelligent pour comprendre que quelque chose avait dû se passer qui avait truqué le combat d'une manière ou d'une autre. Mais, même s'il n'était pas aussi doué qu'il aimait à le prétendre, Semos restait une très bonne lame. Que quelqu'un puisse le vaincre aussi facilement, voilà qui donnait à réfléchir. Et, non seulement vaincre, mais porter un coup mortel sans hésitation. Une habileté angélique et des nerfs démoniaques. Heilban plongea ses yeux dans le regard noir de l’homme en face de lui, et décida qu’il ne prendrait pas de risques. Si jamais le baron Gaffick souhaitait jouer au plus malin, il ordonnerait aux arbalétriers de tirer. Après tout, lui aussi pouvait faire des erreurs… Mais Rekk n’opposa aucune résistance alors qu’un garde s’approchait pour s’emparer de son épée, sur le sol, et que les lances se rapprochèrent jusqu’à effleurer sa poitrine. " L’Empereur est à la chasse aujourd’hui, avec une grande partie de sa cour " fit Heilban lorsqu’il fut certain que l’homme était maîtrisé. " Il ne reviendra pas avant demain, dans la matinée, si le gibier s’est révélé abondant. Pendant ce temps, vous serez sous ma responsabilité. Une pièce vous sera donnée dans la tour des maîtres, et je veillerai à ce que vous ne manquiez de rien " "Demain ?" Rekk fronça soudain les sourcils. "J'avais complètement oublié qu'il était censé partir dans la campagne aujourd'hui. Mais je ne peux pas me permettre d'attendre demain." "C'est pourtant ce que vous devrez faire, Baron. Croyez bien que je le regrette si vous êtes celui que vous prétendez être, mais je pense que vous comprenez ma position" Rekk resta un instant silencieux. Son regard se posa sur Shareen et Malek, dans un coin, et il soupira. "J'avais un rendez-vous important ce soir. Mais je suppose que je n'ai pas le choix. Je vous suis, maître. Mais j'espère bien que quelqu'un ira à ma place au rendez-vous en question" Heilban fronça les sourcils. "Je peux arranger cela, bien entendu. Qui désirez-vous que nous prévenions ?" "Cela n'a aucune importance" fit Rekk. Il sourit. "Si jamais vous aviez une bonne bouteille de brandy, l'attente pourrait même se révéler agréable" Shareen n'entendit pas la réponse furieuse de maître Heilban, alors que ses oreilles bourdonnaient. Il était évident que Rekk leur avait demandé de rencontre Dani pour lui, puisqu'il allait se retrouver emprisonné. Mais, à voir les regards soupçonneux des gardes autour d'elle et de Malek, cela n'allait pas être facile. "Filons d'ici avant qu'on se rappelle notre présence" murmura-t-elle à Malek. Le jeune homme acquiesca de la tête. Il fallait profiter de la commotion provoquée par le Banni – par le Baron Gaffick – pour tenter de s'éclipser. Lentement, d'un air dégagé, ils se dirigèrent vers les lourdes doubles portes de l'Académie. Se retournant furtivement, Shareen pouvait voir Rekk se faire conduire dans la grande tour, toujours encadré d'une haie de gardes. La plupart des yeux étaient tournés vers la scène du duel, mais ils ne pouvaient échapper à l'attention de tous. "Hey, vous ! Où croyez-vous aller ?" clama un garde, pointant le doigt vers eux. "Vous êtes venus avec le baron Gaffick, non ?" s'exclama un autre. "Attendez un peu !" "Je les connais !" siffla une voix dans la foule. "Ce sont Malek et Shareen, ce sont des déserteurs !" "Attrapez-les !" La première exclamation n'avait pas encore résonné à leurs oreilles qu'ils filaient déjà ventre à terre. Les gardes parurent hésiter entre surveiller Rekk et partir à leur poursuite. Trois se lancèrent à leurs trousses, mais la peur et l'excitation donnaient des ailes à Shareen. Malek courait plus vite qu'elle, mais elle serra les dents, tentant d'imiter ses grandes foulées qui avalaient la distance. Ils s'engouffrèrent entre les deux portes de l'Académie, et continuèrent à courir en atteignant les rues encombrées de la ville périphérique. Les artères grouillaient de monde, et ce fut un jeu d'enfant de semer enfin les gardes. Dans toute autre ville, peut-être les habitants auraient aidé les soldats à rattraper les deux jeunes gens, mais pas à Musheim. Un conducteur de char fit avancer ses bœufs négligemment pour bloquer la rue que venaient de prendre les fugitifs, alors qu'une vieille femme portant un plateau de pommes vint heurter de plein fouet la patrouille hors d'haleine. Les pommes roulèrent sur le sol, et elle se jeta dessus pour les récupérer, ajoutant au désordre ambiant. "Elles sont toutes sales, maintenant !" gémit la vieille femme. "Pauvre, pauvre Pedra, ses pommes sont boueuses, qui va manger des pommes boueuses, que va manger Pedra ?" Elle tira sur la manche d'un des gardes, qui ordonnait au conducteur des bœufs de bouger sa charrette. "Paie, paie les pommes de Pedra ! Tu salis, tu paies !" "Fous-moi la paix, vieille folle !" gronda le garde, agitant le bras pour se libérer. Mais le mal était fait. Les deux fuyards n'étaient plus en vue. Appuyée contre un mur, Shareen reprenait lentement son souffle. Malek la regardait, vaguement surpris. Il ne pensait pas qu'elle ait pu courir ainsi. Il avait toujours été parmi les meilleurs à la course à pied, à l'académie. Qu'une fille parvienne à le suivre aussi facilement, dans tous les tours et détours qu'il avait pris pour semer les gardes, le surprenait beaucoup. A vrai dire, c'en était même un peu vexant. Il n'avait jamais fait attention à la jeune fille lorsqu'elle était à l'Académie mais, en y regardant de plus près, elle était effectivement assez athlétique. Le mois de privation qu'elle avait subi, sans compter le voyage harassant, avait fait fondre les derniers restes de graisse de son adolescence, et elle était maintenant svelte et mince comme un roseau. Sous l'effet de la transpiration, ses vêtements lui collaient à la peau, révélant une poitrine finalement pas si petite que cela, et bien dessinée. "Qu'est-ce que tu regardes ?" fit Shareen, acerbe. "Rien, rien" Il détourna les yeux, coupable. "Je crois qu'on les a semés" "Oui, je n'entends plus aucun signe de poursuite…" Malek soupira. "Si seulement Rekk ne se conduisait pas ainsi comme ça en permanence…" "J'espère qu'ils ne vont pas trop mal le traiter" "J'espère surtout qu'il ne va pas tous les tuer" grinça Malek. "Quelle mouche l'a piqué de tuer ainsi Maître Semos ? Et devant tout le monde, en plus ?" "Je pensais que tu aurais apprécié sa méthode. C'était très licornéen, après tout. Du grand spectacle, un duel regardé par près de cent personnes… Tu aurais préféré un coup de poignard dans le dos ?" "Ce n'est pas une histoire de méthode, Shareen, et tu le sais très bien ! C'est simplement trop… brutal" La jeune fille renifla. "Ca ne te gênait pas, pourtant, d'envisager Rekk en train de déchiqueter l'assassin de Deria en petits morceaux. Tu avais même l'air plutôt désireux de participer à la curée, eh ?" "Ca n'est pas la même chose ! Et, oui, j'ai toujours envie de voir ce monstre souffrir avant de mourir pour payer ses crimes. Mais ce n'est pas pour ça qu'il faut laisser une piste sanglante partout où l'on passe !" Il se passa la main dans les cheveux, frustré de ne pouvoir bien exprimer sa pensée. "On dirait qu'il ne sait réfléchir qu'avec son épée ! Là encore, dans l'académie, je suis sûr qu'il a envisagé pendant un instant de se frayer un chemin dehors à la pointe de l'épée. Bah !" Shareen le regarda, les yeux brillants de colère. "Arrête de dire des bêtises, Malek ! Tu oublies peut-être que c'est Semos qui voulait nous tuer ? C'est à cause de lui, justement, qu'on a eu tous ces problèmes. C'est lui qui nous a envoyé des tueurs et des chasseurs de primes au trousses. Je ne sais pas si tu te souviens vu que tu n'as rien fait du combat, mais moi je sens encore la pointe de la dague contre ma gorge" "On n'est même pas sûrs que ce soit lui ! Je ne sais pas ce que Rekk a découvert en discutant avec lui, mais en tout cas il n'a pas pu nous mettre au courant" "Je suis sûre que c'est lui. Rekk n'aurait jamais tué un innocent" "Crois-tu ?" Shareen rougit, et Malek leva les bras au ciel de frustration. La jeune fille était peut-être plus mignonne que dans son souvenir, mais elle était aussi obstinée qu'une mule. Visiblement, elle continuait à croire que Rekk avait un bon fond. Malek avait depuis longtemps cessé de le croire. "Quoi qu'il en soit, c'est maintenant à nous de retrouver Dani et de lui expliquer ce qu'il se passe" Le jeune homme leva les yeux vers le soleil. "Il n'est pas très tard. Nous avons toute la journée à attendre. Elle nous avait dit de la rejoindre au crépuscule. Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire pendant ce temps ?" "Attendre, je suppose. Je ne nous vois pas revenir au palais, et encore moins à l'académie. La grotte fera une bonne cachette, tu ne penses pas ?" Il n'y avait pas beaucoup d'alternatives. Ils attendirent quelques instants, pour être certains que les gardes n'étaient plus dans les environs, puis ils se mirent en route. Shareen s'arrêta quelques instants pour sortir ses dernières piécettes de sa bourse. Elle acheta un bol de soupe au lard, au fumet délicieux et un peu de pain. "Tu en veux ?" Elle tendit le bol vers Malek. Le jeune homme grimaça. "Très peu pour moi, non. Je déteste la soupe" "Tu devrais, ça te rendra grand et fort" Elle ricana. "Si tu ne bois pas ta soupe, jamais tu ne deviendras comme Rekk" "Raison de plus pour ne pas manger…" "Ne fais pas ton timide, vas-y !" Elle avança une cuillère pleine de soupe vers sa bouche et éclata de rire devant ses efforts pour l'éviter. Il finit par sourire aussi, et grimaça lorsqu'elle en profita pour vider le contenu de la cuillère entre ses dents. Il cracha, alors que le liquide coulait sur ses habits. "C'est malin !" gronda-t-il, mi-amusé, mi-furieux. Alors qu'elle se confondait en excuses ironiques, il la regarda plus attentivement. Elle avait quelque chose en elle de changé, quelque chose qui tranchait avec son côté introverti et posé à l'Académie. Il haussa un sourcil, et l'attira vers lui. "Je connais un moyen beaucoup plus agréable de passer le temps que de rester à nous morfondre dans une caverne" lui murmura-t-il à l'oreille. "Il doit bien y avoir quelques auberges, par ici…" Sa vision vacilla un instant, alors qu'une vive chaleur irradiait de sa joue gauche. Il lui fallut un instant pour comprendre qu'elle venait de le gifler. "Tu es un porc, Malek ! Un porc !" cracha-t-elle. A la grande surprise de la jeune fille, il éclata de rire. "Et toi, tu ressembles de plus en plus à Deria…" Shareen rougit furieusement. |
22/04/2003, 18h54 |
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