[Nouvelle] J'ai huit ans

Répondre
Partager Rechercher
J’ai 8 ans

Il pleut. Il est tard, trop tard pour laisser les enfants courir dans les rues boueuses, même dans les favelas de Rio. La pluie cogne les toits de tôles ondulées. Les murs de bois absorbent l’humidité à en devenir friables. Les briques des maisons inachevées sont passées du orange au rouge. L’eau coule depuis le haut des collines et forme des ruisseaux de boue qui se mêlent aux ordures laissée à l’abandon. Les grosses goûtes qui tombent du ciel forment sur le sol des cratères miniatures, qui s’effacent sous l’averse. Avalé par la terre l’eau claire prend des couleurs brunes. Ici, même ce qui tombe du ciel est sali par la crasse d’une vie à l’abandon.

« Léo ! » hurle une voix lointaine. Ce n’est pas une femme qui appelle.

Le souffle d’un coureur se rapproche. C’est une respiration à bout. Il laisse des traces sur le sol. Comme dérangé par les pas de l’homme, l’eau conquérante recouvre aussitôt les marques. Les coupables sont des petits pieds d’enfant maculés de boue. Ses chaussures sont en lambeau, peut-être même plus vieilles que celui qui les porte. Léo a huit ans.
Ses jambes maigres ont du mal à le maintenir. Effrayé par quelque chose qui le poursuit, l’enfant blond ne peut s’empêcher de regarder vers l’arrière. Léo court depuis la colline, tenant en main un objet métallique. Ses yeux écarquillés ruissellent d’une eau transparente. Son visage est bruni par le soleil et la terre. Il porte des vêtement vieillot. Un T-shirt bleu à la couleur délavée et un bermuda beige qui s’arrête à mi-cuisse. Il est trempé, bien entendu, et ses mains et ses pieds sont noire de boue.

« Léééééo ! » cette fois le cris est colérique, agacé même, comme lassé de courir. L’a-t-il vu celui qui le poursuit ?

Une petite ruelle transversale croise l’allée des collines et l’enfant s’y précipite. A bout de souffle il saute derrière un tas d’ordure, se met dos à un mur, s’agenouille et reprend sa respiration. Déjà la boue emporte ses traces, tendis que la pluie tombe sur le visage juvénile.
A y regarder de plus près, Léo a les yeux verts. son visage arrondi est maculé de tâches de rousseurs. Une ligne de sang coagulée croise son sourcil gauche, témoignant d’un coup qu’il a reçu il y a peu de temps. Son nez est droit et ses lèvres son fine. Une bouche timide pincé par la peur. A moins que ce ne soit de la rage… Dans sa main droite il tient un objet de métal. C’est un revolver. Un objet bien trop lourd pour un enfant de 8 ans.
Angoissé, Léo regarde vers la rue. De l’autre côté un vieil homme se cache derrière un rideau blanc pour observer la scène. Il a entendu les cris, cela ne fait aucun doute. Il a vu la course, et à présent il regarde vers la ruelle.

« pardon maman. » murmure Léo contre le vent. Les deux main sur la crosse, a qui Léo fait-il sa prière silencieuse ?

Fidel est un octogénaire méfiant. Ses yeux son cernés de rides qui accentuent son côté curieux. Les yeux plissés comme pour projeter sa vue, il tarde à réagir. Ces scènes son presque commune dans les favelas. A 80 ans Fidel a vu plus d’un enfant mourir sous les coups d’une bande d’adolescents. Parfois sans aucune raison.
Fidel a les yeux gris, neutre. Les cheveux blanc et la peau presque noir. C’est le soleil qui lui a donné cette couleur mais ce n’est pas lui qui l’a rendu méfiant. Fidel a déjà vu des adolescents rentrer chez les gens, et les menacer d’un revolver pendant que des complices vidaient la maison de tout ce qu’ils possédaient.
Mais Fidel n’a pas grand chose. Sa maison est une simple pièce au parquet craquelant. Une porte donne sur la rue, une autre sur la cour. D’un côté trône le lit, de l’autre règne un poêle a charbon qui fait office de réchaud. Le premier à une table de nuit pour l’accompagner, l’autre une commode massive. Au centre une table nappé de lino sépare les deux camps. Fidel n’a presque plus rien, il a même emprunté des sous pour que son fils puisse quitter Rio.

« Sainte Marie, mère de Dieu, protège nous » balbutie le vieillard.

De l’autre côté de la rue, le regard de Léo se projette dans les yeux de Fidel, et le vieil homme ne sait pas s’il voit un criminel ou un petit garçon.
Accourant par la rue un garçon de 10 ans passe en trombe. Ses pas de course claquent dans les flaques de boue, éclaboussant les alentour d’une eau nauséabonde. Il portait un T-shirt jaune et vert. Quel sens ce drapeau peut-il avoir sur les épaules d’un enfant criminel s’interroge Fidel.
Derrière lui accourt un autre enfant, un peu plus grand. Celui-là doit avoir 12 ans. Grand et maigre il flotte dans ses vêtement et court mollement. Celui là court parce qu’on lui a dit de courir, il ne cherche personne.
Pourtant c’est lui qui s’arrête à proximité de la ruelle. C’est lui qui a entendu le bruit que vient de faire Léo contre la poubelle métallique. Et c’est lui qui commence à scruter la rue autant avec ses yeux qu’avec ses oreilles, curieux de comprendre ce que lui disent ses sens. Il va même jusqu'à renifler l’air comme s’il voulait sentir la peur.
Fidel commence à regretter de ne pas avoir ouvert sa porte au petit garçon. Fidel se demande s’il aurait pu faire quelque chose. Fidel secoue la tête… Négation ou regret ?

« Vient par là ! » crie l’enfant au T-shirt jaune.

Happé par le bras de ce dernier le grand dégingandé est tiré d’un geste brusque. Comme au sortir d’un rêve il se laisse emporter vers le bout de la grande rue basse sans protester. Seul son bras, tendu vers la ruelle fait signe d’un désaccord.
Ils s’éloignent et Léo pousse un soupir. Il se lève en regardant des deux côtés et se précipitent vers la porte de Fidel. Ce dernier qui l’a vu s’approcher hésite à nouveau. Il est venu se cacher derrière sa porte, et s’interroge. Combien de temps a-t-il avant que les deux chasseurs ne reviennent ?

« Ouvrez moi ! Demande Léo.
Fidel ne répond pas.
« Aidez moi monsieur, ouvrez moi !
- Comment tu t’appelle ?
- Léo.
- Pourquoi est ce qu’ils te courent après ?
- Pour me tuer.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas, Ouvrez moi ! S’il vous plait ? »

Fidel lui-même se demande s’il est cruel, trop méfiant, presque fou ? Un enfant est il capable de commettre un crime ? L’enfant pleure, et Fidel ouvre.
Pour sécher rapidement les goûtes qui ruissellent depuis ses chevaux, Léo passe sa main gauche sur sa joue. Comme s’il connaissait la maison Léo va s’asseoir sur l’une des chaises au centre de la pièce, se tourne vers Fidel, et pointe son arme dans sa direction.

« Attend ! », hurle Fidel.
Léo Tremble.

« Pablo à dit…, commence Léo.
- Attend ! le coupe Fidel »

Et tendis que le vieil homme se précipite vers sa commode, l’enfant continue de le viser. Fidel, doucement, sort une veste de l’un des tiroirs. C’est un haut de costume bleue découpé dans un tissu épais. Une veste au teint délavé. Un joli habit du dimanche.
Le vieil homme rapidement l’enfile, et va s’asseoir en face de l’enfant. Il a ses réponses a présent. Oui, un enfant peut.

« Pablo a dit qu’il est contant pour ton fils, mais qu’il ne peut pas te laisser encore. Il a dit que comme tu ne le rembourse pas, il faut qu’il te punisse, ou alors tous les autres feront comme toi. Pablo a dit qu’il est désolé.
- Je comprend. »

Et Léo tire.

Si Léo sort par derrière, c’est parce qu’il ne veut pas être seul. Dans la petite cour, Hugo, l’enfant au T-shirt jaune, l’attend avec son comparse. Léo s’approche d’eux, sans un mot, il a du mal a marcher.
« Allez vient Léo, l’encourage Hugo en passant un bras sur ses épaules pour le soutenir. De toutes façon, c’est pas ta faute. »

HC aka Morethil
(Honteux Complice)

Léo, tueur à gage de huit ans, a déjà vécu la moitié de sa vie. Il mourra à 16 ou 17 ans s’il a de la chance.
Quelques autres enfant sont comme lui au Brésil. Payé une vingtaine de dollars par meurtre, il sont utilisé par les gangs.
Protégé par des lois qui interdisent d’emprisonner des mineurs, ils font de parfait assassins… A condition de ne pas vivre trop vieux.
Citation :
Provient du message de Gannon Darmon
trés beau texte ,
malheureusement exact reflet d'une horrible realité ...
entierement d'accord, j'en est meme la larme a l'oeil de cte connerie mwa

Très bien écrit, la fin m'a surprise et l'histoire m'a bcp touchée, mais surtout tu as su montrer la fragilité du personnage principal, qui est á la fois bourreau et victime . Parfois le monde réel est la plus effrayante des histoires d'horreur...
Texte violement touchant pour moi. Que se soit dans la peau de l'enfant qui tien l'arme, ou du viel homme qui sait qu'il va mourrir.

C'est impressionnant.

Bravo !

Ekios.
Allez voir le film : "La cité de dieu" sortie il y a quelques mois en france. Film mêlant action, humour et réalité. Réalité car le film reflète le travers des favelas sud américaines notamment brésilienne.

Triste réalité mais tellement vrai, une fois le film vu vous ne pouvez qu'applaudir.

Enfin c'est ce qu'a fait plus de la moitié de la salle où j'étais quand je l'ai visionné au cinéma, vous vous rendez compte la moitié (dont moi!) se lever et applaudir le film, c'est très impressionnant.

Dans le film il y a notamment des passages avec les enfants des favelas utilisés par des les cartels de la drogue. Les enfants sont victimes de la violence urbaine, mais ils font aussi la violence urbaine bien malgré eux...

Entraîné dans cet engrenage, ce cercle vicieux, on ne peut pas faire grand chose, mais j'espère bien qu'un jour ça changera.
Tres joli texte qui merriterais presque d'etre plus long....Enfin c'est surtout qu'on a pas envie qu'il finisse tellement la gravite de l'evenement est cite avec tant de "legerete" si je puis dire.
Une chose que j'ai beaucoup aime, en dehors de l'histoire, c'est le petit clin d'oeil a la difference entre les deux generations... Le petit Leo, loin d'etre responsable, force de jouer de la ruse et de profiter de l'humanite du vieillard pour s'introduire chez lui oppose a la fierte de ce bon Fidel qui, meme demuni de tout, ne veux pas mourrir en simple tenue mais cours chercher sa veste pour mourrir en grande pompe. Une belle lecon de morale cachee en quelques mots tres simples. Enfin c'est en tout cas mon analyse, je sais pas si c'est le message a passer la derriere ;p

En tout cas bravo
Un enfant qui vit ce genre d'existence n'a pas d'age.

D'ailleurs ce n'est plus un enfant, mais ce n'est pas non plus un adulte il n'est pas maître de son destin, il n'a même pas d'avenir.

Texte très bien écrit, poignant.
Merci de l'avoir publié ici
Répondre

Connectés sur ce fil

 
1 connecté (0 membre et 1 invité) Afficher la liste détaillée des connectés